Crise économique : l’Afrique dans l’oeil du cyclone

La crise menace. L’économie mondiale basculera-t-elle dans une nouvelle récession ? Trouvera-t-elle un regain de croissance ? Dans ce contexte troublé, l’Afrique est désormais mieux armée pour affronter une éventuelle tempête.

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 5 septembre 2011 Lecture : 6 minutes.

La semaine économique du 22 au 26 août a été calme. Pas de folie boursière comme au début du mois. L’or, valeur refuge qui était montée jusqu’à 1 913 dollars (environ 1 330 euros) l’once (lire aussi l’analyse p. 61), a perdu plus de 100 dollars en deux jours. Les Bourses de New York, Londres, Paris, Francfort ou Shanghai ont retrouvé le sourire avec l’espoir d’une remontée des cours, après le « massacre » pratiqué depuis un mois. Rémission avant un grand plongeon dans la récession ? Ou retour à la raison ?

L’hypothèse rose n’est pas sûre, car cette douce euphorie était due à la croyance par les marchés que Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale (FED) américaine, annoncerait, vendredi 26 août à Jackson Hole (Wyoming), qu’il ouvrirait en grand les vannes monétaires pour soutenir une croissance américaine frappée de léthargie.

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À l’heure où se bouclait ce numéro, les déclarations du patron de la FED n’étaient pas encore connues. Il faudra donc attendre lundi 29 pour savoir si les marchés sont rassurés par les mesures qu’il a promis de prendre ou bien s’ils renouent avec la peur panique d’une récession, précipitant la chute des cours et le coup de froid conjoncturel redouté.

Les prévisionnistes avaient annoncé de longue date un ralentissement de la croissance mondiale. On savait qu’après la remontée à 5,1 % en 2010, celle-ci retomberait un peu en dessous de 4 %. Mais les belles statistiques du premier trimestre avaient bercé les marchés d’illusions et leur avaient fait s’imaginer que la crise était finie.

Investisseurs affolés

Inexorablement, deux freins étaient pourtant à l’œuvre, qui ont commencé à faire sentir leurs effets dépressifs au printemps : la hausse du prix des matières premières, et notamment du pétrole, qui a rogné un peu partout dans le monde le pouvoir d’achat du consommateur au moment où celui-ci avait du mal à conserver son emploi ; la nécessité pour les États de réduire vite leurs déficits publics pour éviter que leur dette ne devienne insupportable, à l’instar de celle de la Grèce.

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C’est la découverte des montagnes de dettes accumulées aux États-Unis comme en Europe qui a commencé à inquiéter les investisseurs. Puis, ceux-ci ont mesuré l’inconsistance des responsables politiques européens, incapables de s’accorder pour sauver la Grèce. Ils ont donc commencé à vendre en avril leurs actions et leurs contrats à terme sur les matières premières, désireux de rester « liquides » pour éviter les mauvaises surprises.

En juillet, c’est la peur d’une faillite des États-Unis, bloqués par le plafond législatif de leur dette, qui a affolé, d’autant que le compromis médiocre signé entre républicains et démocrates pour réduire les déficits a débouché sur la dégradation de la note de la première économie mondiale par Standard & Poor’s, le 5 août.

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Aujourd’hui, la frousse s’est portée sur la croissance. On dit que la Chine ralentit son train d’enfer. On dit que les émergents vont devoir prendre des mesures pour calmer leur inflation qui, au Vietnam, a atteint un taux de 23 % sur un an. On dit que les États-Unis et l’Europe vont retomber en récession, le double dip – récession suivie d’une reprise suivie d’une nouvelle récession – prédit par les Cassandre, parce qu’il va falloir y augmenter les impôts et donc y étrangler la consommation et les investissements.

Les chiffres attendus ne confirment pas cela. Il est vrai que la croissance a été à l’arrêt en France et en Allemagne au deuxième trimestre, mais l’économie chinoise ne ralentit toujours pas et le géant asiatique commande toujours plus de charbon à l’Australie et de maïs aux États-Unis. Il est vrai que l’Amérique émet des signaux contradictoires : le marché immobilier y est toujours au plus bas et celui du travail déprimé, mais les commandes de biens durables se redressent depuis trois mois et la balance commerciale ne se porte pas trop mal. Parmi les grandes économies, il n’y a qu’en Italie et qu’au Japon, pour cause de séisme, que la crise menace à nouveau, et encore pour un ou deux trimestres seulement, ce qui ne permet pas de parler de grave récession comparable à celle de 2008-2009.

