Frank Timis : « L’avenir se joue en Afrique de l’Ouest »

Après avoir mis au jour, en Sierra Leone, le plus important gisement de fer du continent, l’homme d’affaires australo-roumain et président d’African Minerals veut concurrencer les majors Vale, Rio Tinto et BHP Billiton. Son atout : l’alliance avec de grands groupes chinois.

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 26 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Après avoir investi en Sierra Leone, vous avez commencé à prospecter en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso… L’Afrique de l’Ouest est-elle votre nouveau terrain de chasse ?

Frank Timis : C’est ici que se joue l’avenir minier ! Ce que vit l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui est comparable à ce qu’a connu le nord-ouest de l’Australie au début des années 1970 : l’amorce d’un boom minier. La région recèle des gisements de fer, de cuivre, de bauxite et de manganèse non exploités, d’un potentiel exceptionnel par rapport aux réserves mondiales actuellement disponibles, alors même que la demande pour ces matières premières explose, dopée par l’industrialisation accélérée de l’Asie. Autre atout de la zone : sa proximité avec l’Europe, à laquelle il coûte moins cher de faire venir du minerai d’Afrique de l’Ouest que d’Océanie ou d’Amérique du Sud. Avec ces éléments en tête, comment voulez-vous que je ne m’intéresse pas à l’Afrique de l’Ouest ?

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N’êtes-vous pas inquiet de l’instabilité politique qui a retardé de nombreux projets ?

Le Sénégal, le Burkina Faso et la Sierra Leone ont des régimes stables et ouverts aux investisseurs miniers, notamment issus d’autres pays que leurs anciennes puissances coloniales, dont ils veulent s’affranchir économiquement. Bien sûr, la situation ivoirienne est préoccupante à court terme, mais sur le long terme, qui est l’horizon naturel des projets miniers, on peut être raisonnablement optimiste pour toute la région. La situation de la Guinée me donne d’ailleurs raison : malgré tout ce qu’on a pu dire de négatif sur ce pays, il dispose aujourd’hui d’un président expérimenté qui pourra piloter son développement minier.

Tout au long de votre carrière, vous vous êtes justement illustré dans des pays où peu osaient aller…

C’est vrai, si je sens une belle opportunité, je n’hésite pas à prendre des risques, cela a toujours été ma force, que ce soit en Roumanie, en Bulgarie, au Kazakhstan ou aujourd’hui en Afrique. En réalité, j’analyse finement l’intérêt d’un projet. Et surtout, je ne me lance que si je rencontre des gens avec qui je peux travailler sereinement.

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Comment êtes-vous arrivé en Sierra Leone ?

C’est mon ami Lord Anthony St John [connu au Royaume-Uni pour ses interventions à la Chambre des lords sur les questions africaines, NDLR] qui m’a conseillé de visiter le pays, seulement huit mois après la fin de la guerre civile en 2003, et qui m’a mis en contact avec les autorités et le président d’alors, Ahmad Tejan Kabbah. J’étais le premier entrepreneur à m’intéresser au potentiel minier sierra-léonais depuis la fin des troubles. Il fallait avoir le cœur bien accroché ! J’ai visité le centre et le nord du pays, non exploités jusqu’alors. Là-bas, j’ai été touché par des interlocuteurs locaux compétents et désireux de faire émerger leur pays, tel Gibril Bangura, aujourd’hui directeur général d’African Minerals.

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Début 2004, je suis revenu à Freetown avec une proposition pour les autorités : la cartographie minière de l’ensemble du territoire sierra-léonais pas encore sous licence, soit 42 000 km2, en échange des droits d’exploration sur cette même zone. Cela représentait pour moi 60 millions de dollars d’investissements sur mes propres deniers [environ 48 millions d’euros à l’époque]. Le président et le gouvernement ont accepté, fin 2004. Les investisseurs ne se bousculaient pas au portillon.

