Patrick Le Buffe et Bernard David: « La Société Générale maintient ses positions sur le continent »
Alors que les fleurons bancaires français semblent de moins en moins enclins à se développer au sud du Sahara, deux dirigeants de la « Soc gen », spécialistes des pays émergents expliquent la politique africaine du groupe leader en zone CFA. Interview
JEUNE AFRIQUE : 2008 et 2009 ont été des années difficiles pour les banques du monde entier. Vos filiales africaines s’en sont-elles mieux sorties ?
Bernard David : La réponse est clairement oui. Nous avons pu compter sur notre dispositif africain, qui a par ailleurs largement contribué à la stabilité de nos résultats.
Patrick Le Buffe : 2008 a été une très bonne année pour le continent. En 2009, année où l’Afrique a été impactée par le ralentissement économique international, nous avons constaté de façon satisfaisante une stabilité de notre produit net bancaire africain. Notre rentabilité quant à elle a été en progression en Afrique subsaharienne.
B.D. : L’Afrique du Nord a encore moins senti la crise que l’Afrique subsaharienne et nos filiales sur place ont continué à fortement se développer. Par comparaison, l’Europe de l’Est a connu une crise plus profonde avec des pays, comme la Roumanie, qui sont passés d’une croissance positive de 4 % à 5 % à une décroissance de même proportion. En Afrique, de manière générale, le coût du risque est resté très maîtrisé et faible.
P.L.B. : Quant à 2010, c’est une année encore difficile, avec des taux de croissance sans doute inférieurs à ce qui était attendu en début d’année. Cependant nous constatons une progression tout à fait correcte des résultats de nos filiales.
La réputation des banques occidentales a été gravement altérée par la crise des subprimes. Les trouvez-vous toujours légitimes pour apporter au secteur bancaire africain expérience et compétence alors qu’elles ont failli chez elles ?
B.D. : Lors de mes visites dans nos différentes implantations africaines, je rencontre les autorités monétaires et des clients, et je n’ai pas l’impression que ce constat soit partagé. Nous ne sommes pas mis au pilori parce que nous nous appelons Société générale, loin s’en faut : notre image de marque historique sur le continent africain est plutôt bonne. Si une enquête sur l’image des banques était menée en Afrique, il y aurait certainement un écart dans les résultats avec ce qu’on peut constater en Europe ou aux États-Unis.
Des groupes bancaires panafricains émergent depuis quelques années. Ils prétendent notamment avoir une meilleure connaissance de la réalité africaine et des besoins locaux que les banques internationales. Que répondez-vous ?
P.L.B. : Le fait que nous soyons toujours le leader dans les grands pays africains est assez significatif. Nous y sommes présents depuis cinquante ans et avons acquis une connaissance des économies africaines. Nous étions très axés sur la clientèle d’entreprises, nous sommes désormais aussi davantage présents auprès de la clientèle des particuliers, qui ne fonctionne plus exclusivement avec du cash. Aujourd’hui, au-delà des services bancaires de base, nous pouvons aussi leur offrir de nouveaux produits innovants, entre autres dans le domaine des cartes, notamment parce que les banques centrales en zone CFA en permettent désormais le développement.
B.D. : Nous avons maintenu nos parts de marché, ce qui est certainement dû au fait que nous prenons en compte les spécificités du marché local.
Les banques françaises privilégient depuis quelque temps un développement en Europe de l’Est et autour du bassin méditerranéen, semblant mettre de côté l’Afrique subsaharienne. Comment l’expliquez-vous ?
P.L.B. : La Société générale est leader dans de nombreux pays d’Afrique, cependant un certain nombre des banques françaises n’avaient quant à elles pas atteint un seuil minimum en termes de part de marché et de rentabilité, et ne voyaient pas d’opportunités de développement externe ou organique. Elles en ont tiré des conclusions en matière de banque de détail.
