Les malheurs de Mopti, désertée par les touristes
Victime collatérale de la crise sécuritaire, la région malienne s’est vidée de ses touristes occidentaux. De la légendaire cité de Djenné à l’époustouflante falaise de Bandiagara, voyage en pays sinistré.
À la confluence du fleuve Niger et du Bani, Mopti, la Venise du désert, est au cœur du triangle touristique malien, qui compte deux sites classés au patrimoine de l’humanité : Djenné et sa majestueuse mosquée d’architecture soudanienne, et le plateau dogon, ses falaises aux maisons troglodytiques et ses villages atypiques. Sur l’une des nombreuses corniches de Mopti (115 000 habitants), l’hôtel Kanaga. Désespérément vide.
De l’autre côté du fleuve, des dizaines de pirogues attendent des touristes qui ne viendront pas. « Deux mois que je n’ai pas fait la moindre sortie sur les îlots, déplore Issa, 32 ans, qui a investi toutes ses économies dans l’achat de trois pirogues aménagées à grands frais. Sans compter qu’entre octobre et mars dernier, je n’ai même pas enregistré quarante passagers… Cinquante fois moins qu’il y a deux ans. » Pour Issa, si la situation ne change pas rapidement, c’est la faillite assurée.
Mis sur la paille. « On s’approche dangereusement du point de rupture, confirme Thiémoko Dembélé, 38 ans, président-directeur général du Bambara African Tour et propriétaire du Kanaga. La chute de fréquentation m’a contraint à fermer l’hôtel du Cheval Blanc, à Bandiagara, ce qui a mis sur la paille plus d’une trentaine d’employés. Le Kanaga a dû se séparer de la moitié de son personnel. Ceux qui sont restés ne font que de l’entretien, en attendant des jours meilleurs. »
Selon l’Association malienne des professionnels du tourisme (AMPT), le secteur accuse une baisse d’activité de 60 % par rapport aux années fastes, de 2006 à 2008. Le pays accueillait alors 85 000 visiteurs par an, pour un séjour moyen de sept nuitées, dont trois dans la région de Mopti, chaque touriste dépensant quotidiennement 80 euros. Ce qui générait des recettes annuelles de l’ordre de 20 millions d’euros pour Mopti et sa périphérie. En 2010, ce chiffre est tombé à moins de 5 millions d’euros.
Grenier vide. À Djenné, relié au reste du monde par un bac traversant le fleuve Niger, la situation n’est pas moins dramatique. La présence d’étrangers se limite aux employés occidentaux et chinois des groupes internationaux opérant dans les grands projets lancés par le chef de l’État dans le cadre du Programme de développement économique et social (PDES), chantiers qui maintiennent autant que faire se peut l’activité économique dans la région. Sur plus de deux cents guides agréés par l’Office malien du tourisme et de l’hôtellerie (Omatho) à Djenné, il en reste à peine une vingtaine. Les autres, découragés, sont partis chercher leur pain quotidien à Bamako, grossissant le nombre de vendeurs à la sauvette de la capitale. Une régression sociale et économique difficile à vivre.
Les centres urbains (Mopti, Bandiagara et Djenné) ne sont pas les seuls à payer la lourde facture de la crise sécuritaire. « Dans les villages, c’est grenier vide », résume Moussa Sangaré, chauffeur pour un loueur de véhicules. Si, touristes ou pas, la production agricole locale trouve toujours preneur, les prix de vente ont connu une baisse vertigineuse. « Un restaurateur paie plus cher que le chaland d’une foire hebdomadaire. Or, ledit restaurateur ne nous achète presque plus rien », se lamente Djibril Sow, qui a monté une entreprise de distribution de produits maraîchers à Mopti. Quant aux pêcheurs et artisans, ils n’écoulent plus qu’une portion congrue de leur production.
Zone interdite. À Bandiagara (qui compte 15 000 habitants), capitale du pays dogon, les établissements hôteliers et les camps sont à l’agonie. Pour Ousmane, 29 ans, enfant du village de Djiguibombo et guide touristique, le « plateau » (terme désignant les falaises du pays dogon) « est sans doute la région la plus sûre du monde. Cela n’empêche pas des patrouilles de l’armée française [dans le cadre de la coopération militaire entre les deux pays, NDLR] de faire la traque aux touristes français qui ont bravé l’interdit, c’est-à-dire la recommandation de leurs autorités d’éviter la région. Elles les chassent des villages et des camps, les obligeant à retourner à Bamako. De quoi décourager le plus hardi des amoureux de la culture et des paysages dogons ». Et pourtant, ils sont à couper le souffle.
Mais Bandiagara veut encore y croire. Jeune investisseur, Papa Napo, 28 ans, vient de racheter à ses associés suisses leurs parts dans l’hôtel La Falaise. « La situation est critique, mais nous devons tenir. Je fais partie des gens qui veulent être là quand l’activité redémarrera. » Seule note d’optimisme au cours d’un voyage dans un pays dogon bien sinistré.
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Cherif Ouazani, envoyé spécial à Mopti
Souleymane Coulibaly : « Ce n’est plus de la prudence, c’est de l’acharnement »
Président de l’Association malienne des professionnels du tourisme
Jeune Afrique : Qui tenez-vous pour responsable de l’importante baisse de la fréquentation touristique ?
SOULEYMANE COULIBALY : Certainement pas la rébellion touarègue, qui n’a jamais constitué une menace pour nos visiteurs internationaux. Ni les djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique [Aqmi, NDLR], phénomène étranger à notre pays, où le seul enlèvement a été celui de Pierre Camatte, avec un dénouement heureux [le retraité français enlevé fin novembre 2009 a été libéré en février 2010].
Nos malheurs ont débuté avec le « travel warning » émis en 2008 par le Quai d’Orsay. Avertissement de l’ex-métropole qui a évidemment influencé la politique des autres membres de l’Union européenne. Si les autorités françaises ont fait preuve d’une prudence légitime, elles ont à nos yeux considérablement exagéré la menace. Ce n’est plus de la prudence, c’est de l’acharnement.
Quelles mesures avez-vous prises face à cette situation ?
S’agissant d’une crise de confiance entre États, le rôle des opérateurs ne peut être que consultatif. En janvier 2011, nous avons saisi le président malien et son Premier ministre pour que cette confiance soit restaurée à travers une révision drastique de la communication officielle. Nous désirons être associés à l’élaboration de cette nouvelle stratégie.
Et si les directives de prudence ne sont pas levées…
Ce serait une catastrophe pour des milliers d’emplois directs et des dizaines de milliers d’emplois indirects. Nous réfléchissons à des alternatives au tourisme occidental, en ciblant les pays d’Europe de l’Est, par exemple. Nous essayons également de promouvoir le tourisme national pour améliorer le taux d’occupation de nos établissements hôteliers, tombé de 70 % en 2007 à moins de 10 % en 2010.
Nous envisageons aussi de sortir du seul tourisme culturel. Personnellement je mise sur le tourisme sanitaire : construire un centre de santé ultraperformant, importer un équipement médical de pointe et faire appel aux plus grands spécialistes et chirurgiens pour convaincre les patients ouest-africains de venir se faire soigner chez nous plutôt qu’en France ou en Afrique du Sud. Nous avons signé de nombreux accords avec des établissements tunisiens et occidentaux pour mener à bien ce projet.
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Propos recueillis à Bamako par Cherif Ouazani
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