Maurice Bonnot : « En Afrique, le principe d’auto-détermination a le vent en poupe »
Ancien diplomate, Maurice Bonnot a travaillé sur les questions de frontières, notamment sur le continent africain. Pour Jeune Afrique, il revient sur les problématiques d’indépendance et d’auto-détermination en Afrique.
Katanga, Somaliland, Soudan du Sud, ou encore Biafra. À première vue, ces régions ou pays n’ont en commun que leur appartenance au continent africain. Pourtant, ils sont, ou ont été, tous confrontés aux questions d’auto-détermination et d’indépendance. Refusant le principe d’intangibilité des frontières, entériné par l’Organisation de l’union africaine (OUA) le 22 décembre 1986 après le conflit opposant le Burkina et le Mali sur la bande d’Agacher, ces provinces ont mis en lumière ce qu’Alpha Oumar Konaré a nommé « la question des frontières », dans son discours lors du colloque portant sur les frontières africaines organisé par l’Unesco en 1999.
Pour l’ancien président malien, cette problématique s’impose même comme « le paradigme fondamental au travers duquel se lit la paix, c’est-à-dire la démocratie, c’est-à-dire le développement ». Ainsi, les indépendances de l’Érythrée, et plus récemment, du Soudan du Sud ont montré les failles d’un tracé étatique hérité de la colonisation.
Maurice Bonnot, haut-fonctionnaire à la retraite, réserve dans son livre Des États de facto, un long chapitre aux problématiques africaines en matière de reconnaissance d’État et de respect du tracé des États du continent. À l’image du Nobel de littérature 1986 Wole Soyinka, qui appelle à « redessiner les (…) des nations africaines, munis d’une équerre et d’un compas » l’Afrique est-elle à l’aube d’une grande remise en questions de ses frontières ? Interview.
Jeune Afrique : Quelle est l’origine des multiples revendications d’auto-détermination et d’indépendance sur le continent africain ?
Maurice Bonnot : Ces appels à l’autonomie ont pour point de départ, pour quasiment la totalité d’entre eux, l’établissement des frontières coloniales dessinées lors de la Conférence de Berlin, en 1885. Ce sommet, où aucun État africain n’était invité, avait pour but de partager l’espace colonial africain entre les grandes puissances européennes de l’époque, comme l’Italie, l’Allemagne, ou encore la France.
Ce partage a permis d’établir pas moins de 80 000 km de frontières, dont seulement le quart reposent sur des limites de géographie physique. Toutes les autres ont été tracées selon des concepts mathématiques et même astronomiques. Les frontières africaines ont donc été motivées par « la course au clocher », puisque chaque nation coloniale a cherché à agrandir son territoire, tout cela bien sûr en dépit des peuples qui y vivaient.
Pourquoi la question des frontières n’a-t-elle pas été prise en compte au lendemain de la colonisation par les États africains ?
Ce n’était pas le bon moment. Les membres de l’OUA présents à la Conférence du Caire en 1964 se sont même engagés à « respecter les frontières existant au moment où [leurs États] ont accédé à l’indépendance », à l’instar de l’Amérique hispanique au 19e siècle. Ils ont appliqué ce que l’on appelle le principe de l’uti possidetis, autrement dit « vous posséderez ce que vous possédez déjà ». Ce qui était apparu comme une solution de sagesse visait à éviter la rupture d’un équilibre, qui aurait pu faire perdre au continent le bénéfice de sacrifices endurés lors des luttes pour l’indépendance.
Néanmoins, cette réaction, valable au vu de la situation instable de l’époque, ne peut pas être envisagée à long terme, puisqu’avec le temps et la réappropriation des Africains de leurs terres, les réminiscences du passé remontent à la surface et entrent en contradiction avec le principe d’intangibilité des frontières. De nombreux conflits frontaliers, le plus souvent de faible intensité, se sont produits sur le continent ces cinquante dernières années, comme le différend entre l’Ouganda et la Tanzanie sur la rivière Kagera, ou les hostilités entre l’Éthiopie et la Somalie en 1977 à propos de l’Ouganda. Aujourd’hui, le phénomène s’intensifie, et le principe d’auto-détermination a le vent en poupe !
Les revendications territoriales de Boko Haram, comme la réhabilitation du califat de Sokoto, pris par les Britanniques en 1903, naissent par exemple de l’existence d’États antérieurs à la colonisation. Idem pour la proclamation d’indépendance de l’Azawad, qui résulte de l’éclatement du peuple touareg, dû là encore au découpage colonial. Les cas comme ceux-là sont innombrables en Afrique. Les accords Sykes-Picot de 1916 ont partagé le Proche-Orient de manière semblable.
