Naoufel Brahimi El Mili : « Les Algériens avaient placé beaucoup d’espoir en François Hollande »

Depuis le tweet par Manuel Valls d’une photo montrant Abdelaziz Bouteflika dans un état diminué, la presse et les responsables politiques algériens se déchaînent contre le chef du gouvernement français.

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika. © AP/SIPA

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika. © AP/SIPA

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 19 avril 2016 Lecture : 4 minutes.

Dans ce cliché datant du 10 avril, on voit en effet un président au regard perdu, la bouche ouverte, l’air égaré… Interview de Naoufel Brahimi El Mili, politologue algérien, qui revient sur les raisons profondes de cet imbroglio diplomatique.

Jeune Afrique : Pourquoi la photo de Abdelaziz Bouteflika postée sur Twitter par Manuel Valls a-t-elle suscité l’indignation des responsables algériens et de la presse ?

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Naoufel Brahimi El Mili* : Tous ceux qui ont critiqué cette photo sont complices d’une mascarade, ils se défaussent sur la France. La photo n’a pas été volée. Elle a fait l’objet d’un accord entre la présidence algérienne, l’AFP et la chaîne France 2. Je précise que le photographe de l’AFP et le cameraman de France 2 ont eu à peine plus de deux minutes pour faire leur travail dans la salle où a eu lieu cette rencontre officielle. Leur travail était donc encadré. Manuel Valls a tweeté une de ces photos comme il le fait dans tous ses meetings officiels, même si je pense qu’il aurait dû être sur ses gardes. Il a bien vu que le régime algérien était exaspéré (à cause du scandale des Panama Papers), allant jusqu’à refuser le visa à des journalistes français qui voulaient couvrir sa visite. Mais recentrons le débat : si le président algérien va mal, ce n’est pas la faute de la France. Au contraire, c’est la France qui le soigne et qui le maintient en vie.

Si l’état de santé de Bouteflika est connu de tous, comment comprendre cette polémique en Algérie alors ?

Justement, tout le monde sait qu’il est malade. Mais on préfère chercher un bouc-émissaire. À partir du moment où cette photo est sortie sur le compte twitter d’un Premier ministre français, on a crié au scandale. Je rappelle que Bouteflika ne s’est plus adressé à son peuple depuis 2012.

Au fond, pourquoi les Algériens en veulent-ils à la France ?

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Alger a réalisé que sa coopération historique avec Paris a une limite appelée Sahara occidental. Les Algériens avaient placé beaucoup d’espoir en Jean-Marc Ayrault qui était un des rares maires socialistes à avoir reçu des enfants sahraouis dans des colonies de vacances quand il était maire de Nantes. Mais une fois devenu ministre, il s’est aligné sur la position officielle de son pays. Les Algériens se sont sentis trahis.

Pourtant, la position de la France a toujours été pro-marocaine…

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Vous savez, les Algériens avaient placé beaucoup d’espoirs en François Hollande également. Il a bien commencé son mandat en prononçant un discours historique le 17 octobre 2012, où il a reconnu le massacre des manifestants pro-FLN de 1961. Mais très vite, il a changé. 

Il a rejoint la position de ses prédécesseurs à l’Élysée…

Tout à fait. En 1976, en visite à Alger, François Mitterrand, alors premier secrétaire du parti socialiste, a parlé du droit à l’auto-détermination, mais ses paroles n’ont pas été suivies d’actes lorsqu’il a été élu président. Comme lui, Jacques Chirac, quand il était Premier ministre, a évoqué les droits du peuple sahraoui lors d’une visite à Tripoli, mais n’a rien fait une fois à l’Élysée. Si on exclut Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais affiché son soutien à la thèse algérienne, il reste François Hollande et Jean-Marc Ayrault dont les sympathies sahraouies étaient connues. Les Algériens, qui ont fait beaucoup de concessions économiques pour la France, n’ont pas compris ce revirement. 

Quel genre de concessions ?

Pour son usine de montage à proximité de la ville d’Oran, Renault a obtenu une exclusivité sur 5 ans, selon laquelle il n’y aura pas d’autres constructeurs, notamment italiens out allemands, qui viendront la concurrencer alors que les emplois directs générés par cette usine ne dépassent pas les 350 !

La colère d’Alger contre Paris explique-t-elle le report inattendu de la signature du contrat de la construction de l’usine PSA-Peugeot-Citroën, qui était au programme de la visite de Valls ?

Il se pourrait qu’il y ait des problèmes techniques, inhérents à ce genre d’investissements. Je ne vois pas de lien entre les tensions diplomatiques et le report de ce projet.

Pourquoi l’Algérie a mis le dossier du Sahara dans son agenda diplomatique avec la France ?

Le contexte est assez lourd. La RASD a maintenant 40 ans. Et l’Algérie se sent de plus en plus encerclée par l’activité diplomatique des Marocains. Rabat consolide ses positions au Mali et puisqu’on commence à parler d’une reconnaissance des Touaregs de l’Azawad, les Algériens en profitent pour remettre sur la table la reconnaissance du Polisario.

Alger et Paris peuvent-ils aller au clash ?

Non, les responsables algériens connaissent leurs limites. Beaucoup sont titulaires de cartes de séjour françaises et ont des relations très étroites avec la France. En critiquant la publication de la photo de Bouteflika, ils voulaient se dédouaner de tout accrochage diplomatique avec la France et dire que c’est elle qui les agresse. 

*Spécialiste du Printemps arabe, il prépare actuellement un livre : Les 50 ans d’histoire secrète entre la France et l’Algérie, prévu chez Fayard.

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