Guillaume Koffi : « Une ville bien pensée permet de mieux vivre ensemble »
En Côte d’Ivoire, l’aménagement urbain est un chantier prioritaire. Entretien avec Guillaume Koffi, le président du Conseil national de l’ordre des architectes.
Jeune Afrique : Le gouvernement a l’intention d’engager la réhabilitation de cinquante villes dès l’an prochain. Les architectes ivoiriens sont-ils consultés ?
GuilIaume Koffi : Pas encore. Mais c’est un souhait. Il est évident que la concertation doit associer ministères techniques, collectivités locales, urbanistes et architectes, pour doter le pays de vrais schémas directeurs.
Élaboration de plans d’urbanisme et de restructuration, aménagement des espaces publics et communautaires… La planification est indispensable à une urbanisation maîtrisée et, en donnant leur approche globale de la cité et de l’habitat, les architectes ont un rôle central à jouer. Nous devons réfléchir et proposer, en partenariat avec l’ensemble des autres acteurs, des solutions créatives, innovantes, qui intègrent les quatre piliers d’un urbanisme durable : le culturel, le social, l’environnemental et l’économique.
Pouvez-vous contribuer à la réconciliation, au « mieux vivre ensemble » ?
Il est évident qu’une ville bien pensée permet de mieux vivre ensemble. Il faut réintroduire de la mixité sociale dans nos quartiers, ainsi que de la mixité fonctionnelle, c’est-à-dire l’ensemble des services et commodités auxquels les citoyens ont droit : eau, assainissement, électricité, chaussées et cheminements, équipements publics, transports… Chacune de nos villes doit offrir à ses citoyens la possibilité d’un habitat adapté à leurs besoins et à leurs ressources. Pour cela, il faut une volonté politique et un choix affirmé en matière d’urbanisme.
Y a-t-il une réflexion sur l’environnement urbain africain ?
L’État est responsable de la planification. Son désengagement, depuis plus d’une décennie, est l’une des causes du développement sauvage de nos villes. Il faut revenir à plus de cohérence, de maîtrise de l’expansion urbaine et de la consommation d’espace. Pour répondre à l’évolution démographique, il faut densifier et créer des îlots plus compacts. Il faut aussi mieux gérer les réseaux, le voisinage et mutualiser les équipements. Ce partage des ressources et de l’espace passe, encore une fois, par l’innovation.
Comment faire cohabiter le fonctionnel et l’esthétique ?
Ils ne sont pas incompatibles, pas plus que le logement de qualité et l’habitat de masse. Aux architectes de proposer une offre diversifiée permettant un parcours urbain harmonieux. Nous devons aussi encourager la qualité et la durabilité des logements, et participer à l’effort en faveur des exclus en mettant notre savoir-faire et notre réflexion à la disposition des acteurs sociaux. Enfin, il faut sensibiliser les Ivoiriens, dès le plus jeune âge, aux enjeux de l’urbanisme et de l’architecture.
Quels modèles urbains faut-il promouvoir ?
Il n’y a pas de recette universelle en matière d’urbanisme. Les réponses doivent être locales et adaptées au contexte. Notre priorité est de privilégier un projet urbain global. Ce principe doit être consacré par l’État et inscrit dans le marbre, avec notamment la rédaction d’une charte de l’environnement.
Le rôle de l’architecte est d’accompagner les autorités, au niveau national et local, pour les aider à définir leur politique de la ville et les différents projets d’aménagement.
Le plan d’urbanisme d’Abidjan date des années 1970. Sur quelles bases le revoir ?
La ville a été pensée à l’époque coloniale autour de grands pôles de développement : un quartier d’affaires (Le Plateau), deux quartiers indigènes (Treichville et Adjamé), une zone commerciale et industrielle (la Zone 4) et une d’habitat moderne (Marcory). Dans les années 1970, l’État a construit les premiers grands ensembles immobiliers et sociaux, à Port-Bouët, aux « 220 Logements » ou dans le grand quartier-dortoir de Yopougon, la commune de Cocody restant la zone résidentielle. Ces quartiers, qui ont une quarantaine d’années, ont besoin d’une restructuration, sur la base de documents d’urbanisme qui prendront en compte les nouveaux enjeux économiques, sociaux et culturels.
» Toutes nos stratégies doivent intégrer le concept de développement durable «
Le gouvernement a l’ambition de construire 50 000 logements sociaux par an. Est-ce réaliste, et est-ce suffisant ?
Historiquement, les autorités ont créé des sociétés publiques, la Sogefiha et la Sicogi, afin de construire plus de 90 000 logements à Abidjan et à l’intérieur du pays. La mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel a mis fin à cette politique dans les années 1980.
Aujourd’hui, l’engagement du nouveau gouvernement de construire 50 000 logements sociaux par an est un pari ambitieux qui, avec une moyenne de 10 personnes par famille, devrait permettre de loger ou reloger quelque 500 000 habitants.
Dans la situation actuelle, les groupes immobiliers ivoiriens ne sont pas en mesure de réaliser, à eux seuls, ce programme. Il faut donc penser à un autre type de production, en ayant notamment recours aux logements préfabriqués. Il faut également envisager des formes innovantes de promotion immobilière, comme le partenariat public-privé. Cela nécessite une forte implication de l’État dans la maîtrise des questions foncières, la sélection des intervenants compétents, la réalisation d’une planification urbaine pertinente et adaptée, la conception des projets innovants, la recherche des ressources financières, l’élaboration d’un accompagnement fiscal adapté, la mise en place de banques de matériaux bon marché, etc.
Abidjan est une ville lagunaire. Est-ce un atout ou un inconvénient ?
Site unique au monde, la « perle des lagunes » est devenue un espace de construction anarchique et insalubre. Le réseau maritime fait figure de dépotoir… Faisons un état des lieux et mobilisons les compétences d’urbanistes, de paysagistes, d’architectes, pour faire d’Abidjan une ville durable.
Comment transformer Yamoussoukro pour qu’elle joue réellement son rôle de capitale politique ?
L’État doit mener, avec les professionnels, une réflexion globale sur la capitale et son devenir, en prenant en compte son évolution démographique, économique, culturelle, sociale et environnementale. En plus des édifices abritant les institutions, il faudra privilégier la création de quartiers intégrant les différentes fonctions nécessaires : travail, logement, services, loisirs, etc., tout en évitant l’étalement urbain et le mitage. Yamoussoukro, ville-jardin et ville durable… C’est une idée à creuser.
Comment le pays peut-il s’inscrire dans la dynamique d’urbanisme durable ?
Toutes nos stratégies doivent intégrer le concept de développement durable. C’est un impératif, au XXIe siècle. Pour répondre aux enjeux de développement du territoire, il faut faire des choix structurants, fixer un cap clair et partagé, sur la base d’états des lieux réalisés par les experts. Développement durable et architecture responsable doivent guider nos pas.
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