Non, le Sénégal n’est pas coupé en deux !

Le sujet est grave. Maintenant que le temps laisse en répit les esprits en feu après le référendum, il ferait si bon de se parler.

À Dakar, le jour du référendum constitutionnel, le 20 mars 2016. © Carley Petesch / AP / SIPA

À Dakar, le jour du référendum constitutionnel, le 20 mars 2016. © Carley Petesch / AP / SIPA

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  • Amadou Lamine Sall

    Amadou Lamine Sall est un poète sénégalais, lauréat des Grands Prix de l’Académie française.

Publié le 27 avril 2016 Lecture : 12 minutes.

Notre salut est de nous parler. Naïvement, j’ai eu toujours du mal à penser pourquoi tous ne se mettraient-ils pas autour d’un président élu pour un temps donné par le peuple dans sa majorité, afin de mener un pays à la prospérité de ses enfants. L’on m’a rétorqué : il faut que la démocratie s’exerce ! Oui, mais pourquoi dans l’apocalypse, la haine, les injures ? Une démocratie majeure, civilisée ne porte pas ce visage. Ne cherchons-nous pas tous à servir notre pays ? D’autres le servent merveilleusement sans bruit et sans pouvoir politique. Ceux qui ont inscrit leur nom à jamais dans l’histoire de ce pays, sont plus nombreux en dehors de l’espace politique. Pourquoi ce dernier est-il si malade de ses acteurs et porteur de tous les dangers ? Il faut la paix des cœurs. Il est difficile de construire un pays dans la division et l’affrontement. La République est notre bien à tous.

Le référendum fini, voilà déjà les politiciens douchés et rhabillés pour aller préparer les législatives de 2017 et la présidentielle de 2019. L’insuffisance respiratoire les guette. Ce pays aura t-il le temps du vrai travail, chaque camp politique aiguisant déjà ses couteaux et affinant ses stratégies ? C’est dans cette étouffante atmosphère, que nous pensons à un homme : le président de la République ! Il lui faudra beaucoup de sérénité et une lucide distance avec ce climat électrisant et délétère des duels fratricides qui se dessinent à l’horizon. Nous pensons à lui, offert comme un baobab au milieu de la plaine à tous les tireurs d’élite. Mais les tireurs d’élite sont également fils de la démocratie. Comment dans une démocratie protéger pourtant un président, pour qu’il puisse accomplir les missions pour lesquelles le peuple l’a choisi ? Comment protéger également l’opposition ? C’est au cœur de cette interrogation républicaine que l’on découvre la complexité du champ démocratique. Ne faudra t-il pas commencer enfin par le commencement : asseoir un système qui rationaliserait les élections en donnant au pays, au peuple, à ses élus, le temps de travail qu’exige une nation moderne qui rêve d’émergence ? Comment, en effet, avoir le temps des résultats, quand on est de jour comme de nuit au cœur des batailles électorales ? Un pays peut-il se complaire dans un tel système qui le dessert ? Au premier chef, il est du devoir du président de la République de pacifier la vie sociale, d’amortir les crises, d’accueillir tous sans juger, sauf ceux qui ont été condamnés pour avoir tourné le dos au soleil de l’éthique et de la morale et dont les noms sont pourris jusque dans la bouche des enfants. Mais tout ne dépend pas de lui. Comme on dit : « Le fond de la pirogue n’est pas le fond de l’eau » !

La prise de parole citoyenne est capitale dans la marche de notre République, de sa respiration démocratique

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Il n’est pas de notre devoir de nous taire. La prise de parole citoyenne est capitale dans la marche de notre République, de sa respiration démocratique. On m’a toujours conseillé de ne point écrire sur des sujets politiques. Je m’y refuse comme poète et écrivain en plus des 40 ans de vie publique et active. Nous sommes tous des politiques. Seulement nous sommes différents, comme le sont, sans forcer la comparaison, les animaux « sauvages » et les animaux domestiques. Les premiers ont des instincts de tueurs, les seconds sont pacifiques. En plus, la politique est jusque dans nos maisons. Il arrive qu’elle s’invite même dans le lit conjugal.

