La fin du rêve chinois ?
Absentes du salon Mining Indaba en Afrique du Sud, les firmes chinoises hésitent à exploiter elles-mêmes des gisements et déçoivent les juniors en quête de capitaux. Ou quand l’idylle « chinafricaine » tourne au désamour.
Les absents ont-ils toujours tort ? À Mining Indaba, le salon africain le plus important du secteur minier, près de 4 500 cadres, selon les organisateurs, se sont donné rendez-vous du 7 au 10 février au Cap. Mais alors que l’appétit insatiable de la Chine pour les matières premières du continent n’est plus un secret pour personne, la grande réunion (« indaba », en zoulou) ne compte pas un seul investisseur chinois. Les rares Asiatiques présents sont indiens et japonais.
Absents physiquement, les Chinois n’en sont pas moins dans toutes les conversations. « Ils font ici un silence assourdissant », s’amuse, en vieil habitué du salon, un géologue français du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). « En fait, ils sont là sans être là. Ils ne sont pas à l’aise dans ce type de rencontres, ils préfèrent les négociations intergouvernementales. Cela dit, ils ont délégué ici des Africains qui leur rapportent des informations », indique Aziz Sy, vice-président d’Oromin Sénégal.
Les majors présentes en Afrique, comme l’australien Rio Tinto ou le suisse Xstrata, se frottent les mains en évoquant la « voracité » en fer, cuivre, nickel et zinc des industriels de la deuxième puissance économique mondiale. Les spécialistes sud-africains de Randgold Resources et d’AngloGold Ashanti s’extasient devant le boom de leur consommation en métaux précieux, pour les bijoux de la classe aisée ou les réserves en or des banques chinoises. Les patrons de juniors évoquent, les yeux brillants, la possibilité de s’associer avec eux pour réaliser les infrastructures dont ils manquent.
Un enthousiasme partagé parmi les sinophiles : Niall Ferguson, professeur à Harvard, présente la « Chinafrique » comme un mariage idyllique entre un pays assoiffé de minéraux – et doté d’une trésorerie bien fournie – et un continent regorgeant de gisements inexploités : soit 30 % du volume des réserves mondiales connues de minerais, pour seulement 10 % de la production mondiale actuelle.
Le temps de la désillusion
Mais voilà, la « Chinafrique des mines » est séduisante sur le papier, certes, mais dans les faits l’alliance a bien du mal à prendre forme. Ces deux dernières années, les investissements chinois dans le sous-sol africain se sont multipliés (plus de 7,4 milliards d’euros en 2010), mais il s’agit davantage de prises de participations minoritaires dans des gisements de fer ou de cuivre que de la traduction d’une réelle volonté d’implantation. D’ailleurs, la plupart des sociétés chinoises actives sur le continent sont des sidérurgistes – comme Wuhan Iron and Steel Company (Wisco) – désireux de sécuriser leur approvisionnement en fer pour fabriquer de l’acier chez eux, ou des sociétés de BTP – comme China Railway Group (CRG) – qui réalisent des routes ou des voies ferrées.
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Et dans les rares cas où les Chinois exploitent eux-mêmes un gisement, ils suscitent des réactions vigoureuses. En Zambie, les mines de cuivre gérées par China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC) subissent des grèves à répétition en raison des mauvaises conditions de travail (50 ouvriers sont morts dans une explosion en 2005). À tel point que le président Hu Jintao a préféré éviter le site lors de sa visite dans le pays en 2007. Au Gabon, fin 2009, les ONG ont poussé le gouvernement à renégocier le contrat de China Machinery & Equipment Company (CMEC) sur le gisement de fer de Belinga, qui prévoyait de tracer une route au cœur d’un parc national.
De plus, la Chine n’a plus la cote auprès des miniers. Les juniors d’exploration, qui espéraient bénéficier d’appuis capitalistiques pour mettre au jour de nouveaux gisements, déchantent : « J’ai perdu trop de temps avec les Chinois », peste Michael Hopley, PDG de Sunridge Gold, présent en Érythrée et à Madagascar. « Leur temps de décision est trop lent, alors qu’une petite compagnie comme la mienne a besoin de saisir vite les opportunités », regrette l’Australien.
