Alain Juppé et le génocide des Tutsis au Rwanda

Alain Juppé était ministre des Affaires étrangères de 1993 à 1995, puis fut Premier ministre de 1995 à 1997, des moments clés dans la gestion du génocide.

Des Rwandais commémorent le 20e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda, le 7 avril 2014 à l’Amahoro Stadium de Kigali. © Ben Curtis/AP/SIPA

Des Rwandais commémorent le 20e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda, le 7 avril 2014 à l’Amahoro Stadium de Kigali. © Ben Curtis/AP/SIPA

BIZIMANA_Jean_Damascene
  • Jean Damascene Bizimana

    Jean Damascene Bizimana est secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) au Rwanda.

Publié le 6 avril 2016 Lecture : 3 minutes.

Il a pris, pendant cette période, des décisions qui ont eu une influence sur la perpétration du génocide au Rwanda. Il y a quelques jours, le 1er avril 2016, Juppé diffusa un tweet dans lequel il déclara : « Faire procès à la France de porter une part de responsabilité dans le génocide au Rwanda est une honte et une falsification historique. » C’est désormais une habitude qu’à la veille de la commémoration du génocide perpétré contre les Tutsis, des responsables français impliqués de près ou de loin se précipitent pour diffuser le mensonge et le déni de leurs responsabilités.

Le 5 avril 1994, deux jours avant le début du génocide, la diplomatie française dirigée par Alain Juppé a soutenu au Conseil de sécurité des Nations unies les revendications du parti extrémiste rwandais, Coalition pour la défense de la République (CDR), demandant son entrée dans le gouvernement de transition, alors que les accords d’Arusha ne le prévoyaient pas. Soutenir le radicalisme ethnique de la CDR signifiait appuyer son idéologie génocidaire.

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Le 8 avril 1994, Alain Juppé présida une réunion interministérielle au cours de laquelle il fut décidé d’envoyer une compagnie de parachutistes et des forces spéciales françaises au Rwanda. Il fut en même temps décidé de le faire discrètement sans en informer les Nations unies et les autres membres du Conseil de sécurité. C’est l’opération Amaryllis qui a permis à la France d’acheminer à Kigali des armes destinées aux forces armées rwandaises qui commençaient ouvertement la perpétration du génocide.

Le 21 avril 1994, lors des débats aux Nations unies portant sur la qualification juridique des tueries en cours au Rwanda, l’ambassadeur français Jean-Bernard Mérimée, aux ordres d’Alain Juppé, effectua un gros travail de lobbying pour éviter que le Conseil de sécurité n’utilise l’expression « génocide ». Ce refus de qualification permit au Conseil de sécurité de ne pas prendre de mesures pour sauver les civils innocents qui étaient exterminés au Rwanda.

Le 27 avril 1994, Alain Juppé a reçu une délégation du gouvernement génocidaire composée de deux extrémistes notoires, Jean-Bosco Barayagwiza et Jérôme Bicamumpaka. Alain Juppé n’a jamais condamné à cette occasion les actes criminels qu’accomplissait ce gouvernement et une aide politique et militaire leur a été promise.

Le 28 avril 1994, Alain Juppé ne parlait toujours pas de génocide dans ses dépêches diplomatiques, mais plutôt de « combats et de massacres d’une très rare violence (qui) se poursuivent dans ce malheureux pays déchiré par une guerre tribale ». À cette date, il n’y a pourtant aucun doute possible que ces massacres constituaient un génocide.

Le comité de gestion de l’opération Turquoise a pris la décision de laisser poursuivre les tueries contre les Tutsis

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L’opération Turquoise s’est déroulée au Rwanda du 22 juin au 22 août 1994. Un comité restreint de gestion de cette opération a été mis en place à Paris et comprenait notamment Édouard Balladur, Alain Juppé, François Léotard, Bruno Delaye et le général Quesnot. Ce comité a pris la décision de ne pas désarmer les milices Interahamwe, et de les laisser poursuivre les tueries qu’ils commettaient sur les Tutsis. Un procès verbal d’une réunion du 4 juillet 1994 indique : « instructions données à nos forces de s’opposer dans cette zone à toute pénétration de groupes armés et à toute activité militaire. Il n’est pas envisagé dans l’immédiat de désarmer les FAR et les milices qui s’y trouvent ».

Pendant Turquoise, l’ordre de protéger les membres du gouvernement intérimaire, responsable du génocide a été donné par Alain Juppé. Le général Jean-Claude Lafourcade l’a écrit dans une note du 13 juillet 1994 destinée à ses subordonnés : « J’ai posé la question à notre diplomatie de la conduite à tenir vis-à-vis de membres du gouvernement intérimaire qui viendrait [sic] se réfugier dans la Zone Humanitaire Sûre. A priori, sauf menaces directes sur les populations, nous n’avons pas à arrêter ni à séquestrer personne ». Ce soutien a permis au gouvernement génocidaire et à son armée de poursuivre en toute impunité l’élimination des derniers Tutsis encore en vie dans cette zone.

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Le 16 mai 1994, Alain Juppé a publié un article dans le journal Libération signalant qu’un génocide se commettait au Rwanda, sans dire clairement de quel génocide il s’agissait. Certains ont pensé qu’il finissait enfin par reconnaître l’évidence de ce crime des crimes. Mais un mois après, le 16 juin 1994, Alain Juppé sortit un autre article clarifiant sa position selon laquelle il y avait eu un double-génocide au Rwanda.

Il ne s’agit pas là d’une falsification de l’histoire comme le prétend Alain Juppé. Bien au contraire, il s’agit de la vérité historique que personne ne pourra raisonnablement nier.

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