États de facto, États de jure. Quelle différence faites-vous entre ces deux définitions ?
Ce qui manque à l’État de facto pour qu’il soit considéré pleinement comme membre de la Communauté internationale, c’est sa reconnaissance par les membres de cette même communauté. Les critères de reconnaissance sont définis par la Convention de Montevideo de 1933 : « Etre peuplé en permanence, construire un territoire défini, être doté d’un gouvernement, être apte à entrer en relation avec les autres États ». La reconnaissance est cependant de la part des États tiers un acte discrétionnaire, et le plus souvent politique.
Pour que la République arabe sahraouie démocratique (RASD), par exemple, accède à la reconnaissance internationale, il faudrait que les nations de l’Union africaine (UA) soient déjà en accord sur la question, afin de peser de tout leur poids au sein de l’ONU. Or la RASD, qui fait partie de l’institution depuis 1982, n’est reconnu aujourd’hui que par quelques-uns de ses membres, à l’instar de l’Afrique du Sud ou du Rwanda.
De plus, les nombreux et réguliers remous diplomatiques qui entachent les relations entre les pays de l’UA et le Maroc achèvent l’espoir d’une entente africaine sur la question. Enfin, l’ONU aurait à mon sens bien du mal à organiser un référendum, qui est la condition sine qua non de la reconnaissance internationale. En effet, à qui poserait-on la question ? Et où ? Quelles sont les populations concernées ? Le brassage des populations a été tel que la situation est complexe.
Bien qu’exclu des flux financiers mondiaux, le Somaliland est l’exemple même d’un État de facto qui fonctionne en Afrique
Pourquoi des territoires tels que ceux du Soudan du Sud et de l’Érythrée ont pu accéder à l’indépendance, au contraire du Somaliland ?
Seule l’UA connaît la réponse. Cependant, il ne faut pas omettre que les indépendances de l’Érythrée et du Soudan du Sud ont pris du temps, et qu’elles ont abouti au prix de nombreux sacrifices, humains notamment. Par ailleurs, il faut souligner que la vie est possible dans des États non reconnus par la communauté internationale. L’Abkhazie, un état du Caucase a réussi sa construction étatique en se dotant notamment d’institutions, et ce sans aucune aide extérieure. Malgré cela et bien que sa population jouisse de sa bonne santé économique, ce territoire n’est reconnu que par six États, dont la Russie.
Le Somaliland, qui connaît peu ou proue la même situation, a des arguments de poids qui penchent en la faveur d’une reconnaissance internationale : il a construit un réel organe législatif, qui s’appuie sur l’établissement d’un Parlement composé de deux Chambres, celle des Représentants et celle des Anciens, de type britannique. Il s’appuie également sur une Constitution, basée sur les principes du droit musulman, promulguée le 30 avril 2000 et approuvée par référendum à 97 %. Par ailleurs, les résultats de ses élections paraissent bien plus démocratiques que ceux du pays duquel il est issu. De plus, le territoire peut compter sur ses richesses minières et pétrolières, qui attirent des investisseurs, ainsi que sur l’exportation de son bétail vers les Émirats, qui lui assurent des revenus. Bien qu’exclu des flux financiers mondiaux, le Somaliland est l’exemple même d’un État de facto qui fonctionne en Afrique. Il fait office d’ îlot de stabilité au milieu du chaos somali.
On assiste aujourd’hui à des réminiscences biafraises, cinquante ans après la guerre du Biafra. Les aspirations indépendantistes vont-elles se multiplier sur le continent ?
Les États de facto incarnent une problématique sérieuse en Afrique, dont l’UA devra se soucier. Cette situation, issue de la colonisation, et qui a consacrée « la balkanisation du continent », selon Achille M’Membe, a déjà eu pour conséquences la naissance de deux nouveaux États africains, lesquels ont donc passés outre le principe de 1964 : l’Érythrée, ancienne colonie italienne, en 1993, et le Soudan du Sud, en 2011. La particularité de ce dernier est que la volonté d’indépendance n’a pas pour origine la partage colonial, car il n’y a jamais eu de Soudan du Sud au temps du Soudan anglo-égyptien, et en cela, il fait figure d’exception.
La reconnaissance de ces deux nouveaux États a mis du plomb dans l’aile au principe d’intégrité territoriale, et donc de la position de l’UA concernant l’intangibilité des frontières. En ce sens, la problématique des États de facto et le tracé des frontières incarnent le problème africain du XXIe siècle.
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