« Les Chinois ne veulent prendre aucun risque. Leur souci n’est pas de gérer un gisement minier, mais d’obtenir un accès garanti à 100 % à du minerai pas cher », déplore Hugo Schumann, directeur du développement d’Equatorial Resources, qui explore les gisements de fer de Badondo, au Congo. Cet Australien envisageait de s’associer avec un repreneur chinois. Il préfère dorénavant nouer un accord avec une major « plus expérimentée et prête à prendre davantage de risques ».
Des Chinois qui ne se révèlent pas toujours très fiables non plus. « Une fois un accord noué, encore faut-il réussir à leur faire tenir leurs engagements, ce qui n’est pas de tout repos », estime Hugo Schumann, au vu des difficultés rencontrées depuis huit mois par son concurrent African Minerals pour finaliser l’investissement de Shandong Iron and Steel Group à Tonkolili, en Sierra Leone (1,3 milliard d’euros).
Autre désillusion : la constitution de coentreprises dans l’espoir de lever des capitaux en Bourse. « La plupart des sociétés minières sont cotées à Toronto, Sydney ou Londres. Or il est beaucoup plus facile de lever des fonds en coentreprise avec Rio Tinto ou BHP Billiton, bien connus des investisseurs présents là-bas, qu’avec un partenaire chinois, jugé plus risqué », indique Lance Hooper, vice-président de Kilo Goldmines, une société présente en RD Congo. D’un autre côté, le même reconnaît la « nette amélioration des routes » grâce aux travaux réalisés par des Chinois dans le cadre du méga-accord « Mines contre infrastructures » entre CRG, Sinohydro et la Gécamines, surnommé le « contrat du siècle », avec 6,7 milliards d’euros d’investissements annoncés.
Ce n’est pas un abandon
Les Chinois se contenteront-ils toujours de consommer du minerai africain et de construire des infrastructures, sans véritablement gérer des mines ? Pour Deborah Bräutigam, universitaire américaine spécialiste des stratégies de l’empire du Milieu en Afrique, « les sociétés chinoises sont peu expérimentées et en sont conscientes. Si elles ont commis des erreurs sur le continent à la fin des années 1990, quand elles y débutaient leurs activités, aujourd’hui leur stratégie a évolué. Elles préfèrent désormais nouer des accords avec des compagnies occidentales, plutôt que de se risquer seules. Elles se montrent aussi plus prudentes dans les pays instables politiquement : en témoigne la suspension des négociations sino-zimbabwéennes en 2010. Mais on est loin d’un abandon du sous-sol africain par la Chine ! »
D’ailleurs, le désamour des miniers avec les Chinois n’est pas total. Des sociétés de taille moyenne croient toujours à une alliance avec eux : « Dans le fer, les trois majors qui occupent 70 % du marché, Rio Tinto, BHP Billiton et Vale, ne leur laisseront jamais la maîtrise des gisements, car elles veulent les garder comme clients dépendants. Avec nous en revanche, ils peuvent prendre la majorité du capital et casser l’oligopole », estime Frank Timis, président d’African Minerals.
Pour Masa Sugano, secrétaire économique de l’ambassade du Japon à Pretoria, « les groupes miniers anglo-saxons, qui dominent le secteur, feraient bien de ne pas sous-estimer la capacité d’apprentissage des Chinois. À l’instar du Japon des années 1970, qui a bâti des sociétés minières et sidérurgiques performantes en dix ans [comme Jogmec, NDLR], on verra d’ici à cinq ans l’émergence de puissants miniers chinois en Afrique », affirme-t-il. Ces futurs géants pourraient s’appuyer sur les actifs de sociétés minières publiques africaines en difficulté, comme la Gécamines en RD Congo. Mais il faudra attendre encore un peu.
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Par Christophe Le Bec, envoyé spécial au Cap
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