Business : le Medef ne veut pas rater le train ivoirien
Partenaires historiques de la Côte d’Ivoire, les entrepreneurs hexagonaux sont venus réaffirmer en force à Abidjan leurs ambitions dans le sillage de Pierre Gattaz, patron des patrons français.
Pierre Gattaz le reconnaît sans mal : il ne connait pas bien l’Afrique. Le développement de sa société, Radiall connue pour être notamment un important sous-traitant du secteur aéronautique, l’a plutôt porté à fréquenter l’Asie. Mais le patron des patrons français a bien compris l’intérêt que les entreprises hexagonales pouvaient trouver à participer davantage à la croissance du continent, bien plus forte et prometteuse malgré la chute du prix des matières premières que celle de l’Europe.
Après le Nigeria en octobre dernier et le Maroc en mars, le président du Medef (Mouvement des entreprises de France) mène du 25 au 28 avril une délégation d’une centaine de chefs d’entreprise en Côte d’Ivoire. Un record sur le continent.
« En 1996, nous n’étions que 27 se souvient l’ex-ministre Michel Roussin, revenu récemment porter main forte à Vincent Bolloré et surtout à son fils Cyrille, désormais en charge de la division logistique du groupe familial.
Mais davantage que les champions français habitués des rives de la lagune Ebrié, le président du Medef, est avant tout venu promouvoir le savoir faire des PME.
« Objectivement, nous n’avons pas besoin du Medef pour faire avancer nos affaires en Côte d’Ivoire. Les PME, si. Et elles constituent 75 % de la délégation. Grâce à ce déplacement elles vont gagner des mois de travail et au final économiser beaucoup d’efforts et d’argent », espère Marc Rennard, président du conseil Afrique de l’Ouest et du Centre du Medef International et directeur général adjoint du groupe télécoms français Orange.
Représentants de l’agro-industrie, de l’énergie, des nouvelles technologies, du transport, de la construction et de l’éducation constituent l’essentiel du casting.
Plusieurs poids lourds comme Bouygues, la RATP, Total, CMA CGM, ont néanmoins profité de l’opportunité de chasser en meute pour faire avancer leurs affaires dans un pays où les sociétés chinoises, coréennes ou marocaines constituent de sérieux rivaux.
Historiquement importante, la place des entreprises françaises dans le commerce extérieur ivoirien a en effet fortement baissé depuis 15 ans pour atteindre 10 % de part de marché. L’hexagone conserve néanmoins le premier stock d’IDE en Côte d’Ivoire, évalué à 1,3 milliard d’euros.
« C’est le résultat des trente piteuses. Depuis les années 1980, la politique fiscale française n’a pas permis aux PME de grandir, leur faisant rater le train de la mondialisation. Nous avons en France deux fois moins d’ETI (entreprises entre 250 et 4 999 salariés) qu’en Italie, en Angleterre ou en Allemagne », a répété plusieurs fois Pierre Gattaz, devant le patronat et le Premier ministre ivoiriens Daniel Kablan Duncan.
C’est aussi la conséquence d’une décennie de crise en Côte d’Ivoire pendant laquelle les français ont fortement réduit la voilure, admet Marc Rennard.
Diplomatie économique
Exemplaire dans son rôle d’animateur en chef de la diplomatie économique voulue par l’ex-ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, Georges Serre, ambassadeur français en poste depuis 2012 à Abidjan, a fait l’article avec brio.
Il a vanté la réélection d’Alassane Ouattara en octobre dernier, les progrès « très importants et réels » effectués depuis la fin de la crise post-électorale, qui en 2011 avait fait 3 000 morts, et a tenu des propos rassurants sur la « cohésion nationale retrouvée » à l’aune de la croissance. Faut-il toujours coûte que coûte faire passer une justice transitionnelle qui parfois rouvre des plaies qui s’étaient fermées, s’est-il d’ailleurs publiquement interrogé.
