Kiyoshi Adachi : « Certaines entreprises sont prêtes à devenir des acteurs mondiaux »
Pour Jeune Afrique, le chef de l’unité de la propriété intellectuelle à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) aborde les tendances et les perspectives d’un secteur en pleine mutation.
Kiyoshi Adachi : L’industrie pharmaceutique en Afrique est principalement impliquée dans la formulation de médicaments génériques et dans le conditionnement. Le principal obstacle à son développement est le manque de ressources humaines qualifiées dans les domaines pertinents de la production, tels que des chimistes, des pharmaciens et des techniciens, qui ont de l’expérience dans la formulation et la fabrication de médicaments.
Mais il y a d’autres freins : l’absence d’infrastructures de base (énergie fiable, eau potable, routes…) ; la nécessité de mettre à niveau les autorités de réglementation des médicaments ; et la nécessité de donner un accès rapide et rentable aux principaux intrants, comme les ingrédients pharmaceutiques actifs – la plupart sont importés de Chine et d’Inde.
En matière d’investissements, quelle est la tendance ?
Il n’existe pas de données fiables et complètes pour mesurer précisément si l’investissement dans le secteur a connu ou non une croissance.
Néanmoins, les divers événements auxquels nous assistons suggèrent certaines tendances.
Tout d’abord, les investissements transfrontaliers dans de nombreux pays africains suivent majoritairement un axe sud-sud – surtout en provenance de Chine et d’Inde, qui sont aujourd’hui les principaux investisseurs -, par opposition à un axe nord-sud.
Ensuite, le fait que certaines entreprises africaines se plaignent de ne pas parvenir à satisfaire la demande de leurs marchés à travers le continent suggère que le mouvement d’expansion est lancé : les producteurs africains souhaitent prendre pied sur tout le continent.
En troisième lieu, un certain nombre de coentreprises créées sont le fait d’un fabricant étranger et d’un distributeur local, même sans expérience. Les multinationales considèrent donc qu’il est rentable de s’installer et de former des employés.
Pourquoi certaines entreprises asiatiques, qui produisent à bas coût chez elles et exportent déjà leurs produits sur le continent, viennent y ouvrir des usines ?
Comme les entreprises en Inde et en Chine commencent à exporter une plus grande proportion de leur production vers les pays développés au détriment de l’Afrique, investir directement dans la production locale des pays africains leur semble le moyen le plus sûr de conserver la mainmise sur l’approvisionnement du continent, et d’en tirer les bénéfices.
Un certain nombre de changements dans l’environnement mondial sont également à l’origine de ces flux. Par exemple, le régime international de la propriété intellectuelle, modifié en 2005, a interdit à des pays tels que l’Inde de produire légalement des génériques de médicaments brevetés ailleurs.
Les grandes entreprises indiennes cherchent donc une base dans les pays les moins développés, qui sont dispensés de l’application de cet accord. La coentreprise entre l’indien Cipla et Quality Chemicals Industries, en Ouganda, pour produire des antirétroviraux génériques est un bon exemple.
Un autre facteur important est la réduction des risques : dans le cas de l’Éthiopie, une entreprise chinoise a opté pour la fabrication locale de gélules pour les fabricants africains, en vue de réduire le risque de détérioration lors du transport des capsules fabriquées en Chine.
Ces mouvements opportunistes n’ont-ils d’intérêt que les bénéfices ?
L’approvisionnement mondial en médicaments repose principalement sur le secteur privé. Il n’est donc pas surprenant que les entreprises soient d’abord motivées par le profit. Mais la production locale augmente aussi la disponibilité et la diversité des médicaments de bonne qualité, ce qui est bénéfique pour la population.
Comment cohabitent secteur privé et secteur public ?
De nombreux pays maintiennent des entreprises publiques, mais beaucoup de fabricants de médicaments en Afrique sont des entreprises à capitaux publics et privés ou des joint-ventures entre entreprises nationales et étrangères. En général, le secteur public est surtout impliqué dans la production de vaccins. Compte tenu des taux de pauvreté en Afrique, les États ont tendance à être des acheteurs importants des productions d’entreprises locales où les normes de qualité ont été respectées.
« La production locale augmente la disponibilité et la diversité des médicaments »
En définitive, quel doit être le rôle des États pour permettre à la production locale de se développer ?
Renforcer la capacité locale de production est une tâche collective. Le gouvernement a un rôle central à jouer en rassemblant tous les organismes, les ministères et les acteurs du secteur privé, pour agir de manière coordonnée et cohérente. Le gouvernement a aussi le devoir de s’assurer que les politiques d’aide publique au développement, en vertu desquelles les médicaments sont souvent donnés, et les politiques qui soutiennent la production locale de médicaments soient mises en œuvre de manière concertée.
Le gouvernement – et en particulier l’autorité de réglementation pharmaceutique – est chargé de s’assurer que les médicaments produits par le secteur pharmaceutique répondent à une certaine efficacité et aux normes de sécurité. En exigeant que certaines normes soient respectées, il peut aider à ce que l’industrie locale joue un rôle dans la satisfaction de la demande intérieure, avec des médicaments abordables et de bonne qualité.
Pensez-vous que certaines sociétés africaines soient en mesure de devenir des leaders mondiaux ?
Il existe d’abord un besoin d’augmenter la disponibilité des médicaments au sud du Sahara. Cette demande offre donc des opportunités de croissance et d’expansion pour les firmes pharmaceutiques en Afrique. Les multinationales occidentales cherchent en outre des fabricants de génériques de qualité, dans les pays en développement, pour baisser leurs coûts et maintenir leur rentabilité. L’achat par GlaxoSmithKline en 2009 d’une participation dans le sud-africain Aspen montre que certaines entreprises sont prêtes à devenir des acteurs mondiaux.
À la recherche de matières premières pas chères
Paracétamol, quinine, ibuprofène… « Pour un même produit, les tarifs peuvent aller du simple au triple ! » relate Mohamed Qrayim, porte-parole de Sothema, au Maroc. Les matières premières représentent entre 10 % et 70 % des prix de fabrication, d’où l’importance de trouver un fournisseur compétitif. Les grossistes eux-mêmes, comme Quimdis en France, Marchesini en Belgique, Groninger en Allemagne ou Bram en Italie, se tournent quant à eux de plus en plus vers l’Asie. Premiers producteurs au monde, la Chine et l’Inde sont devenus l’objet d’acquisitions de la part de multinationales qui veulent sécuriser leurs approvisionnements. D’autres laboratoires plus modestes cassent leurs coûts en passant par leurs partenaires, dont les commandes en grandes quantités permettent des économies d’échelle. C’est le cas d’Industrie pharmaceutique Saïd, en Tunisie, qui se fournit exclusivement chez l’américain Bristol-Myers Squibb, pour qui il fabrique la marque Upsa. Rien que pour l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, le marché des matières premières pharmaceutiques est estimé à plus de 700 millions d’euros. M.P.
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