La montée en puissance des marques africaines
Pour conquérir le consommateur, les enseignes locales affrontent les multinationales. Avec moins de moyens, elles enregistrent néanmoins des succès notables.
L’idée de bières locales est née de la volonté de diversification du groupe burkinabè Sopam (50 millions d’euros de chiffre d’affaires), qui exploite, par exemple, une centrale thermique de 60 MW au Mali. En 2006, il a investi 41 millions d’euros dans la construction d’une brasserie d’une capacité de production de 500 000 à 1 million d’hectolitres par jour. Surfant sur un « marché de la bière en plein développement en Afrique », explique Mohamed Pangueba Sogli, PDG de Sopam, l’objectif est d’approvisionner le Burkina Faso, mais aussi le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire.
Mais la plus grande brasserie d’Afrique de l’Ouest, selon l’homme d’affaires burkinabè, qui pourrait employer 600 salariés et créer 75 000 emplois indirects, n’a jamais produit la moindre goutte de bière depuis la fin du chantier, en 2008. Mohamed Pangueba Sogli ne parvient pas à réunir auprès des banques les 8 millions d’euros qui lui font défaut pour lancer la production (achat de malt, de houblon…). Il y voit la main du groupe Castel : « J’ai une lettre d’intention de Pierre Castel, qui me propose 26 millions d’euros. Il m’a fait comprendre qu’il n’y a pas de place pour deux en Afrique de l’Ouest. » « Nous n’avons rien à dire », répond le groupe Castel, à Paris. Ce dernier détient plus de 90 % du marché local à travers sa filiale Brakina et deux sites à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Les deux patrons négocient toujours.
Ce type de rivalité entre marques africaines et internationales a toutes les chances de se multiplier sous l’effet conjugué du retour d’une forte croissance en Afrique, à plus de 5 % par an, et de l’émergence d’une classe moyenne : 95 millions de consommateurs qui ont dépensé 250 milliards d’euros en 2010, selon Proparco (filiale de l’Agence française de développement). Ils seront 132 millions en 2020 pour un marché de 450 milliards d’euros. En 2040, la classe moyenne africaine devrait consommer 1,3 milliard d’euros par an.
Une conjoncture très favorable qui ouvre des perspectives aux investisseurs locaux. Elle revigore aussi les marques internationales présentes en Afrique depuis des décennies (Coca-Cola, Nestlé…) et attire celles qui avaient fait une croix sur le continent. C’est le cas du suédois Electrolux, numéro deux mondial de l’électroménager, qui a mis la main en octobre sur l’égyptien Olympic Group contre un chèque de 340 millions d’euros. Avec onze sites de production, le groupe du Caire est le premier fabricant d’appareils électroménagers d’Afrique du Nord. Dans la grande distribution, l’arrivée du leader mondial, l’américain Walmart, qui veut s’offrir le sud-africain Massmart pour 2,4 milliards d’euros, est redoutée. Les exemples sont légion. Comme le néerlandais Heineken, qui s’est emparé de 49,99 % du capital de la Société de production et de distribution des boissons (SPDB) en Tunisie en 2007. En Algérie, c’est l’allemand Henkel qui a croqué en 2006 l’Entreprise nationale des détergents et produits d’entretien (Enad) et sa fameuse marque Isis.
Un combat inégal
Et le phénomène s’accélère. « L’Afrique est la dernière ruée vers l’or pour les multinationales, où iront-elles après ? » note David Murray, chargé de la grande consommation chez Ernst & Young. Pour l’instant, ce combat pour la conquête du consommateur africain est inégal. Les marques locales profitent d’un environnement favorable mais ne peuvent rivaliser, face aux ténors mondiaux, en matière de moyens financiers, humains, de marketing, de distribution et d’innovation. Les marques des géants sont portées par une publicité planétaire qui séduit les consommateurs à hauts revenus soucieux de leur statut social. Un effet de mode qui a un prix : à Dakar, quatre yaourts d’une marque locale se vendent 1 000 F CFA (1,50 euro), contre 3 500 F CFA pour les Danone ou Nestlé importés. « Les marques étrangères sont achetées surtout par les expatriés et ceux des classes aisées qui les ont connues lors d’un séjour à l’étranger », relève André Tavarez do Canto, professeur de marketing et de communication Dakar.
