Paolo Scaroni : « L’Afrique est la clé de notre future croissance »
À la tête du premier producteur africain de pétrole, le patron du groupe italien Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) poursuit sa conquête du continent.
À 64 ans, cet Italien du Nord a imposé sa grande stature dans le monde du pétrole africain. Proche de plusieurs chefs d’État, il préside un groupe présent dans douze pays (Nigeria, RD Congo, Ghana, Angola, Congo, Mozambique, Mali, Gabon, Égypte, Algérie, Libye, Tunisie) et qui a produit 923 000 barils par jour en 2009. Numéro un africain, il vient de mettre un pied au Togo.
JEUNE AFRIQUE : Après une année 2009 très difficile, avez-vous renoué avec la croissance en 2010 ?
PAOLO SCARONI : Pour les neuf premiers mois de l’année, notre bénéfice net ajusté a progressé de 35 % par rapport à la même période en 2009, à 5,14 milliards de dollars. Les résultats se sont considérablement améliorés dans l’exploration et de la production. Ce n’est pas spécifique à l’ENI, puisque toutes les compagnies ont amélioré leurs bénéfices dans ces secteurs d’activité d’environ 30 %. Notre production mondiale a doublé en dix ans, alors que la grande majorité des autres compagnies ont vu baisser la leur. Et en Afrique, notre production a augmenté de 5,4 % par an depuis 2000. D’ici à 2013, nous prévoyons une croissance de 2,5 % par an.
La situation est-elle identique dans le gaz ?
Le secteur a vécu un bouleversement gigantesque. L’exploitation des gaz de schistes [un des gaz non conventionnels, NDLR] a permis aux États-Unis de doubler leurs réserves du jour au lendemain, alors qu’ils devaient devenir importateurs de gaz naturel liquéfié (GNL), provenant notamment d’Afrique, principalement du Nigeria, de l’Angola et de la Guinée équatoriale. Ces derniers se sont alors tournés vers l’Europe et l’Asie.
L’offre de gaz a considérablement augmenté alors que, dans le même temps, la crise économique faisait chuter la consommation. Les prix ont été divisés par cinq et sont restés très bas jusqu’en avril dernier. Depuis, ils ont doublé, et nous avons l’impression que les choses commencent à se rétablir.
Quelle place pour l’Afrique dans votre stratégie ?
Notre plan d’investissement mondial est de 53 milliards d’euros sur quatre ans, dont 14,5 milliards sur le continent. Pour nous, l’Afrique est la clé de notre future croissance. Notre production est de 350 000 barils par jour en Afrique subsaharienne. En Afrique du Nord, elle est de 573 000 barils. L’Afrique représente 52 % de notre production totale, qui est de 1 769 000 barils par jour.
Pourtant, en Algérie et en Libye, le climat des affaires se durcit à l’égard des étrangers. Comment vous adaptez-vous ?
Pour nous, le business en Libye et en Algérie ne change pas. Peut-être parce que nos intérêts vont au-delà de l’exploration et de la production. Nous achetons 25 milliards de m3 de gaz à l’Algérie, soit un chèque annuel de 6 à 7 milliards d’euros payés au pays. En Libye, nous en achetons entre 8 et 9 milliards de m3. Il y a un mois, j’ai rencontré le nouveau ministre algérien de l’Énergie, Youcef Yousfi – ENI le connaît bien, puisqu’il a été président de Sonatrach il y a une quinzaine d’années -, et le nouveau président de Sonatrach, Nordine Cherouati. Tout va bien.
L’Afrique subsaharienne apparaît comme un nouvel eldorado. Qu’est-ce qui a changé depuis cinq ans ?