Notre espace politique est comme diabétique, plein de cholestérol. Son groupe sanguin relèverait d’une espèce venue d’une planète d’outre-ciel. Son insuline préféré : les prébendes. Par contre, l’acquis républicain et démocratique de notre peuple est inestimable. Reste aussi à mettre nos ressources humaines qualifiées au service du développement de la cité, une cité pourrie par des joutes interminables et une rare abondance d’indiscipline et de vanité creuse. Ce qui donne un panorama de bûcher ardent qu’une presse prompte et démesurée, approvisionne, pire encore, en bois de chauffe. À la vérité, nous avons plus d’hommes politiques que d’hommes d’État en puissance. La politique semble être pensée et conçue, à tort, comme un trou de verdure où paissent des vaches grasses nourries de nos impôts. Ceux qui paient eux, sont faméliques. Il faut changer la donne et alléger les charges pécuniaires des fonctions républicaines. Servir le peuple n’est pas se nourrir mieux que lui.

Ainsi donc, c’est fait : le oui a éconduit le non au référendum. Ne serait-ce qu’une seule demie voix, une victoire est une victoire, plus vraie encore quand il s’agit d’une victoire politique. Le oui a passé donc le dernier péage. Tant mieux. La démocratie est sauve ou presque. Cependant, après la tempête, c’est encore la tempête qui s’annoncerait d’ici 2019. Nous verrons peu de soleil, sauf celui que le président de la République et son gouvernement nous apporteront s’ils arrivent à conforter les Sénégalais qu’ils vivront mieux de jour en jour, que les jeunes trouveront mieux des emplois, que l’école sénégalaise ne quittera plus ses cahiers, que la Senelec ne faillira plus, que les forages humidifieront le pays, que le riz qui déborde déjà des greniers s’accroîtra, que les pistes rurales seront nombreuses et lisses comme des autoroutes. Mais il n’y a pas que le président et son équipe qui sont attendus dans ce décompte d’un bilan heureux. Les Sénégalais aussi sont attendus. On leur demande d’avoir confiance, de croire en l’avenir, de travailler plus et mieux, de refuser l’échec, de repousser le désespoir, d’être disciplinés, patients, de raffermir leur invincible foi, de se sentir chacun responsable du destin de tous les autres, de se mettre résolument à la tâche en sachant que l’on ne peut pas demander à Dieu de vous aider à gagner au loto si d’abord vous ne jouez pas ! Chacun doit être acteur du résultat ou participer à l’élan collectif, qu’il se trouve au champ, au bureau, sur le chantier, dans l’atelier, à l’étalage. Le levier de l’émergence, du partage des richesses, est à ce prix, dans cette lucide transcendance. Retenir également cette grande leçon : un homme d’État ne suit pas son peuple. Il le devance.

C’est celui qui se noie qui accepte de s’agripper à la machette qu’on lui tend

Le président de la République sait que « l’histoire est dans ce que l’on fait et non dans ce que l’on dit ». Nul doute qu’il aura une conscience critique du dernier référendum. Si peu ou si grand, ce dernier aura contribué à inventer le futur d’une démocratie consolidant et à donner un sens à l’histoire dynamique d’une République. C’est cela qui compte ! Travailler avec son opposition compte beaucoup certes, mais tout dépend de la posture de cette opposition. La respecter, c’est déjà avoir constitutionalisé son statut qu’il faut mettre en pratique, sans tarder. On peut se détester, mais dans un respect réciproque ! C’est cela la grandeur. En politique, hélas, aucune posture n’est gratuite. C’est celui qui se noie qui accepte de s’agripper à la machette qu’on lui tend. Si le président marche en marée basse, pourquoi diable s’agripper à des machettes ? L’opposition n’est pas le peuple. Le président et son camp non plus, mais il est écrit dans notre Constitution que le chef tient du peuple la totale légitimité de parler et d’agir en son nom. Ce qui lui confère de lourdes responsabilités. Il doit rendre compte. Les autres ne rendent compte qu’à eux-mêmes. Plaise à l’opposition ou pas, le président dialogue avec qui laisse son pistolet au huissier. Plaise au président ou pas, l’opposition sera toujours déterminée à minorer son bilan, à le rendre fragile. Il est illusoire d’attendre d’elle des déclarations d’amour. À lui d’aller à l’essentiel, là où son bilan fera la différence.

