Sifca au régime asiatique
Détachement de cadres, formation, méthodes de production… Les géants singapouriens Wilmar et Olam ne ménagent pas leurs efforts pour faire de Sifca le leader régional incontesté de l’huile de palme.
Toumanguié, 80 km à l’est d’Abidjan. Vue du ciel, la plantation ressemble à un immense damier vert sur lequel de grands parasols aux larges palmes sont délicatement posés. Tout semble avoir été pensé pour occuper le moindre espace de terre. Au centre, une usine, entourée de quelques bâtiments, laisse s’échapper de longues volutes grisâtres. L’hélicoptère se rapproche progressivement du sol, un grand panneau dévoile son message : « Les clés de la réussite. Rigueur. Discipline. Constance. Économie. Appliquons-les intégralement à chaque instant. Tous les jours et sans retenue. » Bienvenue chez Palmci.
Né de la privatisation de Palmindustrie, l’ancienne société d’État rachetée par les groupes Sifca et Unilever en 1997, Palmci est devenu le fer de lance de la production d’huile de palme en Afrique de l’Ouest. Surtout depuis que le groupe ivoirien s’est associé en 2008 aux deux géants singapouriens, Wilmar et Olam.
Un triumvirat très actif
L’alliance a fait grand bruit. Le patron d’Advens (premier producteur d’huile d’arachide et de coton), le Libano-Sénégalais Abbas Jaber, y voit une concentration illégale à même de « couler » les autres entreprises oléagineuses de la région. Pour l’interdire, il a déposé un recours devant l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). La requête n’a finalement pas abouti…
Pendant ce temps, le triumvirat a repris la plupart des actifs d’Unilever en Côte d’Ivoire et créé la société de raffinage Sania (détenue à 49,5 % par Sifca et à 50,5 % par Nauvu, coentreprise entre Olam et Wilmar). L’alliance a aujourd’hui de quoi affoler ses concurrents. Elle pèse, à travers Sania et Palmci, plus de 283,5 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2009 (432 millions d’euros), ce qui en fait la première entreprise oléagineuse d’Afrique de l’Ouest.
Sur le terrain, une véritable révolution est en marche. « Nous ne sommes pas venus pour nous amuser. L’objectif est de se rapprocher le plus possible de la rentabilité asiatique », explique d’emblée Ho Dye Joan, le directeur des plantations de Palmci pour l’Afrique de l’Ouest, un cadre mis à disposition par Wilmar. Ce sexagénaire chinois a dirigé les plantations les plus performantes dans l’île de Sumatra, en Indonésie.
En Côte d’Ivoire, il mène tambour battant les grands chantiers de modernisation : fertilisation, introduction de la culture attelée, augmentation du nombre de plants à l’hectare… Pour éviter les pillages nocturnes, qui sont fréquents, on a également accéléré les opérations. Les régimes de noix de palme sont acheminés à l’usine dès leur récolte.
Productivité maximale
Près de 55 milliards de F CFA ont été investis en deux ans pour moderniser les exploitations. Et comme les leçons transmises en terre ivoirienne ne suffisent pas, on envoie techniciens et ingénieurs de Palmci en stage dans les plantations de Wilmar. Une manière de se familiariser à l’anglais et aussi de découvrir de nouvelles techniques de travail.
« Ils sont impressionnants, témoigne Brou Kouadio, chef de plantation industrielle à Ehania, un autre site, à 70 km de Toumanguié. En Asie, ils travaillent douze heures par jour, contre huit ici. Tout est pensé, ordonné, coordonné pour éviter les déperditions d’énergie et assurer une productivité maximale. »
L’expérience semble avoir porté ses fruits, mais Ho Dye Joan met la barre très haut. Selon lui, la tonne de noix de palme revient à 5 dollars en Indonésie, contre 20 actuellement en Côte d’Ivoire et plus de 40 il y a deux ans. La marge de progression demeure énorme. « Nous sommes déjà passés d’une productivité de 13,5 t/ha en 2008 à 16,8 en 2009 en plantation industrielle, explique Christophe Koreki, secrétaire général de Palmci. Mais on peut faire beaucoup mieux. » De 323 000 t en 2007, la production est passée à 439 000 t en 2009. L’objectif est d’atteindre le million de tonnes d’ici à 2020.
Autre constat asiatique : les intrants (engrais, pièces de rechange, produits phytosanitaires) sont beaucoup trop chers. Pour réduire les coûts, Yves Lambelin, directeur général de Sifca, a décidé de mutualiser les commandes de toutes les sociétés du groupe en créant un bureau des achats et de profiter des fournisseurs de ses partenaires.
Une nouvelle raffinerie
Sifca et Nauvu ont également investi 15 milliards de F CFA pour construire une nouvelle raffinerie à Abidjan, d’une capacité de 1 500 t par jour. Dédiée à la fabrication des produits finis, cette usine a ouvert ses portes à la mi-juin. Sa vocation est de fournir le marché ivoirien et ceux des pays environnants, où l’on trouve la production des concurrents (arachide, soja, huile de coton) mais aussi des produits importés.
Aussi paradoxal que cela paraisse, l’huile ivoirienne peut alors entrer en concurrence avec celle fabriquée par Wilmar en Asie, commercialisée entre autres sous la marque Viking. « Ces produits arrivent notamment par le Togo, explique un cadre de Sania. Wilmar nous a promis qu’il allait veiller à ce que ça ne pénètre pas en Côte d’Ivoire, où l’importation des huiles hors UEMOA est interdite. »
Tous les pays de la région ne sont pas aussi bien protégés. Mais dans bien des cas les produits d’importation viennent remplir un vide non comblé par les entreprises nationales. L’Afrique de l’Ouest accuse actuellement un déficit annuel de 800 000 t d’huiles, qui devrait passer, en 2020, à 1,5 million de tonnes. Les deux géants asiatiques ont fait leurs calculs.
« Ils savent très bien qu’ils ne peuvent pas inonder le marché sans entraîner la grogne des opérateurs locaux, explique un banquier de la place. Et puis, il n’est pas sûr qu’ils puissent éternellement exporter. Ils sont limités chez eux par la pression foncière et le manque de main-d’œuvre agricole. Alors autant s’allier à des partenaires comme Sifca. » Déjà présent en Côte d’Ivoire et en Ouganda, Wilmar pourrait étendre ses activités dans les pays du golfe de Guinée et de la région des Grands Lacs.
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