Marcel Gossio : « Devenir le Rotterdam de l’Afrique »
Alors que le Port autonome d’Abidjan vient de lever un emprunt de 50 millions d’euros, son patron depuis dix ans revient sur les défis maritimes de la Côte d’Ivoire.
Jeune Afrique : Que va faire le Port autonome d’Abidjan (PAA) des 33 milliards de F CFA [50 millions d’euros] récemment levés dans le cadre d’un emprunt obligataire ?
Marcel Gossio : Notre activité progresse de 5 % par an et se diversifie. Au fil du temps, le PAA s’est spécialisé pour offrir à ses clients des terminaux céréalier, roulier, à conteneurs, un quai fruitier, un quai minéralier et bientôt une nouvelle zone d’activité pétrolière avec une deuxième raffinerie. Et nous proposons de nouveaux outils technologiques (serveur vocal, site web, ligne verte, simulateur d’opération). Cette levée de fonds, réalisée avec la Banque Atlantique, nous permettra d’élargir encore la palette de nos prestations et d’augmenter nos revenus. Nous allons acquérir des wagons destinés à être loués à la Sitarail [Société internationale de transport africain par rail, NDLR] pour accroître la desserte de l’hinterland – Mali, Burkina Faso, Niger. Nous allons acheter une drague pour maintenir les profondeurs des chenaux et des quais afin de recevoir des navires à fort tirant d’eau. Nous prévoyons enfin de mettre en service une unité de soutage pour approvisionner les navires en combustibles.
Vous investissez aussi dans des infrastructures de stockage…
Nous allons construire des entrepôts frigorifiques pour les produits de la mer et un centre de dépotage [déchargement de marchandises en conteneur, NDLR] et de stockage pour améliorer les conditions de passage des produits en transit. Nous allons également créer un centre de traitement des déchets liquides pour vidanger les ballasts des navires et retraiter les eaux usées du port et des usines. Enfin, nous venons de signer un contrat avec le Centre spatial de Toulouse pour la mise en œuvre d’un système de géolocalisation qui permettra de suivre les itinéraires des camions et d’optimiser les coûts. Toutes ces innovations entrent dans le cadre de notre politique générale, qui vise à faire d’Abidjan le Rotterdam de l’Afrique.
Malgré tout, le PAA va vite arriver à saturation. Où en est le projet d’extension de vos activités sur l’île Boulay, dans la lagune d’Abidjan ?
Nous parvenons encore à absorber l’augmentation du fret en utilisant des portiques mobiles qui permettent d’améliorer la fluidité des opérations. Mais il est urgent de développer le site de l’île Boulay, confié à PFO [Pierre Fakhoury Operator, NDLR]. Cette extension porte sur 3 000 m de quais et 120 ha de superficie, avec une profondeur de quai de 15 à 17 m. Ce projet prévoit aussi deux ponts reliant l’île Boulay à Yopougon et au cordon littoral à l’ouest de la ville. Les études sont prêtes et nous sommes en train de finaliser la relocalisation des populations de l’île, particulièrement des communautés ébriées et des familles des pêcheurs ghanéens et togolais. Dans la première quinzaine de septembre, PFO devrait pouvoir commencer les travaux. Les premiers terminaux à conteneurs sur 1 200 m seront disponibles dans quatre ans. Le total des investissements devrait s’élever à 250 milliards de F CFA.
PFO doit-il s’allier à des groupes comme Bolloré ou Dubai Ports World pour la gestion de sa concession ?
Nous lui faisons obligation de nous proposer un groupe mondialement reconnu dans la gestion des terminaux. Nous pouvons l’aider et le conseiller pour choisir le partenaire idoine. Nous examinerons toutes les propositions. Une saine concurrence crée de l’émulation.
La situation politique et la crise financière n’ont pas favorisé le PAA. Où en est votre opération de reconquête des pays de l’hinterland ?
En 2001, le PAA traitait 1,4 million de tonnes de fret pour les pays de l’hinterland. Mais, avec le début de la guerre, de nombreux opérateurs économiques sont partis à Dakar, Cotonou ou Tema, au Ghana. Ce marché est tombé à 205 000 t en 2003 avant de remonter progressivement pour atteindre 1,6 million de tonnes avec la multiplication de nos missions commerciales au Burkina Faso, au Mali, au Niger, en France et en Belgique.
Quel est l’impact de la partition du pays sur vos activités ?
On estime le manque à gagner entre 50 milliards et 60 milliards de F CFA par an. Le racket des rebelles entraîne des surcoûts importants, pénalise nos efforts de reconquête et décourage nos partenaires.
La hausse des exportations pétrolières ne vous a-t-elle pas aidé à traverser cette crise ?
C’est vrai. Plus de 12 millions de tonnes de produits pétroliers sont traitées aujourd’hui à Abidjan, soit deux fois plus qu’en 2000. Les produits de la pêche ont également doublé, à 630 000 t. Le volume global d’activité du PAA est passé de 14,5 millions de tonnes en 2000 à près de 24 millions en 2009 et à 25 millions cette année. Les sociétés françaises sont revenues, les investisseurs belges, chinois, indiens, brésiliens ont retrouvé confiance et de nouvelles lignes maritimes Asie-Afrique ont été ouvertes, notamment par l’armateur Maersk.
Comment progressent les échanges avec la Chine ?
Ils ont crû de près de 10 % en 2009, à 624 000 t. Un grand armateur chinois, GMT, vient d’ouvrir une ligne directe Shanghai-Abidjan que nous inaugurerons officiellement en septembre. La prochaine étape sera d’emmener nos partenaires de l’hinterland en Chine pour les amener à acheter dans ce pays et à passer par le PAA. En juillet, huit navires chinois de Donggang Daping Fishery ont également commencé à opérer depuis notre port de pêche.
La Côte d’Ivoire prévoit d’organiser prochainement des états généraux de la mer. Quels sont les axes de la nouvelle politique maritime ?
Les autorités, via la Direction générale des affaires maritimes et portuaires, ont entamé une réflexion. Nous voulons mettre en place un code des ports et un code maritime. Le président Laurent Gbagbo a également installé une commission de réflexion sur le statut des dockers pour éviter notamment les grèves sauvages.
On parle d’une nouvelle société nationale de transport maritime…
Soyons clairs. L’État n’a pas l’intention de créer une nouvelle entreprise publique ou de remettre sur pied la défunte Société ivoirienne de transport maritime. Nous voulons simplement promouvoir les initiatives privées. Le transport routier régional est onéreux en raison du racket, le fret aérien reste cher. Il y a un marché potentiel pour les sociétés de transport maritime qui feraient du cabotage dans la sous-région.
Le port de San Pédro, dans l’Ouest, est en plein essor. Y voyez-vous concurrence ou complémentarité ?
Nos deux ports sont complémentaires. Le PAA restera la principale porte d’entrée des marchandises en Afrique de l’Ouest. L’extension du port de San Pédro, confiée à l’armateur européen MSC avec la participation financière de la Banque africaine de développement, va lui permettre d’accroître son trafic de marchandises et notamment d’embarquer le coton malien. Ce port a également vocation à traiter les minerais comme le fer de la région de Man. Et de favoriser les échanges avec la Guinée voisine et le Liberia.
En 2018, la concession de la SETV (Bolloré) arrivera à expiration. Préconisez-vous un appel d’offres ?
On peut aussi simplement reconduire la concession de la SETV dont nous sommes très satisfaits. Vincent Bolloré a investi dans la modernisation des activités au-delà de nos espérances.
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