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Définir les termes du dialogue pourrait conduire à une confrontation sereine. Quels autres projets, face au PSE par exemple, serviraient mieux le développement du pays, ou tout autant, avec une presse et des médias qui rendent compte, analysent, témoignent, informent. Il nous faut des alternatives crédibles. Qui propose, développe quoi et comment. Pensons par exemple aux ressources en perspective, le gaz et le pétrole, qui devront être gérées, protégées, partagées. Comment mettre en place, dès à présent, pour un horizon 2050, une force citoyenne experte pour des propositions endogènes de rationalisation, d’encadrement, de rentabilité et d’exploitation de ce patrimoine. C’est en proposant, en construisant, en informant le peuple du meilleur, que l’on démontrera sa capacité à gouverner demain. Il nous faut des forces de propositions culturelles, économiques et non des forces d’émeute. La jeunesse est une priorité. C’est cette nouvelle posture que nous souhaitons pour apaiser la vie politique avec des débats sur des projets de développement et non des diatribes, accusations, insultes. En un mot : faire concret et utile dans un dialogue pacifique des différents projets politiques. Tout ceci dans la perspective d’asseoir la transparence qui chasse l’arbitraire. Il faut déplacer le combat dans le champ des propositions au développement. Notre rapport au pouvoir doit être repensé dans ce sens. C’est d’une révolution culturelle et politique qu’il s’agit ! Les peuples préfèrent les idées qui les rassurent et les rassemblent et non les ragots qui les opposent et les divisent, d’où qu’ils viennent.

Au regard de ce que nous donne à constater la classe politique, dans sa grande majorité, nous repensons aux mots de Mapaté Diagne qui, notant un maître d’école, avait écrit : « Il vaut mieux le payer à ne rien faire, plutôt que de le laisser dans une classe ». Toujours tenter de concilier le pouvoir et le consensus au sommet de l’État, quand ce consensus ne ruine pas l’autorité du chef. Je ne sais plus qui disait à juste raison que « La faiblesse est humaine, mais qu’elle ne peut pas être présidentielle ». Le meilleur avocat d’un président de la République c’est son peuple. La démocratie est ardue, car elle requiert le dialogue des divergences. Elle est même illusoire et utopique, quand elle vous exige de « laisser en liberté ceux qui l’égorgent et qui vous demandent, en plus, de leur acheter les couteaux ».

C’est le peuple qui est l’océan, tout le reste n’est que coquillage et les « coquillages ne contiennent pas l’océan »

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Que non ! Le Sénégal n’est pas coupé en deux, avec d’un côté le pouvoir et de l’autre l’opposition. Il ne devrait venir à l’idée de personne, que le président de la République puisse diriger le Sénégal avec d’un côté son parti, d’un côté ses alliés politiques, d’un côté les confréries religieuses, d’un côté les puissances d’affaires, d’un côté les courtisans, et enfin de l’autre côté l’opposition. Et le peuple qui l’a élu alors ? N’est-ce pas lui qui doit compter et mériter tous les égards ? Le bon sens voudrait plutôt que le président soit là pour rassembler tout le monde autour de lui pour le bien du Sénégal. Bien sûr, la tâche n’est pas aisée, car au delà de gouverner un État, il faut également gouverner des vanités, des ambitions, des égoïsmes, des chantages, des hypocrisies, des peurs, des jalousies, des pièges, des attentes irraisonnables, des souverainetés. Un chef d’État est une centralité. On attend de lui qu’il sauve les hommes et la terre avec. Autant dire que même Dieu s’y lasserait ! Se borner à être en confiance avec soi-même et avec son peuple. C’est le peuple qui est l’océan, tout le reste n’est que coquillage et les « coquillages ne contiennent pas l’océan ».

