Bras de fer autour de Belinga
Au point mort depuis 2008, la mine de fer serait encore plus vaste que prévu, selon des études réalisées après son attribution au chinois CMEC. Les autorités gabonaises tentent de casser le contrat pour lancer un nouvel appel d’offres.
« Le projet d’exploitation du gisement de fer de Belinga se fera avec la Chine », assurent invariablement les différents ministres gabonais des Mines qui se succèdent depuis 2007. Mais quand ? En théorie, la production doit démarrer en 2011. Mission impossible. Et pour l’actuel titulaire du poste, Alexandre Barro Chambrier, la prudence est davantage de rigueur : « Je confirme qu’il y a eu un travail technique de recadrage. L’État a redimensionné le projet, mais les discussions se poursuivent avec nos partenaires chinois. Nous attendons donc une réévaluation globale. Sur un projet structurant de cette importance, il est normal que l’on essaie d’harmoniser les différents aspects. Les réserves sont quand même de près de 1 milliard de tonnes. »
Pourtant, des sources proches du dossier l’affirment : les autorités cherchent une faille juridique pour dénoncer le contrat signé en 2008 avec China Machinery Engineering Corporation (CMEC) pour une concession de vingt-cinq ans. Une commission interministérielle, créée le 18 décembre 2009 avec pour mission d’identifier et d’analyser les points de réexamen, a invalidé l’évaluation du gisement et estimé que les infrastructures étaient mal calibrées – le cahier des charges initial prévoyait la construction d’un port en eau profonde, d’un barrage hydroélectrique et d’une ligne de chemin de fer de 560 km. Il a fallu commanditer de nouvelles études et, selon un cadre qui requiert l’anonymat, « les dernières recherches géomagnétiques pourraient révéler des réserves beaucoup plus importantes que ce que l’on croyait ». On parle maintenant d’une réserve de 1 milliard à 4 milliards de tonnes de fer pour le gisement situé dans la région de l’Ogooué-Ivindo.
Table rase
Mais comment faire table rase des accords signés, sans encourir les risques d’une procédure judiciaire ou arbitrale de la part de CMEC, et sans braquer le dragon chinois dont l’industrie vorace absorbe 55 % de la production mondiale de fer ? Le président Ali Bongo Ondimba, qui a séjourné en Chine, fin avril 2010, à l’occasion de l’Exposition universelle de Shanghai, a prévenu Pékin en langage diplomatique. L’engagement du Gabon de poursuivre son partenariat avec la Chine dans ce dossier sera maintenu, a-t-il expliqué en substance, à condition que certains aspects du contrat soient revus et acceptés par les deux parties.
Résultat ? Le « plus grand projet gabonais du siècle » est au point mort depuis trois ans. Et n’existe que sur le papier. La création, le 5 novembre 2007, de la Compagnie minière de Belinga (Comibel), dont l’actionnaire majoritaire est CMEC, est pour l’instant le seul fait majeur de ce partenariat. Depuis, les Chinois n’ont fait parler d’eux que pour la restitution des études de faisabilité ou d’impact environnemental du gisement. Celles qui sont relatives à la construction d’un barrage ont pris du retard, à la suite de l’arrêt des travaux d’aménagement de la route permettant d’accéder aux chutes de Kongou. Pas de quoi satisfaire un pays qui se cherche une alternative aux ressources pétrolières…
Mais il est vrai que l’exploitation minière n’est pas le métier de prédilection de CMEC, plutôt spécialisé dans l’ingénierie industrielle et le BTP ! L’extraction du minerai n’est d’ailleurs pas le point fort de la plupart des groupes chinois… qui ont massivement investi dans l’exploitation des ressources minérales africaines, avec un flux de plus de 7,4 milliards d’euros en 2010. Leur engagement se limite bien souvent à prendre des participations minoritaires dans des gisements de fer ou de cuivre qui sont au final exploités par les majors Rio Tinto, BHP Billiton ou Vale (70 % du marché à elles trois). Les investisseurs chinois sont généralement des sidérurgistes – comme Shandong Iron and Steel Group en Sierra Leone – désireux de sécuriser leur approvisionnement en fer pour fabriquer de l’acier chez eux, ou bien des sociétés de BTP – comme CMEC – qui réalisent les routes ou les voies ferrées pour la logistique minière.
Pourtant, le temps presse. La normalisation de la situation politique en Guinée serait presque une mauvaise nouvelle pour le projet gabonais, désormais en compétition avec celui de Simandou, dont l’exploitation est annoncée pour 2014 et sur lequel Vale et Rio Tinto se sont positionnés. « Le lancement de l’exploitation de l’un retardera pour longtemps celui de l’autre », pronostique un ingénieur gabonais. Les inquiétudes portent aussi sur l’avancement des projets conjoints du « triangle du fer » (Cameroun-Congo-Gabon). Il s’agit des gisements voisins des monts Nabemba et Avina, au Congo, et de Mbalam, au Cameroun, qui seront exploités par la junior australienne Sundance Resources. Et dont la production (100 millions de tonnes par an) sera évacuée à l’horizon 2014 par voie ferrée vers un terminal minéralier en construction au port camerounais de Kribi.
Pesanteurs
Pour sortir de cette impasse, les Gabonais n’excluent pas de lancer un nouvel appel d’offres restreint. BHP Billiton, dont une filiale exploite déjà du manganèse dans le sud-est du pays, est à l’affût ; Marcus Randolph, l’un de ses dirigeants, a été reçu par le chef de l’État le 24 août 2010. Rio Tinto est aussi en embuscade. Mais des cadres gabonais ne cachent pas leur préférence pour Vale ; un accord avec le leader mondial du fer pourrait faciliter l’arrivée d’un autre groupe brésilien, Petrobras, champion du monde de l’offshore profond, dont la compétence pourrait être requise pour relever l’autre défi que s’est fixé Libreville : enrayer le déclin de sa production pétrolière.
Reste que les pesanteurs de l’administration gabonaise expliquent aussi en grande partie les difficultés rencontrées par les Chinois pour exécuter leurs obligations contractuelles. Des problèmes de « management du projet » retardent la prise de décision. Les compétences sont éclatées ou se chevauchent entre le ministère des Mines, la commission interministérielle, la délégation générale du gouvernement et une cellule ad hoc créée à la présidence de la République, soit un département ministériel et trois structures virtuelles composées de technocrates et minées par des conflits d’intérêts. Ces défauts de gouvernance retardent un projet « structurant » susceptible de rapporter de confortables royalties aux caisses de l’État gabonais. Partie remise ?
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