Duncan Clarke : « Dans vingt ans, l’exploration se sera étendue à plus de 40 pays »
Poids de la production africaine dans le monde, croissance des entreprises locales… L’auteur de « The Struggle for Africa’s Oil Prize » et organisateur du colloque annuel « Africa Oil Week », au Cap, esquisse l’avenir pétrolier et gazier du continent.
Jeune Afrique : L’Afrique apparaît comme un eldorado pour les compagnies pétrolières. Qu’en est-il ?
Duncan Clarke : Le continent est dans le viseur des groupes pétroliers depuis des décennies. L’exploration a commencé au début du XXe siècle et a particulièrement pris pied au milieu des années 1950. La ruée s’est néanmoins accélérée depuis dix ans. Aujourd’hui, la bataille pour les réserves pétrolières est mondiale, mais l’Afrique, avec des intérêts croisés entre États et investisseurs, est un espace où tout est encore possible. Tant du point de vue de la stratégie d’entreprise que de celui du délai raisonnable pour la concrétisation des affaires (bien que l’obtention de permis y soit plus compliquée qu’ailleurs).
Quel a été le montant des investissements depuis dix ans et quelle est la tendance ?
Il n’y a pas vraiment de données disponibles sur l’argent injecté dans le pétrole et le gaz durant la dernière décennie, mais le chiffre de 250 milliards de dollars [environ 190 milliards d’euros, NDLR] est une estimation qui ne devrait pas être très loin de la réalité. Et ce chiffre va augmenter dans la décennie prochaine et au-delà. La production de gaz naturel liquéfié [GNL] va progresser dans peu de temps, tout comme l’exploitation des gaz et des pétroles non conventionnels, notamment le gaz de schiste. En même temps, il y aura un redéploiement dans l’aval, essentiellement dans le raffinage.
Que représente aujourd’hui la production africaine ?
L’Afrique génère déjà d’énormes revenus pétroliers et gaziers. Le niveau actuel de production est de 11,5 millions de barils de pétrole par jour, et d’environ la moitié pour le gaz. Nous prévoyons une production de 14 millions de barils de pétrole par jour en 2015-2016 et environ 20 millions d’ici à 2030.
Quelles seront les grandes zones d’exploration et de production dans les vingt ou trente prochaines années ? Y a-t-il encore des terra incognita ?
On prend toujours des risques sur des projections à vingt ou trente ans. Cependant, malgré les troubles et l’instabilité chronique de ces cinquante dernières années, l’industrie pétrolière a enregistré de nombreux succès en Afrique. On peut donc esquisser une tendance : l’exploration aura concerné au moins 40 pays africains ; 20 pays ou plus seront producteurs de pétrole ; entre 15 et 20 d’entre eux verront leurs réserves et l’extraction de gaz augmenter ; un marché gazier continental va se développer ; les cessions de permis vont s’accroître, avec au moins 5 000 blocs qui seront détenus par des compagnies internationales ; la plupart des zones économiques exclusives maritimes délivreront des licences d’exploration, principalement en eau profonde ; la plupart des réserves prouvées ouest-africaines seront en exploitation ; le grand Rift est-africain aura été exploré ; plusieurs terres à l’intérieur du Rift et les lacs auront fait l’objet de découvertes de pétrole et de gaz, qui seront exploitées ; le Sahel et le Sahara deviendront des zones clés de production et d’exportation de gaz.
Quel est le potentiel gazier africain ?
Le gaz est promis à un bel avenir. Nous en serons rapidement témoins, d’une part à travers le développement du GNL sur la côte est, au Mozambique et en Tanzanie, et d’autre part avec celui des centrales à cycle combiné gaz [pour la production d’électricité, NDLR]. D’une manière générale, l’avenir des hydrocarbures en Afrique est considérable. S’ils sont bien gérés, ils devraient être la clé du développement économique du continent.
Les pétrodollars ne risquent-ils pas de déstabiliser les États ? Les compagnies ont-elles un rôle à jouer ?
Le cash-flow généré est et sera énorme. Il a jusque-là principalement profité aux gouvernements. C’est à eux que revient de gérer cette manne, et non aux compagnies. À travers leurs obligations fiduciaires et fiscales, ces dernières impactent néanmoins l’économie du pays et l’emploi, de manière directe et indirecte.
Y aura-t-il dans l’avenir des changements dans la répartition des rôles entre majors, juniors et entreprises nationales ?
Il y a aujourd’hui une trentaine d’acteurs sur le continent, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée au début du siècle. La chaîne complète de l’activité pétrolière regroupe un nombre important d’entreprises. La queue est déjà longue, et elle va s’allonger. Nous assisterons probablement à quelques consolidations. Les petites vont grossir, s’imposer davantage, d’autres arriveront. En outre, le nombre de sociétés africaines – au nombre de 150 aujourd’hui, en provenance de 20 pays -, leur taille et leur portée régionale vont s’accroître. Nous pouvons nous attendre à ce que les groupes pétroliers nationaux africains, dont certains ont déjà commencé une incursion hors de leur pays d’origine – Sonatrach, Sonangol, Petroci… -, deviennent des investisseurs de plus en plus importants sur le continent. Dans le futur, les partenariats entre les sociétés d’État et les sociétés privées vont s’accroître.
Certaines velléités nationalistes laissent à penser que le continent souhaite reprendre la main sur l’extraction de ses ressources. Qu’en est-il réellement ?
Pour l’instant, il y a de tout : certains pays s’ouvrent et mettent en place des agences neutres pour délivrer les licences, d’autres prévoient d’augmenter les taxes et les royalties, ferment les opportunités, limitent les appels d’offres à des négociations bilatérales… De manière générale, il y a une tendance à vouloir mieux contrôler, mais pas encore de nationalisations en vue.
Cependant, il y a bien une vague naissante de nationalisme en Afrique, et la nouvelle loi nigériane sur le secteur pétrolier [Petroleum Industry Bill, PIB] en est une illustration. C’est à mon avis peu judicieux. L’Afrique doit avoir une vision de long terme basée sur la compétitivité et le besoin d’attirer un maximum d’investissements pour débloquer le capital naturel du continent. Une régulation excessive coûte cher et est un fardeau qui gène les investisseurs. L’Afrique ne doit pas oublier qu’elle n’est pas seule au monde, il y a d’autres opportunités : l’Irak, le Kurdistan, le Brésil, la Colombie, l’Asie…
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