En attente

Malheureusement, « tous les moteurs qui ont tiré la reprise en 2009 et 2010 s’arrêtent en ce moment même », commente Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management. « Les pays émergents éprouvent le besoin de digérer leur reprise qui nous a sortis de la récession : leur dynamique est moins robuste. Les pays industrialisés ne peuvent plus pratiquer de politiques de relance pour cause de finances publiques en mauvais état. Les émergents attendent une impulsion des industrialisés et les industrialisés l’espèrent des émergents ! »

Tout le monde attendant tout le monde, l’analyste se dit perplexe sur les occasions de redémarrage. « Peut-être les pays émergents ? se demande-t-il. Peut-être la poursuite de la baisse des prix des matières premières, dont le pétrole, ce qui redonnerait du pouvoir d’achat aux consommateurs ? »

Les risques pour la santé de l’économie mondiale s’accumulent. « Le moindre choc sur les marchés financiers pourrait créer un basculement que personne n’a les moyens de compenser, s’inquiète Waechter. Nous estimons qu’il y a 60 % de chances pour que la croissance demeure très modeste et 40 % pour que se déclenche une récession. » Chez Oddo Securities, on parle de 50/50. Sur le fil du rasoir…

« Verre à moitié plein »

À l’évidence, les pays en développement ne seront pas les premiers frappés par le ralentissement. Leurs habitants ne placent pas leur épargne en Bourse et, en cas d’effondrement des cours, ils ne réduisent pas leur consommation comme les ménages occidentaux. Leurs entreprises ont déjà du mal à trouver des prêts et il est peu vraisemblable qu’un ralentissement aggrave la frilosité des banques. Le péril est ailleurs.

« Dans un contexte mondial où le débouclage des dettes privées et publiques est à peine à son commencement, l’Afrique présente un verre à moitié plein », estime Jean-Philippe Stijns, économiste au Centre de développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Avec les pays émergents, elle a rebondi de façon plus vigoureuse que le monde industrialisé et ce n’était que justice, car elle n’était pour rien dans la naissance de la crise. Ses banques n’avaient pas succombé à la sophistication financière occidentale et n’avaient pas commis de bêtises. Il n’y a donc pas eu de récession en Afrique, même si les économies les plus ouvertes comme celles du nord du continent ou d’Afrique du Sud ont connu un choc plus violent que les autres. »

Et si le double dip se produisait dans les prochains mois ? « L’Afrique a changé, répond Jean-Philippe Stijns. Sa croissance est plus constante et mieux répartie qu’autrefois, où elle ne concernait que deux ou trois pays vedettes. Le continent a amélioré ses politiques publiques, son climat des affaires et sa stabilité macroéconomique, notamment en matière d’inflation. Il partage la vitalité des économies émergentes. La part de son commerce avec les pays hors OCDE est passée de 23 % à 39 %. Il a diversifié ses partenaires et se trouve donc plus robuste pour affronter un ralentissement toujours possible, car si l’Europe, son partenaire majeur, bat de l’aile, l’essoufflement de ses exportations est assuré. »

On peut imaginer que les secteurs les plus touchés par cet éventuel coup de froid seront effectivement les secteurs exportateurs, c’est-à-dire les industries extractives (minéraux, hydrocarbures), les agricultures de rente (coton, sucre), la pêche, mais aussi ceux qui accompagnent les exportations, à savoir les transports (dont les ports et aéroports) et les banques.

Reste qu’on voit mal la Chine et les autres pays émergents, qui connaîtront immanquablement des taux de croissance vigoureux, se détourner longtemps des filons, des gisements et des champs africains. Ils ont trop besoin de ces matières premières pour poursuivre leur rattrapage accéléré. « La course aux richesses naturelles de l’Afrique n’est pas près de finir ! » conclut Jean-Philippe Stijns. Autrement dit, même si double dip il devait y avoir, le continent en souffrirait moins et moins longtemps que les riches pays du Nord.

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