Albert Yuma Mulimbi : « la RD Congo est le pays d’avenir en Afrique »
Si les indicateurs économiques s’améliorent, le retard accumulé par la RDC est énorme. Le point de vue de Albert Yuma Mulimbi, patron des patrons.
Insuffisant : « Il faut une croissance à deux chiffres pour que la population commence vraiment à bénéficier de changements durables et qualitatifs », explique Albert Yuma Mulimbi, le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). « Au-delà des mines, tous les autres secteurs, de l’agriculture aux services en passant par l’industrie, sont capables de générer de quatre à cinq points de croissance supplémentaires par an », assure pourtant Jean-Paul Mvogo, auteur d’une récente Encyclopédie de l’industrie et du commerce de la RDC. Le frein majeur : la rudesse des affaires. Malgré des avancées, comme l’adhésion (qui reste à ratifier) au traité de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) ou la transformation des entreprises publiques en sociétés de droit privé, le pays recule de deux places (178e sur 183) dans le classement « Doing Business » 2012 de la Banque mondiale. « La situation s’est beaucoup améliorée, mais il reste du chemin », concède Albert Yuma Mulimbi. Cet homme d’affaires incontournable analyse les perspectives de l’économie de son pays.
Jeune Afrique : À l’approche de la présidentielle, craignez-vous que de nouvelles tensions affectent le développement économique du pays ?
ALBERT YUMA MULIMBI : Je suis serein, et je ne suis pas le seul. Il y aura peut-être, ici ou là, quelques contestations locales, mais je ne crois pas à des tensions postélectorales. Début novembre, lors du dernier conseil d’administration de la FEC, j’ai demandé aux chefs d’entreprise de ne pas réduire leur activité, ce qui aurait été un mauvais signal donné à la population. Cette demande est bien observée. Sincèrement, je ne crois pas à une crise postélectorale.
La FEC a-t-elle profité de cette période électorale pour faire passer des messages sur ses priorités économiques ?
La FEC est une organisation apolitique, et nos messages sont connus et répétés chaque jour. J’ai par ailleurs été réélu pour un troisième mandat en mai dernier et j’ai demandé à toutes les commissions nationales de la FEC d’établir chacune un programme sectoriel d’actions sur trois ans. Nous les rassemblerons dans un document de référence qui sera remis au gouvernement. Il sera prêt en décembre. En suivant ce livre blanc de la FEC, nous arriverons à un véritable développement du pays.
Dans le secteur agricole, par exemple, nous attendons depuis des années la promulgation du nouveau code que nous avons corédigé. Qu’on ne se focalise pas sur les mines : le Congo est d’abord un pays d’agriculture. C’est ce secteur qui amènera le plus vite le développement au plus grand nombre. Et il ne faut pas oublier l’agro-industrie, qui demande des investissements lourds et spécifiques et qui nécessite une fiscalité particulière et incitative.
On dit qu’une agriculture congolaise intensive pourrait nourrir 1 milliard d’êtres humains…
Avec l’Argentine, la RD Congo a le plus important potentiel de terres agricoles au monde. C’est pour cela que je m’oppose formellement à la vente de terres agricoles à des investisseurs étrangers. Nous avons d’ailleurs posé ce principe comme préalable dans le code agricole.
Exsangue, l’industrie congolaise peut-elle retrouver sa vitalité passée ?
L’industrie congolaise est principalement fragilisée par le problème des infrastructures d’énergie et de transport, indépendamment des freins liés à la fiscalité ou à l’insécurité juridique et judiciaire. Autre problème, le financement des investissements. La plupart des industries qui résistent sont des filiales d’entreprises étrangères qui bénéficient de financements intra-groupes. On peut relancer l’activité, car nous disposons de la plupart des matières premières sur place. Sauf qu’aujourd’hui il est plus compétitif d’importer les intrants que de les produire localement !