Nous ne répéterons jamais assez, que tout ce qu’un président fera de grand, il le fera contre sa majorité. À lui de créer sa propre légende, pour l’histoire. Une majorité sert d’abord son propre agenda, avant celui du président. C’est pour cette raison, que l’on se demande souvent si les présidents n’ont pas perdu le contact avec le réel de leur peuple. C’est ce que d’autres nomment plus insidieusement un « président en otage ». Ce qu’ils ignorent ceux-là, c’est qu’un chef d’État est configuré pour ne jamais se croire pris en otage, même s’il l’est. Il est comme qui dirait : « désactivé » pour y croire. Nous permettra-t-on de croire, sans retour de fouet, au choix de l’intime conviction, que Macky Sall n’a pas perdu le fil avec son peuple. La belle et émouvante histoire de sa vie, le lui interdirait. Il en mesure le poids divin, sans rien ôter à son propre mérite. Cela a suffi pour le grandir plus que le rang qu’il occupe aujourd’hui. Le président passera. La légende de l’enfant de Fatick restera. Cela fera toujours la différence dans la mémoire d’un peuple qui croit, qui prie. Alors, que ceux qui veulent porter des guenilles, les portent au moins avec élégance. La vérité est que le labyrinthe est grand, parce que le chemin de l’émergence long, très long pour un pays qui a tout à faire, en commençant par sauvegarder son patrimoine, ses cultures, la protection de ses artistes et créateurs sans lesquels un État s’installe dans l’indifférence et l’anonymat, car « l’artiste est la force la plus tenace qu’une société oppose à l’envahissement ». Un pays qui doit créer et asseoir son industrialisation, sa technologie, son autosuffisance alimentaire, ses plateaux techniques médicaux, la solidité de son école. Tout ceci n’est point, et pour le moins, l’affaire de deux mandats, même de quatre ! Voilà pourquoi, avec ses travaux au-delà d’Hercule, l’on se demande, par Dieu ! à quoi rime cette hâte et cette rage des politiciens d’arriver au pouvoir avant même le lever du soleil ? Sont-ils conscients de l’immensité de la mission, de l’attente du peuple circonscrite dans deux maigres mandats qui ne verraient même pas grandir un chat ? Ou bien, ce qui importe, c’est seulement de s’asseoir enfin dans le fauteuil et de dire : « Enfin j’y suis! », juste avant d’ajouter le lendemain : « J’y étais ! » ? En effet, au Sénégal, on y reste vraiment plus pour longtemps ! Nous aurons tous fait le choix du désastre si nous ne réformons pas notre vision du pouvoir politique.

Certes, le rêve était grand pour ce référendum, mais ce qu’il a pu embarquer dans sa cale n’était pas mince

Ce que le référendum de mars 2016 nous lègue pour l’histoire n’est pas petit. Comme disait l’autre : « Dieu est grand mais Mohamed n’est pas petit ». Certes, le rêve était grand pour ce référendum, mais ce qu’il a pu embarquer dans sa cale n’était pas mince. La vraie question, est de savoir si ce qu’il nous apporte vaut plus ou moins. Ce référendum est un référendum d’addition et de progrès. La polémique, la contestation sont filles de la démocratie et de la liberté. Notre Constitution s’est solidifiée, même si nous pouvions faire plus. Le monde ne s’est pas fait en un jour. Un État non plus. Dieu bénisse Senghor ! Elle s’adapte pas à pas à la marche démocratique des peuples. Elle a gagné en sévérité et en garde-fou et pas à dos d’âne. Ceux qui viendront demain après Macky Sall la fortifieront, sans sûrement combler tous nos rêves, combler le rêve de tous est illusoire. Et c’est là, alors, qu’apparaîtront, dans 20 ans, nous le lui souhaitons, les mérites d’un homme que le destin a conduit un jour au pouvoir et qui, un mois de mars de l’année 2016 de notre ère, a fait gagner une grande guerre à son peuple : celle de la réduction constitutionnelle d’un problématique mandat présidentiel, un enjeu qui fait encore tant honte à l’Afrique. Oui, on ne pourra désormais que réduire davantage le mandat présidentiel, mais plus jamais le contraire, sauf si le Sénégal cessait d’être le Sénégal. L’unanimité n’est pas de ce monde. Elle l’est moins en démocratie. Elle nie même la démocratie. Ceux qui ont voté oui ou non, ont honoré la démocratie. Ceux qui se sont abstenus, lui doivent une dette.

Les hommes politiques aiment qu’on les aime, dit-on. Nous préférons les respecter d’abord, pour mieux les aimer, ensuite. Finalement, nous voilà sortis vivants d’un référendum fort décrié mais heureux ! Ce pays est plus fort, plus durable, plus beau que nous. Alors, il reste à chacun, au fond de lui-même, partisan d’un camp ou non, seul ou pas seul, avec Dieu ou sans Dieu, de soigner le présent et l’avenir du Sénégal en ce 21e siècle à peine encore adolescent.

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