Lluis Quintana-Murci : « Les populations agricultrices de langue bantoue partagent un fond génétique commun »

La génétique reconnaît-elle les bantous ? Jeune Afrique a posé la question à Lluis Quintana-Murci, chercheur au CNRS et directeur depuis 2007 de l’Unité de génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur.

Une représentation de la structure en double hélice de l’ADN (photo d’illustration). © ALASTAIR GRANT/AP/SIPA

Une représentation de la structure en double hélice de l’ADN (photo d’illustration). © ALASTAIR GRANT/AP/SIPA

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Publié le 19 avril 2016 Lecture : 2 minutes.

Une fresque du street artiste Kouka, représentant les guerriers Bantous © Capture d’écran/Youtube
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Les Bantous sans tabous

Pure invention coloniale ou véritable civilisation traversée par une culture, une histoire et une conscience communes ? J.A. relance le débat sur cette communauté qui rassemblerait presque la moitié des Africains.

Sommaire

Jeune Afrique : Pour les spécialistes de la génétique, existe-t-il une famille bantoue ?

Lluis Quintana-Murci : Les populations agricultrices de langue bantoue sont génétiquement plus proches entre elles que d’autres populations d’Afrique subsaharienne. Elles partagent un fond génétique commun qui n’est pas observé chez un Mandenka du Sénégal ou un Amhara d’Éthiopie. Le génome des peuples bantouphones vivant aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Sud révèle également que ce fond génétique commun a été modulé par un mélange génétique, au cours du dernier millénaire, avec diverses populations locales. Un Xhosa d’Afrique du Sud et un Bakiga d’Ouganda partagent donc de très grandes similitudes pour 80% de leur génome, mais chacun présente également près de 20% de fonds génétiques typiques de populations éthiopiennes, d’un côté, et khoesan de Namibie, de l’autre.

Les populations agricultrices de langue bantoue sont génétiquement plus proches entre elles que d’autres populations d’Afrique subsaharienne

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La génétique est-elle en accord avec les thèses développées par les autres disciplines, comme la linguistique et l’archéologie ?

Nous avons récemment analysé le génome de 1900 individus issus de 53 populations de toute l’Afrique subsaharienne, parlant des langues de la famille Niger-Congo. Nous observons une plus grande similitude génétique entre les populations parlant des langues proto-bantoues, bantoïdes et yoruba, en comparaison avec les peuples camerounais bantouphones. Nous avons daté la séparation des populations bantouphones de l’Ouest et de l’Est à 5000 ans environ. Nous avons également pu démontrer, comme l’indiquent les études de linguistique les plus récentes, que les expansions bantoues se sont probablement dirigées vers le sud (vers l’Angola) puis vers l’est, et non pas directement vers l’est. Comment le savons-nous ? Les peuples bantouphones du Kenya ou d’Ouganda sont plus proches génétiquement de ceux d’Angola et du sud du Gabon, que de ceux du nord du Cameroun.

Nous avons daté la séparation des populations bantouphones de l’ouest et de l’est à 5000 ans environ

Pourquoi l’ADN mitochondrial bantou correspond-il souvent à l’ADN pygmée ?

Le partage d’ADN mitochondrial entre Bantous et chasseurs-cueilleurs Koya ou Kola (ainsi que le partage d’autres marques génétiques) soutient l’hypothèse d’un brassage génétique important entre ces deux populations.

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Finalement, que nous apprend la génétique sur les migrations bantoues ?

La génétique soutient actuellement un modèle selon lequel les populations de langue bantoue sont entrées en expansion il y a environ 3 à 5000 ans, à partir de l’Afrique de l’Ouest, en passant par le Cameroun, le Gabon, l’Angola, pour rejoindre ensuite l’Afrique de l’Est. Là, elles commencent à se mélanger, il y a sensiblement 1000 ans, avec des populations locales similaires aux Amhara d’Éthiopie, aux Massaï du Kenya ou aux Somali. Elles migrent également vers le sud, où elles se mélangent, il y a à peu près 800 ans, avec des populations similaires aux chasseurs-cueilleurs khoesan vivant aujourd’hui en Namibie. En parallèle, les Camerounais, Gabonais et Angolais se mélangent, au cours des derniers 800 ans, avec les chasseurs-cueilleurs de la forêt équatoriale, tels que les Koya, Kola et Bongo.

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