Mais la RD Congo est aussi le principal marché d’Afrique centrale ou australe, celui que tout le monde vise. Sur la base des propositions de la FEC, elle sera bel et bien, avec la population dont elle dispose et la stabilité politique qui commence à être là, le pays d’avenir en Afrique.
Pour le moment, deux éléments clés du développement font défaut : l’énergie et les financements.
Pour l’énergie, tout le monde – bailleurs de fonds et gouvernement – est enfin d’accord pour réaliser les grands projets Inga II et III. Les sources de financement se mettent en place, à la faveur aussi du projet d’un opérateur privé qui veut faire une usine d’aluminium dans le Bas-Congo [BHP Billiton, pour près de 4,5 milliards d’euros, NDLR] et qui aura besoin à lui seul de la moitié de la capacité de production actuelle d’Inga. La Banque mondiale, qui avait traîné des pieds, accompagne maintenant le projet. Mais il ne faut pas tout concentrer sur Inga. Il faut installer ou moderniser des centrales hydroélectriques dans presque toutes les provinces. C’est en train d’être fait.
Et les banques ? Comment faire pour qu’elles financent enfin l’économie ?
C’est vrai, le secteur bancaire ne joue pas son rôle, mais ce qui est étonnant c’est qu’il grandit à une vitesse extraordinaire. De sept à huit banques il y a quelques années, on est passé à près de vingt, dont, effectivement, les fonds propres et les capacités de financement restent très faibles. Mais toutes ces banques viennent parce qu’elles sont convaincues que c’est au Congo qu’il y aura un boom économique en Afrique. Nous allons voir revenir très rapidement des banques françaises, comme BNP Paribas, ou anglaises, comme Barclays.
Encore faut-il convaincre les Congolais.
La stabilité monétaire les a rassurés. Désormais, les usagers peuvent garder leur argent indistinctement en francs congolais ou en dollars. Et il est strictement interdit de saisir un compte, y compris en monnaie étrangère. Ce qui a fait passer le nombre de comptes de 30 000 à près de 1 million. Les dépôts augmentent, donc les moyens des banques aussi.
Pourtant, le pays recule encore de deux places dans le classement « Doing Business » 2012. Ne présentez-vous pas une vision trop optimiste du climat des affaires ?
Cela fait six ans que je suis président de la FEC. À mon arrivée, le climat et l’environnement des affaires étaient exécrables. Nous avons créé un partenariat avec le gouvernement, et les points de vue de la FEC sont audibles. Grâce à notre action, le Congo a adhéré au traité de l’Ohada. Il reste à déposer les instruments de ratification. La situation s’est beaucoup améliorée, mais il y a encore du chemin.
Reste ce classement…
Il faut savoir que de nombreux critères de « Doing Business » ne sont pas directement opérationnels pour le secteur privé dans le pays, ou qu’ils n’ont pas réellement d’impact chez nous. Ce qui nous préoccupe – je l’ai dit aux équipes de « Doing Business » -, c’est la sécurité juridique et judiciaire, les infrastructures, une administration et des entreprises publiques faibles, et une fiscalité qui reste encore trop lourde. Et quand je dis qu’il y a une amélioration du climat des affaires, c’est par rapport aux critères de la FEC et à ceux qui importent aux opérateurs économiques dans leur activité de tous les jours. Ce qui est certain, c’est que le jour où on déposera les éléments de ratification du traité de l’Ohada, la RD Congo gagnera vingt places dans le classement.
Autre défi majeur : la Générale des carrières et des mines (Gécamines). En décembre, vous terminerez votre première année en tant que président du conseil d’administration. Quel bilan en tirez-vous ?
La Gécamines est dans une situation dramatique. J’ai pratiquement consacré les premiers mois à faire un état des lieux sur lequel on a bâti un business plan à cinq ans. Ce plan devrait permettre de passer d’une production de plus ou moins 18 000 tonnes de cuivre par an à plus de 100 000 t dans cinq ans. Nous voulons aussi mettre fin aux résultats déficitaires chroniques depuis une quinzaine d’années pour afficher des bénéfices conséquents à partir de 2015.
