Khouribga, pierre angulaire de l’OCP
L’Office chérifien des phosphates met sa principale zone minière en ordre de bataille pour augmenter sa production et profiter des prix élevés du marché, dopé par la demande en engrais. Reportage.
Tranchée après tranchée, jour et nuit, les draglines de l’Office chérifien des phosphates (OCP) quadrillent la région. Chaque sillon creusé peut aller jusqu’à 50 m de profondeur. Un véritable canyon quand on y circule en 4×4. « Il y a ici trois couches de phosphate dans le sol, quand nos concurrents américains n’en ont qu’une seule, et encore, d’une concentration bien plus faible », se réjouit Abderrazak El Kaissi, directeur de l’exploitation minière de Khouribga. « Le sol est plutôt facile à travailler, nous utilisons rarement les explosifs, nos techniques sont similaires à celles employées pour le charbon », ajoute Abdelkrim Ramzi, directeur de la production minière.
Alors que la tonne de phosphate s’est vendue à 40 dollars pendant des décennies, elle s’échange aujourd’hui à 145 dollars
Une fois les couches exploitables dégagées, c’est un balai incessant de bulldozers et de camions (certains peuvent transporter jusqu’à 500 tonnes) pour acheminer le minerai vers les centres de traitement qui le trient et le concassent. Le produit obtenu est ensuite dirigé soit vers des usines de lavage (« laveries ») où il est mélangé à de l’eau, purifié et enrichi grâce à un procédé chimique, soit directement vers des unités de séchage.
Des terrils qui valent de l’or
Située à 120 km au sud-est de Casablanca, la zone minière de Khouribga s’étend sur 400 km2 et compte trois mines à ciel ouvert exploitées : Sidi Chennane, la plus importante (10 millions de tonnes par an), Sidi Daoui et Merah Lahrach. Un circuit de convoyeurs mécaniques (certains atteignent 25 km de long) relie les centres de stockage aux laveries et usines de séchage. De larges pistes, régulièrement arrosées pour éviter la poussière, slaloment entre les mines et les terrils, traces de quatre-vingt-dix années d’exploitation.
« Nous avons mis de côté de nombreuses réserves issues de couches à faible teneur en phosphate. Pour l’heure, nous jugeons qu’elles ne sont pas suffisamment rentables, mais quand nos réserves à haute teneur viendront à manquer, nous pourrons les utiliser », explique le prévoyant Abderrazak El Kaissi, montrant de vieux terrils couverts de végétation, qui un jour vaudront de l’or.
« Khouribga est une sorte de Las Vegas du Maroc, une ville libérale, car il y a ici des gens venus de partout, poursuit-il. Jadis, il y avait même quelques maisons de jeux. La ville ne comptait que quelques milliers d’âmes en 1920, quand les Français ont démarré l’exploitation souterraine. Au début, les travailleurs étaient des saisonniers, mais, pour les fixer, la direction leur a concédé des lotissements. Dans les années 1960, avec l’exploitation à ciel ouvert, la ville a ensuite pris un essor considérable. » Abderrazak El Kaissi a la rude tâche de coordonner les 5 800 salariés de l’OCP présents dans la zone, mais aussi de veiller sur les 10 000 retraités de l’entreprise qui s’y sont installés. Sur les 220 000 habitants de Khouribga, 80 % dépendent des activités minières. La cité et la mine vibrent au même rythme, et la société soutient la quasi-totalité des infrastructures de la ville, qui continue de grandir avec elle.
Car l’expansion de Khouribga se poursuit. L’OCP, piloté par le stratège industriel Mostafa Terrab, s’est lancé dans un impressionnant plan de développement. Ses dirigeants veulent doper la capacité de leur outil industriel pour profiter du niveau élevé des prix : alors que la tonne de phosphate s’est vendue à 40 dollars pendant des décennies, elle s’échange aujourd’hui à 145 dollars (environ 108 euros). Une situation qui devrait durer en raison du développement agricole des pays sud-américains et asiatiques, grands consommateurs d’engrais et donc de phosphates, et demain de l’Afrique subsaharienne.
Gros investissements
Pour la direction de l’OCP, Khouribga est la pierre angulaire du nouveau dispositif minier. « En 2010, nous avons produit ici 18 millions de tonnes. À l’horizon 2018, nous visons les 38 millions de tonnes annuelles », indique Houssine Bouhiaoui, directeur du développement minier. Et la pénurie n’est pas pour demain : « On peut tenir ici au moins un siècle rien qu’avec les réserves connues », confie Abderazzak El Kaissi.
« On peut tenir ici au moins un siècle rien qu’avec les réserves connues » Abderazzak El Kaissi, OCP
Pour parvenir à ses fins, l’OCP met la main au portefeuille : sur la seule zone minière de Khouribga, 4 milliards de dollars (3 milliards d’euros) doivent être investis. D’ici à 2018, trois nouvelles mines vont entrer en exploitation, ainsi que trois laveries, un aqueduc et un barrage pour acheminer davantage d’eau vers ces installations. La première phase de ces développements est déjà avancée. En août dernier, l’OCP inaugurait en grande pompe à Merah Lahrach la première laverie nouvelle génération, élaborée avec la société d’ingénierie américaine Jacobs : « C’est un outil industriel qui a nécessité 2,5 milliards de dollars d’investissement », explique Houssine Bouhiaoui, déambulant sous les cuves et les tuyaux rutilants encore en phase de rodage.
Juste à côté, des bassins de décantation de 135 m de diamètre permettent de récupérer un maximum d’eau, qui repart dans l’usine. « Les procédés de recyclage ont coûté un quart du coût de l’installation, mais ils étaient indispensables : avec les technologies actuelles, nous ne pourrions pas faire fonctionner trois laveries en 2018 sans pomper dans la nappe phréatique, une solution que nous rejetons », affirme l’ingénieur, fier de cette technologie propre et économique.
Un minéroduc en chantier
Pour l’heure, la production de Khouribga est envoyée par les lignes de chemin de fer, une moitié vers le port de Casablanca (pour le minerai exporté), l’autre vers le complexe chimique du port de Jorf Lasfar (pour le phosphate qui y est transformé en engrais). Mais dès 2013, tout passera par un pipeline convoyant un mélange de phosphate et d’eau, un minéroduc ayant pour destination unique Jorf Lasfar. « Cette technologie, utilisée depuis trois décennies au Brésil, est apparue comme la solution naturelle à notre problématique logistique », précise El Moutaoikkil El Baraka, directeur industriel de l’OCP, sûr de son affaire.
« Cet outil est indispensable non seulement pour augmenter notre capacité de transport, mais aussi et surtout pour maîtriser la logistique de bout en bout, de la mine à la cargaison d’engrais », ajoute Abderazzak El Kaissi. L’objectif de ce dispositif est également économique : « À terme, le transport ne nous coûtera plus que 1 dollar par tonne, contre 7 à 9 dollars actuellement », assure Houssine Bouhiaoui. D’un coût de 4 milliards de dollars, le chantier, octroyé au turc Tekfen, vient de commencer à Khouribga. Trois ans et près de 3 000 ouvriers seront nécessaires pour réaliser les 187 km de conduite.
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