B.D. : Historiquement, certaines banques françaises qui étaient bien positionnées en Afrique ont subi des mouvements de réorganisation qui les ont poussées à se désengager. Cela s’est fait dans le cadre d’une stratégie d’ensemble, pas par désamour du continent. Désormais, les banques vont moins se ruer sur les pays émergents : leurs moyens sont plus limités et les développements à l’étranger seront plus sélectifs. Il faut noter également que les pays subsahariens ont des taux de croissance qui sont inférieurs à ceux qu’on a connus dans les pays d’Europe de l’Est. Il y a de surcroît des concentrations d’actifs importants et il n’y a pas forcément encore d’émergence d’une classe moyenne forte.
L’Algérie a été un pays stratégique pour vous et vous vous y êtes développé fortement. Depuis environ deux ans, les autorités algériennes prennent des décisions gênantes pour les banques, comme l’interdiction du crédit à la consommation. Quelle est votre position ?
B.D. : L’Algérie reste un pays stratégique. Il est vrai que l’environnement n’est pas facile, mais nous nous adaptons et essayons de faire connaître notre point de vue aux autorités.
P.L.B. : Nous maintenons notre politique d’ouverture d’agences. Cinquante-quatre agences étaient ouvertes à la mi-2009, 80 devraient être opérationnelles d’ici à la fin de l’année car nous attendons beaucoup d’agréments pour ces agences. L’objectif est d’en avoir 150 en 2015.
Votre situation en Afrique subsaharienne est paradoxale. Vous êtes un des principaux groupes bancaires sur place, et le premier en zone CFA, mais vous n’avez développé aucune nouvelle implantation depuis 2004. Pourquoi ?
P.L.B. : Je vous rappelle que nous nous sommes positionnés récemment sur la privatisation de la Banque internationale du Mali. Mais il est vrai que nous n’avons pas une politique de développement au sud du Sahara à n’importe quel prix. Notre ambition reste de poursuivre notre croissance et d’accompagner nos clients, en ouvrant des agences et en développant notre offre de produits et services dans les pays où nous sommes déjà présents : pour les particuliers, nous avons mis en place des cartes comme la carte salaire, développé des offres pour le logement, le crédit à la consommation. Nous venons également de lancer une solution innovante de paiement par mobile. Nous avons par ailleurs standardisé l’offre de produits et mutualisé les infrastructures, dont l’informatique. Et nous comptons ouvrir de 15 à 20 agences par an sur les grands marchés : la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun.
B.D. : Nous voulons avoir une approche de banque universelle avec un développement conjoint et corrélé du segment corporate et du segment des particuliers. Lorsque nous travaillons avec une entreprise, par exemple, nous cherchons à avoir ses salariés comme clients.
P.L.B. : Les grandes entreprises restent notre socle de base mais nous visons également les PME en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD), via la convention Ariz [Assurance pour le risque de financement de l’investissement privé en zone d’intervention de l’AFD, NDLR], qui nous permet de bénéficier d’une garantie de l’AFD à hauteur de 50 %.
Mis à part le Ghana, vous n’êtes pas présents dans les pays anglophones. Êtes-vous candidat à la reprise d’une banque au Nigeria, pays dont les établissements financiers connaissent de grosses difficultés depuis deux ans ?
P.L.B. : Nous étions présents au Nigeria et l’avons quitté il y a un certain temps, l’expérience n’ayant pas été concluante. À ce jour, nous n’envisageons pas un retour dans ce pays.
Et ailleurs ?
P.L.B. : Il est difficile d’imaginer se développer en Afrique du Sud, qui est un marché déjà bien desservi par les banques. Le Kenya a fait partie des pays auxquels nous nous étions intéressés mais les événements politiques ont bien évidemment impacté nos perspectives sur ce marché.
B.D. : Nous avons un spectre global de rayonnement géographique et celui-ci doit être équilibré dans son développement. Nous regardons des dossiers en Afrique mais aussi dans de nombreuses autres régions du monde.
Pourriez-vous, comme Crédit agricole, céder vos filiales subsahariennes ?
B.D. : C’est une question qui n’est pas à l’ordre du jour. Nous maintenons nos positions en Afrique.
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