Dix choses à savoir sur Patrice Talon, le futur président du Bénin
L’homme d’affaires Patrice Talon est sorti vainqueur du duel qui l’opposait au Premier ministre Lionel Zinsou, au second tour de la présidentielle au Bénin. Portrait.
[Rectificatif : contrairement à ce que nous avions indiqué dans une première version de cet article, c’est l’État du Bénin, et non la société suisse SGS, qui a déposé plainte contre Patrice Talon à Genève.]
Ses racines
Patrice Talon est né à Abomey (Centre) le 1er mai 1958. Il a grandi dans le quartier Déguè-Gare à Porto-Novo, où sa famille possède une maison. Son père est un cheminot originaire de Ouidah (Sud), sa mère est issue d’une grande famille d’Abomey. Un épisode quasiment inconnu de son histoire familiale a été révélé par son adversaire Lionel Zinsou, le 17 mars, lors du débat télévisé qui les opposait : Pierre Talon, l’un des ancêtres du futur président, est arrivé au Bénin à la toute fin du XVIIIe siècle en tant que garde du fort français de Ouidah, ancien port négrier.
Son parcours académique
Talon effectue une partie de sa scolarité à Dakar, où il obtient un bac C (aujourd’hui bac Scientifique) et entame des études de mathématiques. Après deux ans à la faculté de Dakar, Patrice Talon réussit le concours de pilote de ligne d’Air Afrique. Il se rend en France pour poursuivre sa formation mais est recalé de l’École nationale d’aviation civile (Enac), située à Toulouse. C’est donc avec un simple Deug de mathématiques en poche qu’il se lance dans l’importation des intrants pour la culture du coton dans les années 1980.
Ses affaires au Bénin…
En 1985, l’homme d’affaires crée la Société de distribution internationale (SDI) et décroche un premier marché auprès de la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra). La première pierre de son empire cotonnier. Un peu moins de dix ans plus tard, il obtient un marché d’implantation de trois usines d’égrenage d’une capacité de 25 000 tonnes chacune. Son influence sur l’économie béninoise va croître après l’élection de Thomas Boni Yayi en 2006. Deux ans plus tard, il remporte avec ses usines d’égrenage l’appel d’offres pour la privatisation de la division coton de la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra). En 2011, il récupère la gestion du Programme de vérification des importations (PVI) du port de Cotonou.
Sur son site officiel, Talon se vante d’être « le premier investisseur privé béninois et le premier employeur privé ». Il précise que « ses activités économiques sont menées au sein de la holding familiale Société de financement et de participation (SFF) ». Cette structure est notamment actionnaire majoritaire de la société SIGIB, propriétaire des hôtels Novotel et Ibis au Bénin.
… et dans la sous-région
Créée en 1985, sa SDI est présente au Burkina, au Mali, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Talon est également présent au conseil d’administration de deux groupes ivoiriens : la Société d’engrais et de phytosanitaires de Côte d’Ivoire (SEAP CI) et AF-CHEM SOFACO, elle aussi spécialisée dans le phytosanitaire.
Politique et business : le mélange des genres
L’homme d’affaires a toujours mêlé la politique et les affaires. Dès 1991, il soutient financièrement Nicéphore Soglo lors de l’élection présidentielle. En 1995, à l’occasion des législatives cette fois, il finance plusieurs partis politiques. Une méthode qu’il répétera élection après élection. En 2005, un an avant le scrutin présidentiel, il rencontre Boni Yayi, alors à la tête de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). « Les candidats Soglo, Houngbédji et Amoussou étaient des amis, mais je l’ai soutenu, lui, car j’ai cru au changement et à la rupture », reconnaîtra-t-il. Talon aura également pesé de tout son poids sur l’issue des législatives d’avril 2015 qui avaient vu Adrien Houngbédji s’installer au perchoir.
