Patrick Mouguiama-Daouda : « Il existe 500 à 600 langues bantoues »
Patrick Mouguiama-Daouda est linguiste, professeur à l’université Omar Bongo de Libreville, il co-dirige le projet « Langue, culture et gène bantous : objectifs et enjeux » au CNRS. Pour Jeune Afrique, il revient sur la dissémination des langues bantoues sur le continent. Interview.
Les Bantous sans tabous
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Jeune Afrique : Que sait-on aujourd’hui sur les Bantous ?
Patrick Mouguiama-Daouda : Il s’agit d’abord une famille de plusieurs centaines de langues – 500 à 600 selon la façon dont on compte – répartie sur une superficie relativement importante. Du Nord au Sud, ce territoire part de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria dans la vallée de la Bénoué et s’étend jusqu’en Afrique du Sud, et d’Ouest en Est de l’océan Atlantique à l’océan Indien. Tout le sous-continent est occupé par les locuteurs bantous.
C’est une identité actuelle, c’est aussi une histoire importante car c’est l’une des migrations les plus connues et les mieux étudiées dans l’histoire de l’humanité. Cette expansion est datée de l’époque néolithique, notamment avec le développement de l’agriculture. Ces langues sont parties de la vallée de la Bénoué pour se diffuser.
Qu’est-ce qui explique la dissémination des langues bantoues ?
Ces langues sont portées par des hommes qui se déplacent et qui vont rencontrer d’autres populations sur les territoires de conquête
La connaissance des nouvelles techniques agricoles est l’un des facteurs qui ont provoqué les migrations. Qui dit agriculture, dit recherche de nouvelles terres et/ou augmentation de la taille de la population, donc expansion.
Ultérieurement, il y a deux mille ans à peu près, les Bantous ont commencé à travailler le fer. Ce sera un autre un facteur de l’expansion des langues bantoues. Elles sont portées par des hommes qui se déplacent et qui vont rencontrer d’autres populations sur les territoires de conquête, notamment les peuples de chasseurs-cueilleurs d’Afrique centrale, les Pygmées et plus loin en Afrique australe et orientale, les Bochimans et les Hottentots…
C’est cette rencontre qui va constituer la population de ces régions. Ces autochtones ont été progressivement assimilés par les Bantous au point de faire disparaître les langues originelles des Pygmées. La culture des chasseurs-cueilleurs va subsister mais les langues vont disparaître. On a donc aujourd’hui des Bantous bantouphones et des populations pygmées qui sont devenues bantouphones mais qui avaient à l’origine leur propre langue.
Comment cette migration s’est-elle opérée ?
En gros, on a retracé trois mouvements de population. Le premier passe par les côtes, pour éviter de pénétrer la forêt ; il donnera naissance aux langues parlées au Cameroun, au Gabon, au Congo-Brazzaville. Puis le deuxième mouvement a pénétré la forêt pour donner naissance aux langues qui sont parlées en RD Congo, dans le sud du Gabon. Enfin, il y a un mouvement général qui a contourné la forêt pour donner naissance aux langues parlées en Afrique australe et de l’Est.
On peut dire qu’au Gabon ou au Cameroun on est dans une échelle de 60 à 70% de langues en danger
Est-ce qu’il existait une langue mère des langues bantoues, au départ ?
C’est le linguiste écossais Malcolm Guthrie [1903-1972, NDLR], qui a commencé le travail de reconstitution de la langue mère des langues bantoues, qu’il a baptisé le proto-bantou. Cette méthode fait appel à des formules et équations car les langues bantoues n’ont été écrites que récemment. Là il s’agit d’une langue mère qui ne s’écrivait pas et dont on n’a pas de traces. Donc on part des langues bantoues actuelles et ont fait une comparaison en mettant en évidence les ressemblances par un jeu d’équation et de formule pour restituer une idée de la langue mère.
Combien de langues bantoues ont disparu ?
Les langues bantoues n’ont pas fait que phagocyter des langues pygmées. Elles ont aussi favorisé la disparition de certaines langues-sœurs. Les migrations fangs ont provoqué la disparition des langues de population bantoues moins nombreuses et moins outillées sur le plan technologique. On peut dire qu’au Gabon ou au Cameroun on est dans une échelle de 60 à 70% de langues en danger. Elles peuvent disparaître à court ou moyen terme.
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