Le paradoxe sénégalais
Le pays ne parvient ni à asseoir sa compétitivité ni à gagner les quelques points de croissance qui lui permettraient de quitter le lot des pays les moins avancés. Il a pourtant toutes les cartes en main.
Le Sénégal piétine à une marche du podium. Quatrième économie d’Afrique de l’Ouest après le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana – et deuxième au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), derrière la Côte d’Ivoire -, le pays cultive le paradoxe. Démocratique et relativement stable politiquement, comptant parmi les États les plus industrialisés de la sous-région, doté d’une ouverture sur l’Atlantique, d’un important potentiel de terres cultivables (500 000 hectares irrigables) et de ressources minières (phosphates, or, fer…), le Sénégal a de nombreux atouts en main pour devenir un leader économique africain.
Il progresse, d’ailleurs, sur la voie de l’émergence, mais en dents de scie. Si bien que la croissance de son produit intérieur brut (PIB) reste en deçà du seuil nécessaire pour faire reculer la pauvreté. Le taux de croissance s’est tout de même établi à 4 % en 2010, pour un PIB de 12,7 milliards de dollars, selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), soit 6 160 milliards de F CFA (9,58 milliards d’euros), revues à la hausse, mi-mars, à 14 milliards de dollars, par l’agence de notation Moody’s.
Alors, que manque-t-il au pays de la Teranga (« hospitalité » en wolof) pour gagner les trois points de croissance manquants et atteindre le statut de pays émergent visé par le gouvernement ?
Signes extérieurs de progrès
Incontestablement, le pays avance et se modernise. À commencer par sa capitale. Quiconque remet les pieds à Dakar après quelques années d’absence ne peut qu’être impressionné en découvrant les nouveaux aménagements. Une corniche à quatre voies inaugurée à l’occasion du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) en 2008. Des hôtels de luxe. Un centre commercial, le Sea Plaza, de classe internationale. Partout, des immeubles en construction… La liste des signes extérieurs du dynamisme économique est longue.
La mise à niveau des infrastructures routières s’est imposée comme l’une des priorités de l’État. L’investissement privé (1,8 milliard d’euros en 2009), soutenu par des groupes locaux de stature internationale, s’est développé autour du Programme d’amélioration de la mobilité urbaine (Pamu) et des compétences – reconnues par tous – de l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix). La croissance annuelle du BTP a ainsi atteint une moyenne de 10 % ces dernières années, tirant vers le haut la contribution du secteur secondaire au PIB, qui, selon la Banque mondiale, s’est établie à 21,1 % en 2010.
Le secteur s’est également redressé grâce à la remise sur les rails de deux fleurons – les Industries chimiques du Sénégal (ICS) et la Société africaine de raffinage (SAR) – et à la constitution progressive d’une base industrielle qui manquait jusque-là dans certaines filières, notamment dans la transformation de produits locaux. Une tendance qui pourrait s’accélérer si les pouvoirs publics facilitaient la création de PME-PMI (qui représentent actuellement 20 % du PIB et 30 % des emplois).
Le développement des PME-PMI devrait d’ailleurs bénéficier de la vigoureuse consommation du pays, portée – et c’est une constante – par l’envoi d’argent de la diaspora, qui a représenté 1,2 milliard de dollars en 2010.
Autre facteur tendant à densifier le tissu économique, la crise ivoirienne, qui a poussé certaines sociétés à s’installer au Sénégal. Le secteur bancaire sénégalais en bénéficie pleinement et s’est renforcé. Avec dix-neuf établissements, il constitue le deuxième marché bancaire de l’UEMOA, après la Côte d’Ivoire.
Les résultats du tourisme, levier de croissance encore sous-exploité, restent quant à eux décevants : à peine plus de 461 000 visiteurs en 2010, quand l’objectif est de 1,5 million en 2015 – un but qui semble d’ores et déjà hors d’atteinte, même si les arrivées touristiques ont connu un léger frémissement l’an dernier. Les quelques mesures prises pour booster les investissements dans le secteur et le démarrage de Sénégal Airlines en janvier redonnent cependant espoir aux professionnels. Surtout, le tourisme d’affaires a, lui, bien progressé. Hôtels de luxe dotés de salles de conférences, desserte facilitée depuis l’aéroport, multiplication des événements (salons, foires et autres forums) permettent en effet à l’hôtellerie d’afficher des taux de remplissage annuels excédant les 75 %.
L’optimisme gagne aussi l’agriculture, qui semble enfin avoir engagé sa révolution. « Après des résultats négatifs sur plusieurs campagnes, [la production] s’est redressée en affichant une progression annuelle moyenne de 6,4 % entre 2006 et 2009 », note la Banque africaine de développement. Aidée par des conditions climatiques favorables, la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), lancée en 2008 par le président Abdoulaye Wade, semble donner des résultats.
Du côté des industries extractives aussi, les indicateurs sont au vert grâce à l’essor de la filière phosphates et à l’annonce de la mise en production, d’ici à 2012, de deux nouvelles mines d’or à Goulouma et Massawa, dans la région de Kédougou. Avec 5 t en 2010, le Sénégal est pour le moment le treizième producteur africain d’or, loin derrière les 50 t du Mali voisin, troisième producteur du continent.
Des freins structurels
Reste que globalement, « il y a encore des efforts à faire sur la productivité des investissements et la gouvernance », remarque Valeria Fichera, représentante permanente du FMI à Dakar. Par ailleurs, la croissance se trouve amputée par les activités informelles, qui représenteraient 55 % des flux financiers du pays. « Des fortunes sont bâties via le secteur informel, sur lequel l’État n’exerce aucun contrôle », rapporte un observateur. Un problème auquel pourrait remédier la création récente d’un centre fiscal pour les PME, qui permettrait d’accroître les contrôles.
Autre faiblesse : la crise énergétique. Selon une étude publiée le 16 mars par la Direction de la prévision et des études économiques du ministère des Finances, elle a provoqué une perte de croissance de 1,4 % en 2010 et menace les prévisions de la Banque mondiale (+ 4,5 %) pour 2011. Les délestages pourraient, comme ce fut le cas en 2009, « fortement affecter le taux de croissance économique, [qui] pourrait enregistrer 1,5 % de moins en 2011 », avertissait dès janvier Alan Dennis, un économiste de l’institution. La Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) n’a pas encore su relever le défi de faire face à une demande en hausse de 8 % par an en moyenne, mais « l’État semble avoir compris et placé l’énergie en tête des priorités », selon Valeria Fichera.
Au-delà du plan d’urgence lancé en février, la bonne nouvelle vient peut-être de la note (B1) attribuée au Sénégal le 9 mars par Moody’s grâce à sa « relative stabilité macroéconomique ». Elle pourrait en effet permettre à l’État sénégalais de solliciter plus aisément les marchés internationaux afin de lever quelque 500 millions de dollars (plus de 230 milliards de F CFA), dont une partie serait affectée au secteur énergétique.
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