« African Trip » ou comment voyager autrement en Afrique avec Snapchat et Twitter
Depuis quelques temps, la vague « African Trip » lancée par de nombreux comptes communautaires déferle sur les réseaux sociaux, notamment Snapchat et Twitter. Décryptage de cette nouvelle tendance continentale.
Ils sont jeunes (15-30 ans), ont des profils et des activités au moins aussi variés que leurs nationalités, mais ils se donnent quotidiennement rendez-vous depuis plus de six mois sur Snapchat et Twitter. Si ces jeunes apprécient comme beaucoup d’autres l’instantanéité des réseaux sociaux, c’est surtout la volonté de rassembler la jeunesse africaine qui les motivent à créer des comptes communautaires qu’ils animent fréquemment.
Le concept « African Trip » est né au Cameroun avec le compte Mboa_237. Harold Joakim Fossouo, 20 ans, étudiant en 3e année de Logistiques et transports à Douala prend l’initiative de lancer un compte Snapchat exclusivement réservé aux Camerounais partout dans le monde, afin que ceux-ci s’y retrouvent et discutent quotidiennement de l’actualité de leur pays. L’idée fait rapidement école car peu de temps après, Lina Diarra, Malienne, décide à son tour de créer un compte destiné à ses concitoyens pour les mêmes raisons. Au fil des mois, plusieurs pays subsahariens suivront la même initiative : ils sont aujourd’hui 22 ! Les comptes ont en général des noms composés d’un terme issu d’un dialecte national et de l’indicatif téléphonique du pays concerné (Mboa_237 par exemple signifie « famille_237 » en sawa).
African trip, comment ça marche ?
La machine est bien huilée. Le but du jeu est de « faire passer chaque jour un compatriote pour 24h », explique Kevin Ilboudo, administrateur du compte Kibare_226 (Burkina Faso). L’invité – appelé « guest » – se connecte avec des identifiants que l’administrateur principal lui a préalablement fourni. Il a pour mission de faire découvrir son monde au quotidien aux internautes dont le nombre est déjà allé jusqu’à 12 000 personnes simultanément, indique Harold Fossouo. Par des photos et mini-vidéos, il fait découvrir à ses concitoyens (et à tous ceux que ça intéresse) les endroits qu’il fréquente, que ce soit au pays ou à l’étranger.
« Le ‘guest’ est aussi amené à s’exprimer sur des sujets bien précis via les questions que les snapeurs lui posent », expliquent Sékouba Camara et Oumou Diaré, tous deux Guinéens vivant au Canada et administrateurs du compte Guinea_224. Les personnes désireuses de prendre le compte pour une journée contactent les administrateurs via Twitter, Facebook ou par e-mail et doivent obligatoirement avoir plus de 18 ans, selon les règles que se fixent les organisateurs.
Mais African Trip fonctionne aussi comme une petite entreprise, avec des réunions hebdomadaires chaque fin de semaine entre les administrateurs des différents comptes nationaux via WhatsApp. « Ces entrevues ont pour objectif d’améliorer le fonctionnement du groupe et de résoudre les couacs qui peuvent apparaître de temps en temps lorsque les invités se disputent », explique Wane Defah, la jeune Sénégalaise derrière le compte national SunuSnap221.
L’aventure ne s’arrête d’ailleurs pas qu’à Snapchat, indique Lise Karenzi, la Rwandaise qui gère le compte Rwa_250. « Il était important de créer des comptes Twitter et Facebook pour promouvoir ceux de Snapchat. Twitter et Facebook étant des réseaux sociaux influents dans la communication digitale, c’est une manière de nous offrir une plus large visibilité tout en restant le plus accessible possible. »
Casser les stéréotypes sur le continent et rapprocher la diaspora
« Si cette initiative engendre beaucoup d’engouement et de curiosité, c’est aussi parce qu’elle montre une autre Afrique que celle qu’on nous montre à la télé, parfois très éloignée de la réalité », explique de son côté Mariame, qui a été « guest » du compte malien Taama223. Permettre de mieux se connaître entre personnes de même nationalité, comparer et jauger les difficultés de chacun en fonction de son lieu de résidence et remonter des informations utiles : « grâce à plusieurs ‘guests’ étudiants ivoiriens qui habitent au Canada, j’ai pu avoir des informations précises sur la cherté de vie de la ville dans laquelle je veux postuler. J’ai pu mieux me préparer », raconte Eve, une Ivoirienne de 19 ans qui suit avidement les snaps qui défilent sur son écran par ordre chronologique.
Quant aux deux Congos voisins, ils ont la particularité d’avoir été regroupés sous le même compte intitulé Mboka242_243, animé par Pasquale Ohindou, Congolaise de Brazzaville, âgée de 23 ans et étudiante en France : « Nous avons à peu près la même histoire, donc c’était plus simple », sourit-elle.
L’initiative n’exclut pas les pays africains anglophones : le Nigeria, le Ghana, le Rwanda y sont également présents. « Les thèmes qui reviennent le plus souvent sont le quotidien, les études supérieures, la vie professionnelle, et l’actualité chaude du moment », explique Diaby Ally, 22 ans, étudiant aux États-Unis et co-administrateur du compte ivoirien babii225.
Attirer des touristes africains en Afrique
« On est du même continent mais on ne se connaît pas beaucoup entre africains », s’écrie Aïssatou, une étudiante sénégalaise qui étudie en Master 2 Finances en France et qui ouvre chaque matin son application pour découvrir qui sera le nouveau guest des comptes qu’elle suit. En plus de suivre le compte communautaire sénégalais, elle s’est également abonnée à ceux du Nigeria (iamnaija234) et de la Côte d’Ivoire . « Cela m’a donné envie d’aller au Nigeria pour les vacances prochaines, j’ai même réservé et ce sont des contacts rencontrés sur Snapchat qui m’hébergeront », dit-elle.
Et c’est bien l’un des principaux objectifs de l’équipe d’African Trip : « faire la promotion de la beauté des pays membres et promouvoir une certaine diversité ».
Des limites et des critiques
S’il y a beaucoup d’adeptes du African Trip, il y en a aussi que ça n’intéresse pas. C’est le cas d’Estelle, une Béninoise de 17 ans qui vit à Cotonou et qui estime que « c’est trop superficiel, certains ‘guests’ apparaissent en tenue légère voire irrespectueuse et montrent un train de vie qu’ils n’ont pas ». Une tentation du m’as-tu-vu ou de l’esbroufe qu’essaie de relativiser tant bien que mal le fondateur Joaquim Fossouo. « Ça reste un réseau social, les gens viennent comme ils sont et il y a certaines choses que l’on ne peut pas vraiment contrôler », conclut-il.
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