Sur le plan des affaires, le diplomate a aussi rappelé le dynamisme de la Côte d’Ivoire qui en 2016 connaîtra sa cinquième année de forte croissance avec une progression attendue du PIB de +7,6 % ainsi que les opportunités offertes à travers la coopération française.
Le contrat de désendettement et de développement (1,745 milliard d’euros), dont 75% ont déjà été engagés, a par exemple bénéficié, sans être à proprement parlé un mécanisme d’aide liée, à hauteur de 40 % aux entreprises françaises, grâce à l’adoption dans les projets de spécifications en phase avec leur savoir-faire.
« Et les Ivoiriens en ont assez des routes jetables. La qualité française est un véritable atout », a insisté George Serre, faisant référence sans les nommer aux travaux d’infrastructures réalisés par d’autres groupes étrangers, notamment chinois.
Accueil enthousiaste des entrepreneurs ivoiriens
L’accueil des représentants de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), présidée par le fondateur de l’assureur panafricain NSIA, Jean Kacou Diagou, n’a pas été moins enthousiaste. « Nous avons une langue, une formation et une culture communes. Les entreprises françaises, on ne les sent pas assez en Côte d’Ivoire », a-t-il lancé devant la délégation du Medef avant d’ajouter « vous êtes quasiment en pays conquis ».
« Nous avons besoin de nous enrichir mutuellement et de nouer des partenariats », a précisé un peu plus tard Patrick Mbengue, fondateur de l’entreprise d’ingénierie informatique Inova et président de l’association des entreprises du secteur numérique.
Pour illustrer la réussite des groupes hexagonaux en Côte d’Ivoire, les patrons français ont visité le futur Datacenter d’Orange dans la zone franche du Vitib, située à 40 minutes d’Abidjan, ainsi que l’usine du chocolatier Cémoi, inaugurée l’an dernier.
L’occasion pour Jean-Claude Kassi Brou, ministre de l’Industrie et des Mines, de rappeler les avantages que peut offrir la Côte d’Ivoire aux investisseurs en les exonérant par exemple, sous condition, pendant 15 ans d’impôts sur les bénéfices.
Visiblement au diapason, les pouvoirs publics et les représentants du patronat ivoiriens ont tout fait pour rassurer les entrepreneurs français, qu’il s’agisse du rapatriement des dividendes, du recouvrement des factures ou de la pression fiscale. « Nous sommes un pays libéral », a réaffirmé le premier ministre Daniel Kablan Duncan, indiquant qu’une réunion autour des grands chantiers du plan national de développement 2016-2020 aurait lieu en mai à Paris et qu’une journée serait consacré au secteur privé.
La présence de Pierre Gattaz Abidjan devrait être, en outre, l’occasion d’officialiser une série d’accords, dont certains ont déjà eu lieu le 26 avril comme la signature de conventions entre le Medef et la CGECI ou le partenariat entre l’éditeur de logiciel français Linagora et NSIA Technologie, filiale de NSIA, pour le transfert de connaissances et de technologie dans le domaine de l’open source.
D’autres signatures dans les domaines de la construction et de la finance sont attendues, notamment lors de l’entrevue prévue le 28 avril avec le président Ouattara en présence du secrétaire d’Etat français chargé du commerce extérieur Matthias Fekl.
Après avoir rencontré le monde universitaire en présence de représentants de HEC, Sciences Po, de l’Institut des mines et télécoms et du Conservatoire des arts et métiers, la délégation visitera également le nouveau centre commercial Playce, fruit du partenariat en CFAO et Carrefour.
Pierre Gattaz a rappelé que les entrepreneurs français, même si leur présence est vivement souhaité en Côte d’Ivoire, devaient sans cesse faire preuve d’humilité et que l’économie devait prendre le pas sur la politique. Le patron des patrons français a aussi fait un détour pour saluer les troupes françaises basées à Abidjan. Une présence militaire qui rappelle que malgré tout la politique n’est jamais loin.
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