Rif marocain, briser le silence

Le particularisme de la migration rifaine en Belgique, aux Pays-Bas, et au nord de France est très méconnue des Européens.

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  • Ayad Zaroual

    Ayad Zaroual est militant associatif et chercheur au LISST de l’Université de Toulouse. Il a accompagné sur le terrain divers programmes internationaux au Maroc et en France sur la participation citoyenne.

Publié le 1 avril 2016 Lecture : 3 minutes.

La violence et la mort d’une partie de la jeunesse européenne dans les attentats de Bruxelles, de Paris, et avant en Espagne ou aux Pays-Bas laissent indifférent la nomenclatura intellectuelle (marocaine et européenne), obsédée qu’elle est par une radicalité qui s’islamise (Stéphane Lacroix) – une obsession qui évince de la réflexion toute prise en compte des traumatismes historiques et leur intégration dans les mémoires localisées des populations dont sont issus nombre de terroristes.

Le raisonnement dominant cache des problématiques historiquement constituées, autrement plus politiques, qui permettent de dépasser le déni du réel et de comprendre la singularité et les aléas de ces processus de radicalité dans des situations concrètes. Les quartiers de Wazemmes, Roubaix, Anvers ou Moleenbeck portent une mémoire forte de ressentiment, réactivée en exil et que décrit justement Pierre Vermeren dans le « choc de la décolonisation», loin des schèmes d’identité religieuse ou de l’endoctrinement.

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Les Belges ou les Français n’avaient cultivé aucune connaissance de l’identité particulière du rif. Or celle-ci s’explique justement par un déni de mémoire, une prétention de contrôler à moindre coût, un pari sur la domestication et l’accommodement communautaire qui s’est effectué d’avantage par l’intermédiation des figures personnelles et des imams que par la médiation des élites et l’intégration.

Le territoire du rif marocain, frontalier de l’Europe, est un pays berbère épais en identité comme en culture. C’est une marge de la Méditerranée qui a négocié de façon violente et moins pacifiée que le Souss sa loyauté pendant la guerre du rif et qui tombe en léthargie dès son entrée dans le Maroc indépendant. Sa soumission conditionnée par la rente d’un trafic international a forgé une culture politique d’appartenance spécifique et un capital social transnational, valorisé par des activités illégales. L’actualité de cette culture politique et de ce savoir faire suit la jeunesse rifaine en exil jusqu’à Rotterdam, Moleenbeck ou Lille, réactivée par la jonction de certains religieux mafieux et d’une économie criminelle.

Les chantiers de réparation et de développement ouverts par le règne du roi Mohammed VI pour corriger les ostracismes du régime précédent se heurtent à une départicipation des rifains qui ressentent mal ce changement. Et le marché de la coopération internationale, axé sur le langage du projet international et de la demande, se prête peu à l’inclusion de ces berbères. La classe politique au Maroc, peu soucieuse de la participation politique de ces marges – car dépolitisées, lointaines et et ne parlent pas la langue arabe – est aussi indifférente que l’élite locale européenne aux questions de migration rifaine, estimant que l’on pouvait la traiter par la domestication et l’intermédiation des imams (waâd wal  irchad).

Même le Maroc, jusqu’aux attentats de 2003, s’est laissé piéger par cette islamisation

Dans plusieurs quartiers d’Europe, les rifains constituent des communautés denses et enfermées sur leur langue, livrées à l’économie frontalière de la pauvreté et du transnational. À partir des années 90, une poignée de prédicateurs salafistes fuyant l’autoritarisme des États arabes (Algérie, Égypte, Arabie Saoudite), et particulièrement efficaces dans la manœuvre de ces quartiers désintégrés, se sont alors intéressés à eux. Et ont converti une partie de cette jeunesse exaltée et dissidente. Il faut souligner que même le Maroc, jusqu’aux attentats de 2003, s’est laissé piéger par cette islamisation au risque d’un déséquilibre politique. Il suffit de creuser un peu en arrière pour se rendre compte de ces dérives wahhabistes au sein du département des Habous et des Affaires religieuses.

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La prise en charge récente du champ religieux par le royaume chérifien n’y changera rien. Car cette médiation diffuse par les imams – et non par l’expertise ou le gouvernement du social – ne rencontre ni la culture, ni la langue de la jeunesse rifaine et encore moins leur imaginaire politique qui se fabrique aux confins des frontières.

Ce refoulé intergénérationnel, cultivant la mémoire de la bataille d’Anoual et Abdelkrim El Khattabi, et hostile aux intermédiaires du Makhzen, cadres religieux ou ministériels, ont poussé les Rifains à s’enfermer dans leur langue propre, dans leurs familles et dans leur clans, dans une économie mafieuse et frontalière. Longtemps, le pays des berbères du Rif constitua une rente internationale pour l’État marocain. Dans un contexte global, les jihadistes découvrent les ressources d’un Rif transnational. L’Europe en découvre les externalités négatives.

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