Il n’empêche. En Côte d’Ivoire, où les marques américaines (Revlon par exemple) sont la référence, les panneaux publicitaires vantent la gamme de produits cosmétiques Sivoderm, de l’entreprise locale Sivop, ou les shampoings de la Nouvelle Parfumerie Gandour. Répondant aux critères internationaux de qualité avec une certification ISO 9001 depuis 2008, disposant d’usines en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Maroc et au Cameroun, cette entreprise réalise autour de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 30 % à l’export, y compris aux États-Unis et en Europe.
L’agroalimentaire ivoirien, dynamique, avec une petite industrie bien implantée et des tarifs compétitifs, a aussi du répondant. Sania (groupe Sifca) a racheté à Unilever l’irremplaçable huile Dinor, en 2008. Et la Société de distribution de toutes marchandises en Côte d’Ivoire (SDTM-CI), qui contrôle 70 % des exportations de riz, a imposé sa griffe Uncle Sam sur un marché qui vivait jusqu’alors sans marques, en s’inspirant sans trop de scrupules du célèbre Uncle Ben’s du géant américain de l’agroalimentaire Mars Incorporated.
Même dynamisme au Sénégal, avec « dans les points de vente de proximité et les marchés traditionnels, les laits en poudre Vitalait ou Halib, les bouillons culinaires Adja et Mami, l’huile végétale Niinal, les savons Madar, Saf, BF… » égrène André Tavarez do Canto. Avec le groupe Patisen (Adja, Chocolion…), la Laiterie du berger fait entendre un ton différent. Fondée en 2006 et appartenant en majorité à la famille Bathily, elle s’impose dans les produits à base de lait frais entre les marques des multinationales et les petits producteurs artisanaux, qui fabriquent leurs produits à partir de lait en poudre importé. L’unique laiterie industrielle du pays a vu ses ventes s’envoler de 380 000 euros en 2007 à 1,5 million en 2010. Soutenus par des campagnes radio et d’affichage, ses produits se retrouvent aussi bien au rayon frais de l’hypermarché Casino de Dakar, aux côtés des produits importés, que dans les stations-service et les petits supermarchés.
La revanche des sous-traitants
Les groupes qui sortent du continent pour se faire un nom, comme SAB-Miller, sont encore rares, sauf au nord du Sahara. Outre Kitea (ameublement) et Bigdil (accessoires de mode), les marques marocaines de prêt-à-porter Flou Flou et Marwa n’ont pas froid aux yeux. Cette dernière a ouvert son premier point de vente à Saragosse (Espagne) en 2009, avant de s’envoler pour Riyad, Paris, Beyrouth et Istanbul. À Tunis, les marques textiles Dixit, Sasio (groupe Nouira), Mabrouk (Abdelmoula), ou encore Blue Island (Aramys) tirent leur épingle du jeu.
Presque tous d’anciens sous-traitants, ils se sont émancipés de leurs donneurs d’ordre et pratiquent des prix inférieurs de 20 % à 30 %. Mabrouk a réalisé près de 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires à Alger en 2008. Présent sur Facebook, Dixit compte plus d’une quarantaine de boutiques, au Maghreb (la marque a annoncé en septembre vouloir créer une quinzaine de boutiques en Algérie), en France, mais aussi en Russie. Jusqu’où iront-ils ? Patron des patrons tunisiens, Hédi Djilani, qui dirige l’entreprise textile Confection Ras Jebel, a racheté le réseau tunisien de son donneur d’ordre Lee Cooper.
Plus rien ne fait peur aux Africains. Le plus grand groupe d’ameublement du continent, le sud-africain Steinhoff International, a annoncé le 9 décembre vouloir racheter Conforama, le numéro deux européens du secteur derrière Ikea. La voie est ouverte.
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