Ce coup de poker s’est avéré payant, puisque vous êtes tombé sur le plus grand gisement de fer d’Afrique…

En explorant le territoire sierra-léonais, j’avais plus en tête de découvrir des diamants. Nous en avons effectivement trouvé, mais finalement peu, ainsi que de l’uranium au Nord-Est, du cuivre et de l’or au Nord-Ouest et, enfin, du fer dans le Centre. En novembre 2007, en faisant des sondages pour confirmer ce que nous avions cartographié, nous sommes tombés sur le gisement exceptionnel de Tonkolili. Notre force a été de ne pas nous disperser : dès que nos géologues m’ont averti de son extraordinaire potentiel, j’ai concentré tous nos efforts et investissements sur cette zone.

Où en êtes-vous du montage financier pour le projet de Tonkolili ?

Nous avons déjà 1,2 milliard de dollars [environ 900 millions d’euros] de capital pour l’ensemble des projets d’African Minerals, dont un tiers levé sur le second marché londonien [Alternative Investment Market], un tiers apporté par les banques et un tiers de la China Railway Materials. Et nous sommes actuellement en pleine opération de due diligence [audit préalable] avec un autre partenaire chinois, Shandong Iron and Steel, pour une prise de participation de 25 % des parts de Tonkolili, pour 1,5 milliard de dollars.

Quand serez-vous en mesure de produire du fer à Tonkolili ?

Dès la fin de cette année 2011, nous pourrons exporter du fer sierra-léonais. Dans une première phase, nous produirons 12 millions de tonnes. D’ici à cinq ans, nous visons une production annuelle de 35 millions de tonnes, ce qui fera de la Sierra Leone le premier producteur africain de fer et le troisième au niveau mondial…

Les gisements guinéens de Rio Tinto et Vale, au mont Simandou, sont eux aussi très prometteurs…

Oui, mais leurs réserves sont plus petites : environ 6 milliards de tonnes de fer, contre 12,8 milliards pour Tonkolili. Et surtout, notre projet est nettement plus attrayant sur le plan logistique : nous n’avons à construire que 200 km de voies ferrées, dont 80 km à réhabiliter, ce qui nous coûtera 1 milliard de dollars. C’est sans commune mesure avec le projet du Transguinéen de 1 000 km, qui coûtera au minimum 12 milliards de dollars ! Enfin, notre port minéralier de Tagrin Point sera en eau profonde, donc bien plus avantageux que les ports envisagés au Liberia et en Guinée. Je suis d’ailleurs persuadé qu’à terme les gouvernements de ces deux pays finiront par accepter de faire passer leurs minerais sur nos infrastructures plutôt que de lancer des travaux pharaoniques et coûteux…

Est-ce pour faire face à ces coûts que Rio Tinto a annoncé, en mars 2010, un partenariat avec Chinalco, l’un des leaders de la sidérurgie chinoise ?

Ce n’est selon moi qu’un accord de façade pour aider Rio Tinto à améliorer ses relations avec les autorités guinéennes de l’époque, alors sensibles au soutien de Pékin. Sur le long terme, on verra si cet attelage tiendra. À mon avis, Rio Tinto restera réticent à donner tout ou partie des commandes d’un projet minier à l’un de ses gros clients chinois…

Vous-même, à African Minerals, êtes associé à de grands groupes chinois…

Oui, mais moi je les aide à casser l’oligopole mis en place par les australiens Rio Tinto et BHP Billiton et le brésilien Vale, qui à eux trois contrôlent 80 % du marché du fer. Contrairement à ces trois majors, j’offre aux groupes chinois un véritable accès à un outil industriel minier. Avec moi, ils ne sont plus simplement clients, mais décideurs et investisseurs.

L’avenir du secteur minier passe par la Chine ?

C’est évident… Je connais bien ce pays, je sais la capacité des entreprises chinoises à faire du « high-tech-low-cost ». Dans le domaine de la production d’électricité, ils sont déjà capables de construire une centrale à charbon de 400 mégawatts chaque semaine. Il n’y a aucune raison qu’ils n’apprennent pas aussi vite dans le secteur minier. Quand ils auront réussi à répondre à leur gigantesque demande intérieure, dans une vingtaine d’années, avec leur compétitivité économique, ils ne feront qu’une bouchée d’entreprises sidérurgiques comme ArcelorMittal ! Autant s’associer avec eux dès maintenant…

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