« Ils sont fous, ces Français ! »
« Quel drôle de pays que la France… » Commentaire agacé et un rien sarcastique d’une passagère africaine en transit à Roissy, contrainte d’attendre son vol de nombreuses heures en raison d’une grève des aiguilleurs du ciel, à laquelle s’ajoutera celle du personnel au sol, puis celle des bagagistes.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 11 avril 2016 Lecture : 4 minutes.
« Ils sont fous dans ce pays, fulmine notre passagère, ils ont tout et ils trouvent le moyen de râler en permanence et passent leur temps à manifester ou à faire la grève ! »
La France est mal dans sa peau et ne laisse pas de le faire savoir bruyamment, par tous les moyens et canaux possibles. Creuset de cette dépression générale : le front économique et social. Confiance des consommateurs en berne (son plus bas niveau historique), chômage parmi les plus élevés de la zone OCDE, dette abyssale et qui ne cesse de se creuser, déficits structurels que les gouvernants laissent courageusement filer : silence, on sombre ! Et ce ne sont pas les incantations d’un François Hollande – qui aura réussi l’exploit de décevoir encore plus que Nicolas Sarkozy, donnant même l’angoissante impression de naviguer à vue – qui permettront de renflouer un navire qui prend l’eau de toutes parts.
La croissance de l’Hexagone est toujours l’objet d’un avis de recherche, alors que la majorité de ses partenaires ou concurrents, eux, sont déjà engagés sur le chemin de la reprise. Ajoutons à ce sombre tableau de nouveaux ingrédients tout aussi inquiétants : l’affaiblissement de l’autorité de l’État, l’augmentation de la violence et des incivilités, l’effondrement d’un certain nombre de valeurs (éducation, respect, travail, famille, solidarité, etc.), le fractionnement de la société, avec son lot de corporatismes rigides.
Leur obsession : tout changer… pour que rien ne bouge
La cause de ce déclin ? L’absence de réformes et donc de résultats, et le vide intersidéral à la tête du pays. Pourquoi ? Tout simplement parce que ses élites, politiques mais pas seulement, se complaisent depuis des lustres dans l’immobilisme. Des élites consanguines, issues des mêmes grandes écoles (au premier rang desquelles l’ENA) et souvent des mêmes milieux sociaux, formant une véritable caste réunie autour du roi du moment et qui détient et accapare tous les pouvoirs, politique, judiciaire, économique et médiatique. Leur obsession : tout changer… pour que rien ne bouge.
Par peur des Français, et donc des électeurs, réputés ingouvernables, frondeurs et adeptes du renversement brutal de table, comme on le répète ici et là ? Fadaises ! La majorité de ces derniers sont comme leurs dirigeants : pourvu qu’on ne touche à rien, et surtout pas à leurs fameux « acquis ». Et comme la France, contrairement à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne, au Royaume-Uni ou à l’Italie, n’a pas connu de véritable crise, elle se laisse doucement et paresseusement couler, comme si elle cherchait inconsciemment à toucher le fond afin de pouvoir enfin se persuader que la seule issue est justement de changer radicalement, de se remettre en question, de faire des choix douloureux aujourd’hui pour que demain ne meure pas. Cette procrastination collective est comme une seconde nature chez les Français, enclins naturellement à la décadence, car ils ont précisément, comme le disait notre voyageuse engluée à Roissy, tout sous la main, Dame Nature ayant veillé à les pourvoir de mille et un atouts.
Rien n’est cependant joué d’avance, surtout pas pour la France, qui s’est déjà relevée à moult reprises alors qu’on la croyait morte et enterrée. Une voie vertueuse s’offre à elle, et elle est royale, à condition qu’elle admette enfin – n’est-ce pas Messieurs Zemmour et Finkielkraut ? – que le monde a changé et qu’elle ne sera plus jamais ce qu’elle fut jadis, c’est-à-dire dominatrice. Elle pourrait, en revanche, (re)devenir un modèle, un fanal pour les autres. En s’appuyant sur sa force et son rang (militaire, nucléaire, stratégique, culturel, mais aussi, malgré tout, économique) pour donner l’exemple, celui de la défense des valeurs universelles, de la stabilité, de la prospérité, de la justice, de l’innovation, d’une gestion économique raisonnable et équilibrée. Il suffirait de pas grand-chose, de l’essentiel à vrai dire : réformer en profondeur un pays qui repose sur des piliers d’un autre siècle et exprimer une ambition collective.
Espérons que 2017 verra l’émergence de dirigeants politiques à la hauteur de ce pays
Pour cela, il faut des hommes et des femmes politiques différents – en tout cas qui se comportent différemment. Impossible ? L’Italie du pitre Berlusconi n’est-elle pas aujourd’hui celle de Matteo Renzi, avec le succès que l’on sait ? La réforme efficace, la vraie, nécessite de l’intelligence, du courage et de la détermination. Les Français n’en sont pas dénués. Elle requiert aussi et surtout de la pédagogie : dire la vérité en dressant un diagnostic le plus objectif possible, expliquer quels sont les remèdes à administrer, y compris les sacrifices inévitables auxquels il faudra consentir. Ensuite, toujours selon le même modus operandi, procéder à une préparation minutieuse et concertée de la thérapie, avant de passer à sa mise en application rapide et chirurgicale.
Bref, le contraire de la méthode Hollande. Espérons que 2017 verra l’émergence de dirigeants politiques à la hauteur de ce pays dont la déliquescence et le dévoiement sont, pour beaucoup, un peu partout dans le monde, un crève-cœur.
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