France – Tribal-Kat : sept ex-pirates somaliens jugés à Paris
Mardi s’est ouvert en France le dernier procès de la piraterie somalienne en Europe. Dans le box des accusés de la Cour d’assises de Paris, sept Somaliens sont jugés pour la prise d’otages d’un navire de plaisance français en 2011 au cours de laquelle le skipper Christian Colombo avait été abattu.
Les faits
C’est une épreuve. Evelyne Colombo, la veuve du skipper aura dû patienter près de cinq longues années pour qu’enfin se tienne la première audience du procès de sept de ses assaillants. Jusqu’au 15 avril, ces derniers sont jugés pour avoir attaqué le catamaran du couple de plaisanciers, le Tribal-Kat.
Le 8 septembre 2011, le couple Colombo, qui a entamé un tour du monde en 2009, a quitté le port d’Aden (Yemen) depuis cinq jours, direction Oman, une zone alors réputée dangereuse en raison des nombreuses attaques de pirates. À 13H17, le catamaran français long de 16 mètres lance un appel de détresse, intercepté par un navire japonais. Quelques heures plus tard, c’est une frégate allemande qui découvre le Tribal-Kat, vide. Les impacts de balles sur la coque du navire et la marre de sang dans le cockpit dans laquelle se trouvent les lunettes de Christian Colombo, laissent présager le pire. Deux jours plus tard, c’est un navire de guerre espagnol qui repère un skiff suspect. En tentant de l’approcher, les militaires espagnols doivent reculer : à son bord Evelyne Colombo est mise en joue par les occupants de l’embarcation. Un assaut sera donné un peu plus tard, au cours duquel le chef du commando, « Shine », et son lieutenant Abdullahi Yare seront tués.
Après sa libération, Evelyne expliquera que son mari, Christian, a été tué lors de l’assaut des pirates. Son corps, jeté par-dessus bord, ne sera jamais retrouvé.
Lost in translation
Les sept hommes entrent les uns après les autres dans le box des accusés. La plupart sont en survêtements. Ils s’assoient et scrutent la salle. Evelyne Colombo, entourée de ses deux filles et de ses proches, regarde fixement devant elle, et ne détournera pas le regard.
Après quelques minutes seulement, l’audience est marquée par les protestations de l’un des accusés : il estime ne pas comprendre son interprète, d’origine djiboutienne. « C’est sérieux ici, c’est un tribunal », lance-t-il, très tendu. Le juge s’étonne, rappelant que « pendant tous les actes de l’instruction, il n’y a pas eu de difficultés ». L’accusé se prend la tête entre les mains après avoir, une nouvelle fois, exigé un interprète somali. « L’accusé en a un, il me semble. D’ailleurs il répond aux questions », souligne l’avocate générale. L’audience se poursuit donc.
« Shine », le chef mort que l’on charge
Les sept hommes, âgés entre 25 et 32 ans, répondent aux questions du juge les uns après les autres. Avant la piraterie, l’un d’entre eux était pêcheur, un autre était chauffeur de taxi, ou encore « sans emploi ». Un autre, ancien éleveur nomade, déclare être « né dans la brousse sous un arbre ». Jusqu’à ce que leur route croise celle de Shine, le chef du commando, et de son lieutenant Abdullahi Yare, qui, selon eux, les ont embarqués dans ce drame.
C’est du moins ce qui va ressortir de la longue lecture par le juge du rapport introductif comportant les procès verbaux des accusés. Presque tous à charge contre les deux chefs qui ont aujourd’hui ne sont plus là pour répondre.
Comprendre « sans excuser »
L’un des objectifs de la défense sera de tenter d’expliquer – « sans pour autant excuser » a déclaré à la presse Me Martin Reynaud qui défend l’un des accusés – ce qui a conduit ces hommes sur la route de la piraterie : un pays ruiné par la guerre et l’impossibilité de protéger ses ressources naturelles. « Pour qu’ils soient jugés, il faudra que la cour comprenne de quel enfer ils viennent », a ajouté l’avocat, pleinement conscient de la « douleur » des parties civiles et de la famille de la victime.
Le journaliste Paul Moreira fait ainsi partie des témoins cités à comparaître. Son documentaire Toxic Somalia, l’autre piraterie sera ainsi diffusé lors de l’audience du 7 avril.
Mais le témoignage d’Evelyne Colombo sera un moment clé du procès. Elle éclairera les circonstances dans lesquelles Christian a tenté de repousser les assaillants du Tribal-Kat avec un pistolet d’alarme et un pistolet de type 22 long rifle. Mais c’est surtout la description précise qu’elle apportera de la violence de l’assaut qui pourrait fortement peser dans ce procès. La lecture du rapport introductif a en effet clairement rappelé que la majorité des pirates, armés de cinq AK 47 et d’un lance-roquette, ont montré une ferme résistance à l’armée espagnole.
Jugés pour détournement de navire ayant entraîné la mort, ils encourent la réclusion à perpétuité.
Ce procès devrait être le dernier du genre sur le territoire européen. Depuis le lancement de l’opération militaire «Atalante» de l’Union européenne, la piraterie au large de la Somalie a nettement diminué.
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