Pouvez-vous détailler ce plan à cinq ans ?
La stratégie est de refaire de la Gécamines un opérateur minier indépendant. Il est hors de question d’accepter le plan – qui n’était pas local, d’ailleurs – qui consistait à en faire un holding gérant des participations minoritaires dans des joint-ventures et n’ayant plus d’activités minières en propre. Nous allons relancer la prospection et les recherches afin de certifier des réserves minières permettant plus de dix ans d’activité.
Allez-vous exploiter de nouveaux gisements ?
Exactement. Nous ne toucherons pas à la trentaine de joint-ventures conclus depuis 2000. Nous allons toutefois réaliser des audits financiers limités pour voir si ce qui a été signé a bien été mis en place.
Comment financer cette stratégie ? On dit que vous devez trouver 962 millions de dollars (soit plus de 716 millions d’euros) ?
Oui, et il y a trois sources de financement. Tout d’abord, celle qui fait le plus parler d’elle : la cession de participations non stratégiques. Nous avons déjà cédé notre participation de 20 % dans le joint-venture Mumi [Mutanda ya Mukonkota Mining]. Nous en avons retiré 137 millions de dollars, réservés aux premiers investissements de modernisation et à la reprise de la prospection. Deuxième source, qui pourrait totaliser 200 millions de dollars : le système bancaire non traditionnel, comme les banques de coopération internationales. Troisième source, utilisée par tous les miniers : la mise en gage des titres miniers sur la base de la certification des gisements. Nous espérons certifier plus de 4 millions de tonnes de cuivre dans les trois ans. Au prix actuel du cuivre, c’est un potentiel de plusieurs milliards de dollars.
Et en termes de chiffre d’affaires ?
En 2011, nous espérons un chiffre d’affaires, non lié à des partenariats ou opérations spéciales comme des cessions, de 260 millions de dollars. Et nous espérons atteindre plus de 1 milliard de dollars en 2016. Nous avons une projection très prudente, avec une tonne de cuivre à 6 500 dollars, contre 8 500 aujourd’hui. Nous pensons revenir à des résultats bénéficiaires dès 2015, avec 99 millions de dollars, puis passer à 145 millions en 2016.
Et comment comptez-vous gérer le passif colossal de 1,6 milliard de dollars ?
C’est le passif à fin 2010. Dans le cadre du plan de transformation des entreprises publiques en sociétés de droit commercial [opération réalisée fin 2010], le passif non assurable, autour de 800 millions de dollars, devrait être pris en charge par l’État. Nous négocions par ailleurs un allègement significatif (environ 70 %) des dettes financières. Notre passif devrait se situer entre 300 et 400 millions de dollars à fin 2012. Ce qui est tout à fait viable pour une entreprise minière comme la Gécamines.
Vous êtes patron d’une entreprise privée avec l’État comme seul actionnaire. Est-ce vivable ?
Cela ne me pose pas de problèmes. Le processus de transformation des entreprises publiques en sociétés commerciales précise bien qu’il n’y a plus de tutelle administrative et financière du gouvernement. Aujourd’hui, la Gécamines est gérée par son conseil d’administration et une direction générale ; le contrôle de l’État se fait via l’assemblée générale des actionnaires, que je préside. Nous allons publier tout ce que nous faisons dans un souci de transparence totale. De plus, cette phase est transitoire. Le but est de redresser l’entreprise pour pouvoir, à l’initiative de l’État actionnaire, ouvrir son capital à des partenaires privés minoritaires.
Vous y réfléchissez déjà ? À quelle échéance ?
Absolument. Si dans cinq ans nous atteignons les objectifs du business plan, nous serons en position favorable pour cela. La Gécamines est appelée à redevenir une grande entreprise minière.
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