Maghreb : ambitions en laboratoires
À Casablanca, Alger et Tunis, de véritables fleurons de l’industrie pharmaceutique ont émergé en une dizaine d’années. Certains, pour qui le marché national devient trop étroit, regardent déjà au-delà de leurs frontières.
Mais l’industrie « maghrébo-maghrébine » a aussi su se faire une place, et de véritables fleurons sont nés. Leader en Algérie en termes de chiffre d’affaires, Biopharm était d’abord un distributeur, avant de se lancer dans la production en 2005 pour suivre l’évolution du marché tout en répondant à une politique nationale : avec l’interdiction d’importer des médicaments déjà produits localement, l’industrie algérienne a été considérablement favorisée.
Derrière Biopharm, Saïdal s’est imposé comme le premier producteur algérien de génériques et de médicaments sous licence, dans le cadre de coentreprises avec de grands groupes mondiaux – Pfizer, Sanofi et Dar Eddawa. Avec 4 200 salariés et un chiffre d’affaires de 115 millions d’euros en 2010, le groupe, coté à la Bourse d’Alger et détenu à 80 % par l’État, possède 20 % de part de marché en volume. Pour son patron, Boumediène Derkaoui, le pays a le potentiel pour accueillir de nouveaux investisseurs, nationaux ou étrangers : « Le marché algérien ne produit que 35 % de ses besoins, et l’objectif du pays est d’atteindre 70 %. »
Incursion tunisienne
Saïdal multiplie donc les investissements, à travers un plan 2010-2014 de 160 millions d’euros. « Les appels d’offres pour deux nouvelles usines, à Alger et Constantine, devraient être lancés à la fin de l’année », précise le PDG. En outre, le groupe possède 44 %, aux côtés d’un fonds d’investissement saoudien, du capital de Tassili Arab Pharmaceutical Company, dont l’usine, située dans la zone industrielle de Rouïba, « démarrera dans douze mois », selon le dirigeant. Objectif : détenir 25 % du marché en chiffre d’affaires et 40 % en volume d’ici à 2014. Et si le groupe a remporté des appels d’offres au Niger, en Guinée et en Mauritanie, « pour l’heure, nous nous concentrons sur le marché local », assure Boumediène Derkaoui.
Dans le sillage de Saïdal, Laboratoire pharmaceutique algérien et Pharmaghreb sont autant de challengeurs. Le second a d’ailleurs signé un partenariat avec le numéro un tunisien Adwya (28 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010 et 8 % du marché national). L’accord commercial de dix ans prévoit la production et le marketing de leurs produits génériques respectifs.
Car contrairement à leurs voisins algériens, les opérateurs tunisiens ambitionnent de s’étendre hors de leurs frontières, trop étroites pour la vingtaine d’entreprises qui se partagent un marché de 500 millions d’euros. « Nous satisfaisons aujourd’hui entre 50 % et 55 % des besoins du pays, et on ne pourra guère faire mieux », estime le docteur Nabil Saïd, PDG d‘Industrie pharmaceutique Saïd. Pour le directeur général d’Adwya, Atef Zehani, « le salut passe par l’exportation ». Il ambitionne ainsi de réaliser 5 % de son chiffre d’affaires à l’étranger d’ici à trois ans : « Aujourd’hui, nous exportons peu, principalement vers la Libye et l’Algérie, mais l’Afrique subsaharienne nous intéresse. » Sur le territoire national, trop atomisé, il prévoit « des fusions et des acquisitions, à moyen terme ».
Lucratifs génériques
Pour conquérir de nouveaux territoires, le marocain Sothema a quant à lui opté pour une filiale à Dakar : West Afric Pharma a démarré en avril. Le groupe part du même constat que ses homologues tunisiens. « Avec 35 entreprises, le Maroc est devenu très concurrentiel, et de plus en plus de multinationales viennent nous concurrencer sur le générique », explique Mohamed Qrayim, porte-parole du numéro un marocain (80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010).
La production de génériques est l’activité la plus lucrative, la plus prometteuse (seulement 27 % du marché chérifien), et la plus ouverte à l’export, contrairement aux médicaments sous licence. Et l’introduction prochaine de tests obligatoires de bioéquivalence dans la réglementation marocaine, afin d’atteindre l’objectif fixé par les autorités de 60 % de génériques d’ici à 2015, « devrait profiter aux fabricants locaux », selon le cabinet d’analyse financière BMCE Capital. Une décision bienvenue car, pour Mohamed Qrayim, l’État n’incite pas assez l’industrie locale. « Nous sommes passés d’un taux de satisfaction de la demande intérieure de 80 % en 2006 à 70 % aujourd’hui », relève-t-il, pointant du doigt les importations massives des multinationales et la forte concurrence des génériques asiatiques.
Quel avenir pour les industries de ces trois pays ? « Certaines entendent s’implanter via des filiales en Afrique subsaharienne. D’autres vont privilégier des partenariats transnationaux avec les industries des pays développés », relève Kiyoshi Adachi, chef de l’unité de la propriété intellectuelle à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced, lire interview pp. 131-132). Une chose est sûre : l’intérêt des géants internationaux pour les opérateurs d’Afrique du Nord renforce un peu plus leur capacité à devenir, un jour, des champions mondiaux.
La révolution égyptienne ne refroidit pas GSK
Au Caire, le printemps arabe n’aura pas apaisé les appétits des multinationales de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, le géant américain GlaxoSmithKline (GSK) n’a pas remis en cause ses 60 millions d’euros d’investissements prévus sur les cinq prochaines années. Le groupe construira deux usines de production, augmentant un peu plus son hégémonie : à ce jour, il demeure le plus gros fabricant du pays, avec 23,1 % du marché égyptien. Celui-ci est estimé à 3,5 milliards d’euros à l’horizon 2014, selon le cabinet Business Monitor International.
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