RD Congo – Jason Stearns : « Certains militaires ont participé aux massacres à Beni »

Des militaires des FARDC ont-ils participé à des massacres dans la région de Beni, dans l’est de la RDC ? Selon Jason Stearns, ancien expert de l’ONU qui dirige actuellement le Groupe d’étude sur le Congo, la réponse est oui. Explications.

Jason Stearnsc est un un ancien chef du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC basé à New York. © DR

Jason Stearnsc est un un ancien chef du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC basé à New York. © DR

Publié le 22 mars 2016 Lecture : 3 minutes.

Depuis octobre 2014, environ 500 personnes ont été massacrées dans le territoire de Beni, dans l’est de la République démocratique du Congo. Pour l’armée congolaise (FARDC) et la Mission de l’ONU (Monusco), les auteurs de ces crimes appartiennent à la rébellion musulmane ougandaise des Forces démocratiques alliées (ADF), qu’elles traquent depuis janvier 2014.

Un rapport de l’ONU publié en mai 2015 évoque l’implication de militaires dans certains meurtres – une conclusion à laquelle parvient aussi le Groupe d’étude sur le Congo dans son enquête « Qui sont les tueurs de Beni ? ». Précisions de son directeur Jason Stearns, un ancien chef du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC basé à New York.

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Jeune Afrique : Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur les « vrais tueurs » de Beni ?

Jason Stearns : Les massacres autour de Beni constituent une crise oubliée. Pourtant, il s’agit d’un des épisodes de violence les plus choquants dans l’histoire congolaise récente. Plus de cinq cents personnes ont été tuées et des dizaines de milliers ont fui leurs foyers. La brutalité des crimes est saisissante : des personnes décapitées, des malades découpés dans leur lit d’hôpital, et plus de 120 personnes tuées dans un seul massacre.Malgré cela, aucune enquête approfondie n’a été menée par les autorités congolaises, ni par l’ONU. Nous voulions commencer à combler ce vide.

Vous soulignez qu’il est erroné et même contre-productif de parler uniquement d’ADF, même pour simplifier. Pourquoi ?

Pour deux raisons. D’abord, l’image des ADF telle que souvent présentée en public –un groupe ougandais, islamiste, qui tue les congolais pour des raisons de vengeance ou comme stratégie militaire – ne correspond pas à la réalité. Les ADF ont des racines profondes dans la société, la politique, et l’économie locale.
Deuxièmement, les ADF ne sont pas les seuls à participer aux tueries. Nous avons trouvé des preuves considérables que certains membres des FARDC et certains anciens membres du RCD-K/ML (une rébellion qui contrôlait Beni entre 1999-2003) figurent parmi les responsables.
Le problème est aussi bien politique que militaire. Trouver une réponse à la crise n’est donc pas seulement une question d’offensive militaire, mais de stratégie politique pour déraciner ces réseaux.

Nos conclusions se basent sur des témoignages directs et des preuves circonstancielles

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Des militaires sont accusés d’avoir participé directement à certains massacres ou d’avoir été passifs malgré les alertes. Quel serait leur intérêt de massacrer des civils ?

Notre rapport, qui présente les résultats préliminaires de nos enquêtes, n’a pas pu établir les chaînes de commandement ni les motivations des uns et des autres, donc je ne veux pas spéculer là-dessus.

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Des éléments ADF portent l’uniforme des FARDC. Comment savoir si les assaillants sont réellement des militaires ou des rebelles camouflés ?
Il faut d’abord souligner que les ADF (et/ou des rebelles passant pour des ADF) sont probablement responsables de la plupart des tueries, nous ne disons pas que les FARDC soient coupables de tous les massacres.

Nos conclusions se basent sur des témoignages directs et des preuves circonstancielles. Nous avons interviewé des témoins oculaires des massacres, comme aussi des membres des FARDC qui étaient au courant de l’implication de certains de leurs camarades. En plus, les ADF ne parlent généralement pas le kinyarwanda – la deuxième langue la plus utilisée par les tueurs – et ne boivent pas de bière.

Le mandat de la Monusco, qui selon vous a failli plusieurs fois à sa mission de protection des civils à Beni, doit être renouvelé fin mars. Quelle devrait être la priorité assignée au Casques bleus ?

La Monusco a deux mandats qui se contredisent souvent : protéger la population civile et aider à étendre l’autorité de l’état. On voit cette contradiction à Beni. Avant de lancer des nouvelles opérations conjointes, la mission devrait mener une investigation approfondie pour en savoir plus sur l’identité des tueurs, mais aussi sur le comportement de ses propres militaires, qui tardent souvent à agir.

Le secrétaire général de l’ONU, Ban ki-Moon, avait recommandé une réduction de 1 700 hommes de la Monusco, en plus des 2 000 dont le départ a été décidé l’an passé. Est-ce le bon moment pour réduire les effectifs ?
Pour moi, ce n’est pas seulement une question du nombre des troupes, mais surtout de leur stratégie et mode d’opération. La plupart des troupes de la Monusco font assez peu pour protéger les civils à cause des contraintes politiques, mais aussi à cause de la difficulté de mener des opérations de contre-insurrection en RDC.

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