Sa brouille avec Boni Yayi
L’idylle avec le président prend fin subitement. Yayi s’est-il rendu compte que Talon était devenu trop puissant ? Ou lui a-t-il fait payer, comme l’homme d’affaires l’assure, son opposition au projet de reforme constitutionnelle voulue par le chef de l’État ? Toujours est-il que, visé par sept plaintes pour crimes économiques, placé en garde à vue à Cotonou en avril 2012, Patrice Talon est entendu à plusieurs reprises. Peu après, le contrat PVI est suspendu unilatéralement tout comme celui de la Société générale de surveillance (SGS), avec laquelle il avait gagné l’appel d’offres. Un mois plus tard, il quitte le Bénin en catimini pour la France via les Seychelles, l’Allemagne et Bruxelles.
Les accusations à son encontre se succéderont – tentative d’empoisonnement du chef de l’État avec des pilules radioactives, acquisition de drones pour attaquer l’avion présidentiel et recrutement de commandos, vol dans les caisses des douanes de 12 milliards de F CFA (environ 18,3 millions d’euros) -, sans qu’aucune n’ait entraîné une condamnation de l’homme d’affaires. La justice lui donnera même raison dans le contentieux lié au contrat PVI.
Ses années à Paris
Après avoir passé quelques années à Paris dans les années 1980, Patrice Talon a vécu en exil à Paris de mai 2012 à octobre 2015. Dans la capitale française, il possède un appartement cossu dans le 16e arrondissement et a ses habitudes à l’hôtel George-V, luxueux établissement cinq étoiles situé non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Pendant ses trois années d’exil, il a effectué plusieurs déplacements d’ordre professionnel en Afrique de l’Ouest, recevant dans plusieurs villes le tout Cotonou, hommes politiques de tous bords mais aussi hommes d’affaires et de médias.
Ses ennuis judiciaires
Patrice Talon pourra sans doute profiter de l’immunité qui accompagne sa nouvelle fonction. Car l’homme d’affaires est sous le coup de plusieurs procédures judiciaires. Celle concernant la tentative supposée d’empoisonnement est clôturée au Bénin mais pas en France, où une procédure pour tentative d’assassinat et association de malfaiteurs a été ouverte en juin 2014 par la justice française. Le procureur de la République a nommé deux juges d’instruction. Il s’agit de Sabine Kheris et de Gilles Pacaud, doyen des juges d’instruction. Le Bénin s’est porté partie civile à la mi-janvier.
Par ailleurs, plusieurs autres procédures liées à sa gestion de la filière coton sont toujours ouvertes à Cotonou. Une autre action liée au contrat PVI a été intentée par l’Etat béninois à Genève, où se situe le siège de la société suisse SGS avec qui Patrice Talon s’était allié avant que celle-ci ne se retire.
Ses alliés
Pour l’emporter le 20 mars, Patrice Talon a pu bénéficier du soutien de la majorité des candidats à la présidentielle comme Sébatien Ajavon (22,07 % au 1er tour), Abdoulaye Bio-Tchané (8,29 %) et Pascal Irénée Koupaki (5,60 %). On peut aussi citer plusieurs anciens proches du président Boni Yayi : Marcel de Souza, son beau-frère et ex-ministre du Développement, Karimou Chabi Sika, son neveu. Son cousin et ancien ministre de la Défense Kogui N’douro, l’ancien chef de la diplomatie Nassirou Bako Arifari, l’ancien ministre des Transports Napondé Aké.
Une personnalité complexe
Patrice Talon est un homme difficile à cerner. Méthodique, fin stratège, affable, séducteur mais aussi terriblement méfiant. Soucieux de son image, qu’il aime contrôler étroitement, le roi du coton pèse ses mots avec une attention presque chirurgicale. Ses interventions dans les médias sont très rares. Dans le même temps, celui qu’on pourrait décrire un peu rapidement comme pudique fait sans retenue étalage de sa réussite personnelle : lors des deux tours de l’élection, c’est au volant d’une Porsche décapotable qu’il est allé voter.
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