Hier, nous considérions qu’il y avait trois pays majeurs : le Nigeria, le Congo-Brazzaville et l’Angola. La découverte du gisement de Jubilee, au Ghana, en 2007, a changé la donne. De nouveaux espaces pétroliers sont apparus, et nous avons décidé d’y investir. Au Ghana, nous avons fait une découverte de 200 à 250 millions de barils, du gaz essentiellement. Nous avons, par ailleurs, acquis tous les blocs au large des 60 km de côtes du Togo. Ensuite, l’acquisition, il y a trois ans auprès de Maurel & Prom du champ de M’boundi, au Congo-Brazzaville, dont les réserves sont estimées à 1,4 milliard de barils, nous a confortés dans notre stratégie de nous développer aussi sur terre (onshore). De nombreuses compagnies préfèrent, pour des raisons politiques et de sécurité, rester en offshore. Nous, nous avons décidé de chercher du pétrole à terre au Gabon, où nous avons gagné en 2008 six nouvelles licences sur 7 30 km2, dans le Cabinda en Angola et au Congo, où nous exploiterons de surcroît des sables bitumineux dans les régions de Tchikatanga et de Tchikatanga-Makola. Enfin, la RD Congo, où nous avons une concession, est très prometteuse.
Des explorations infructueuses ont eu lieu au Togo. Pourquoi y investissez-vous ?
Le Togo a du potentiel, sinon nous ne serions pas venus. Toutes les études réalisées nous incitent à être optimiste, d’autant plus qu’à côté il y a le champ de Tano, au Ghana. Peut-être allons-nous investir entre 15 et 20 millions de dollars… ensuite, nous verrons. Au plan mondial, nos dernières activités exploratoires ont été couronnées de succès depuis deux ans, ce qui est très encourageant. Cette année, par exemple, nous avons découvert plus d’un milliard de barils.
Vous étiez intéressé par les parts d’Heritage Oil sur le lac Albert en Ouganda. Finalement, ce sont Total et le chinois CNOOC qui devraient se les partager. Vous êtes déçu ?
Nous avons offert à Heritage 1,5 milliard de dollars pour 50 % du bloc qu’il partage avec Tullow Oil, ce qui n’était qu’un apéritif, puisqu’il faudra encore mettre plus de 10 milliards de dollars pour le développer. Tullow a exercé son droit de préemption. Nous n’avons pas insisté, puisqu’au même moment nous avions remporté le champ de Zubair en Irak et de Junin 5 au Venezuela. Nous ne pouvons pas être partout.
Heritage et Tullow sont en conflit avec Kampala sur le montant de la taxe à verser après cette cession. Certains y voient la main d’ENI…
Je suis allé plusieurs fois en Ouganda depuis, mais je ne sais rien des problèmes entre Heritage, Tullow et l’État. Pour nous, cette affaire est terminée.
Une partie du lac Albert se trouve en RD Congo, où vous êtes présent. Est-ce une occasion pour vous de revenir explorer sur le lac ?
Notre concession n’est pas sur le lac. Ce n’est pas d’actualité, mais, évidemment, on a cette idée derrière la tête.
Vous allez démarrer des forages au Mozambique. L’Afrique de l’Est est-elle prometteuse ?
Le Mozambique fait partie, avec le Mali, des pays que nous avons décidé d’explorer alors qu’il n’y a personne. Le Mozambique offre de bonnes perspectives, d’autant que nous sommes à côté d’un champ de gaz découvert par Anadarko. Et il y a, c’est vrai, un réel intérêt pour l’Afrique de l’Est, que nous allons continuer à regarder.
Vous sentez-vous menacé par la montée en puissance de juniors telles que Tullow ?
Elles sont plus courageuses que les majors. Mais je ne suis pas sûr qu’elles aient intérêt à ambitionner de devenir des majors. Elles monnayent leurs découvertes et le font très bien. Nous existons pour deux raisons : la maîtrise des technologies de production et les importants moyens financiers que l’on peut risquer. Reproduire ce modèle n’est pas évident. Chez nous, des centaines de personnes font de la recherche. La technologie et le financement nous permettent de garder une longueur d’avance.
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