Arabie saoudite : la grande rupture

*Cet édito a été publié dans le n°2885-2886 de Jeune Afrique, paru le 24 avril 2016.

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 5 mai 2016 Lecture : 5 minutes.

Nous venons d’assister coup sur coup, dans la même semaine et la même région, à deux événements : une réunion ratée et un voyage d’adieu dont nous avons du mal à mesurer l’importance.

Mais l’Histoire pourrait faire le lien entre ces deux événements et retenir la semaine qui vient de s’écouler comme celle d’une grande rupture.

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La réunion a été celle des grands exportateurs mondiaux de pétrole (et de gaz) : elle s’est tenue à Doha mais n’a duré que quelques heures et a fini en queue de poisson.

Le voyage d’adieu est celui du président des États-Unis en Arabie saoudite, alliée de l’Amérique depuis soixante-dix ans. Entamée le 20 avril, la visite a duré deux jours, et c’est la dernière du président Barack Obama dans ce pays.

Quel est le contexte de ces deux événements et quelles en seront les conséquences ?

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Se sont rassemblés dans la capitale du Qatar, dans l’après-midi de ce dimanche 17 avril, les représentants des dix-huit plus grands exportateurs mondiaux de pétrole et de gaz. Membres ou non de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), ils se sont réunis parce qu’ils assurent, à eux seuls, plus de 50 % des exportations mondiales.

Ils se sont posé deux questions : que faire pour arrêter la chute vertigineuse du prix de « l’or noir » ? Comment organiser sa remontée ?

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Les dix-huit ont constaté leur incapacité à prendre la moindre décision. Dépités, au comble de la désunion, ils ont mis un terme à la réunion dans la soirée. « Nous avons besoin de temps pour de nouvelles consultations », ont déclaré leurs porte-parole.

En réalité, le ver était dans le fruit : l’Opep n’a pas seulement perdu en 2014 le contrôle de la quantité de pétrole mise sur le marché et, par conséquent, la maîtrise de son prix ; elle s’est aussi politisée à l’excès.

Son membre le plus important, celui qui produit et exporte le plus, l’Arabie saoudite, en est arrivé, depuis un an, à faire passer sa détestation de l’Iran, autre membre de l’organisation, avant ses propres intérêts économiques.

Réduire l’influence de l’Iran, et l’isoler, est devenu son obsession.

Et c’est parce que l’Iran n’a pas voulu se faire représenter au niveau requis à la réunion du 17 avril à Doha, signifiant ainsi qu’il ne serait pas lié par ses décisions, que les dirigeants saoudiens ont sabordé la réunion sans craindre les conséquences du fiasco.

Affaiblie parce que le pétrole a cessé, à la mi-2014, d’être rare et cher, l’Opep est aujourd’hui cassée de l’intérieur. Après avoir perdu la toute-puissance qu’elle avait acquise au cours du dernier demi-siècle, et les deux tiers des revenus de ses treize pays membres, elle est aujourd’hui paralysée.

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La plupart des observateurs ont noté que l’Arabie saoudite est devenue imprévisible. Au cours de ces douze derniers mois, elle est passée d’une extrême prudence et d’une légendaire retenue à une politique qui multiplie les défis.

Son nouveau roi, Salman Ibn Abdelaziz Al Saoud, a donné les rênes du pouvoir à son fils préféré, Mohammed Ibn Salman, 30 ans, qui s’est emparé de la politique pétrolière du pays.

Il a décidé, impulsivement, de revenir sur sa décision de figer la production de pétrole aussi longtemps que l’Iran s’exonérerait de cette obligation pour retrouver le niveau que les sanctions occidentales lui ont fait perdre.

Il pense que son pays tiendra le coup et s’en tirera. Quant à l’Opep et aux grands exportateurs qui n’en sont pas membres, « qu’ils se débrouillent et résolvent leurs difficultés. Notre problème à nous, c’est l’Iran », se dit-il.

C’est ce que j’appelle une grande rupture.

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À vrai dire, l’Opep était déjà arrivée au terme d’un règne qui aura duré un demi-siècle, et l’alliance États-Unis – Arabie saoudite avait commencé à se défaire.

L’impulsivité du jeune prince saoudien et ses coups de boutoir irréfléchis n’ont fait qu’accélérer un processus déjà en marche et dont les conséquences seront immenses.

Le meilleur connaisseur du monde pétrolier, Daniel Yergin, a donné son diagnostic dès le 11 avril : on s’achemine vers la fin de l’Opep.

« Son pouvoir est brisé, ses membres sont incapables de s’entendre et révèlent ainsi la faiblesse de l’organisation.

« Le prix du baril est passé en quelques mois de 115 dollars à moins de 40 dollars, une baisse d’une ampleur sans précédent. Il remontera à la fin de cette année ou au cours de la prochaine. Mais on en sera à la recherche d’un prix équilibré. »

Ni dans un délai prévisible de plusieurs années, ni, peut-être jamais, on ne reviendra au prix de 100 dollars le baril. Le « prix équilibré » se situera probablement dans la fourchette 55-65 dollars, supportable par la plupart des consommateurs et qui permet aux pays exportateurs, même aussi peuplés que l’Algérie, l’Iran et le Nigeria, d’y trouver leur compte.

À condition de cesser de dépendre presque exclusivement du pétrole pour leur budget et leurs ressources en devises.

Le malheur actuel des trente pays grands exportateurs d’hydrocarbures aura été bénéfique si, dans quelques années, des énergies nouvelles, comme le solaire, ont pris leur part et si le pétrole et le gaz sont fournis à un prix rémunérateur pour ceux qui l’exportent, supportable par la majorité de l’humanité qui l’achète.

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Barack Obama aura fait évoluer la relation États-Unis – Arabie saoudite au cours de ses huit années à la Maison Blanche. Mais, là aussi, le ver était dans le fruit depuis le 11 septembre 2001, puisque le commanditaire des attentats anti-Américains de ce jour-là, Oussama Ben Laden, et la plupart de leurs exécutants étaient saoudiens !

Avant d’accéder à la Maison Blanche, Barack Obama jugeait le wahhabisme, à juste titre, comme une idéologie pernicieuse, source d’extrémisme, et un obstacle à la modernité. Ayant à traiter avec les dirigeants saoudiens, il les a trouvés égoïstes, repliés sur eux-mêmes, fermés à toute entente avec l’Iran, à tout partage d’influence avec eux.

Les dirigeants saoudiens attendent avec impatience son départ. Mais selon toute vraisemblance ils n’auront jamais plus à la Maison Blanche un président comme ceux qu’ils ont connus au XXe siècle.

Pour une raison aussi simple que déterminante : les États-Unis produisent désormais le pétrole qu’ils consomment et n’ont plus guère besoin de l’Arabie.

Elle demeure toutefois un bon client pour leurs marchands d’armes.

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