Réda Hamiani : « Le potentiel financier de l’Algérie peut apaiser la contestation »

Le patron des patrons algériens ne croit pas à un scénario à la tunisienne dans son pays. Malgré tout, il pointe un certain nombre de carences économiques, sources de frustrations pour la jeunesse.

Publié le 15 février 2011 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : L’Afrique du Nord est en ébullition politique, sociale et économique. Quel regard portez-vous sur les événements en Tunisie et en Égypte ?

Réda Hamiani : D’abord, nous craignons tous que les changements brutaux apportent le chaos plutôt que la démocratie. Les Algériens applaudissent la fin des régimes durs, autoritaires et coupés des réalités. Mais si cela devait être le cas en Algérie, la majorité des citoyens aspirerait à une transition douce et préférerait faire l’économie de désordres et de dysfonctionnements prolongés. Nous sommes pour une respiration sociale qui exprime son mécontentement, mais par le débat, à travers la presse. Nous sommes pour l’expression populaire encadrée par les forces de l’ordre.

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Redoutez-vous l’effet domino de la contestation ?

À la différence d’autres pays arabes, l’Algérie a un énorme potentiel financier qui peut apaiser la contestation, à condition que les revendications aient un caractère strictement économique. Grâce aux recettes pétrolières, le pays réinjecte tous les ans 10 milliards de dollars en transferts sociaux [environ 7,3 milliards d’euros, NDLR]. Aucun autre pays d’Afrique du Nord ne peut créer un système de solidarité de cette nature : logements gratuits, assurance chômage, dépenses de santé…

Le gouvernement a pris des mesures d’urgence. Seront-elles suffisantes ?

La semaine passée, le gouvernement a reporté l’instauration du paiement par chèque pour des sommes de plus de 500 000 dinars [4 900 euros], une décision favorable à l’informel, qui est la soupape de sécurité pour les jeunes sans travail. Davantage de produits alimentaires profiteront du soutien des prix, et des instructions ont été données aux entreprises publiques pour recruter massivement. Cela atteste de la volonté du gouvernement d’apporter une réponse aux jeunes. Et une telle attitude constructive et consensuelle permettra une évolution plus douce. Si on y ajoute le dialogue, les craintes diminueront de voir ce qui se passe dans les pays arabes gagner l’Algérie.

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Cela réglera-t-il le problème du chômage des jeunes ?

C’est vrai qu’en Algérie c’est un grave problème. Le taux de chômage des moins de 30 ans tournerait autour de 25 %. L’économie devrait créer 300 000 emplois par an pour absorber cet afflux de population. Mais avec une croissance annuelle de 4,5 % à 5 %, c’est impossible. D’où l’essor des emplois précaires. La croissance du pays devrait en fait se situer entre 7 % et 9 %. Pour y parvenir, il faut favoriser l’entrepreneuriat, c’est fondamental. Une étude récente a montré que sur cent diplômés, neuf trouvent du travail, cinq partent à l’étranger et tous les autres restent en Algérie et tournent en rond à la recherche d’un premier emploi. Il vaudrait mieux n’en former que la moitié et leur apprendre à créer une entreprise.

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Comment expliquez-vous cette croissance molle ?

Il faudra bien un jour s’interroger sur le modèle de développement algérien. En moyenne, le taux de croissance en Afrique est de 5 % par an. Celui de l’Algérie devrait être deux fois plus élevé. Comment, avec les budgets pharaoniques consacrés à la dépense publique, ne fait-on pas mieux ? On bute sur la compétitivité économique du pays, qui ne réagit pas assez vite à l’injection de tout cet argent. L’argent ne fait vraiment pas tout. C’est pourquoi nous réclamons des transferts de savoir-faire et de compétences. Car plus il y a d’argent public injecté dans l’économie, plus il y a de gâchis et de corruption.

Pourtant, le rapport de janvier 2011 du FMI sur l’Algérie est assez favorable. Où sont les problèmes ?

Les fondamentaux se portent bien. Le PIB est passé de 55 milliards de dollars à 170 milliards depuis 2000. La croissance est de 5 % en moyenne, l’inflation est maîtrisée, la dette extérieure est effacée, la balance des paiements est positive, le chômage est contenu, avec un taux de 10 %, et l’État a mis plus de 300 milliards de dollars sur la table pour la période allant de 2010 à 2014 afin de remodeler les infrastructures. C’est le budget le plus important de dépenses publiques depuis l’indépendance. Mais il reste des zones d’ombre. Le pays est trop dépendant des hydrocarbures, avec 98 % des recettes externes. Le secteur privé est trop faible pour être une alternative au secteur public en proie à d’interminables restructurations depuis vingt ans. La dépendance alimentaire est trop importante : 75 % de ce qui entre dans l’assiette des Algériens est importé ! À cela s’ajoutent le poids de l’informel et l’accélération préoccupante de la corruption.

Ne faut-il pas aussi pointer la frilosité des entreprises algériennes dès qu’il s’agit de se frotter à la concurrence internationale ?

Depuis 2005, l’Algérie négocie pour la mise en place d’une zone de libre-échange avec l’Union européenne, qui a été repoussée de 2017 à 2020. En 2009, le pays a adhéré à la Zone arabe de libre-échange, qui réunit 22 pays. Le problème, c’est que l’Algérie n’a pas besoin de plus de commerce ou d’échanges, elle a besoin de développer son industrie. Les théoriciens de Bruxelles font fausse route en nous proposant une politique d’ouverture et de libéralisation des marchés, tant que notre industrie, notre agriculture et nos services ne seront pas suffisamment ancrés dans notre économie. Depuis dix ans, le libéralisme a étouffé l’industrie, qui ne représente plus que 5 % du PIB, contre 20 % en 2000. Il a conduit au développement anarchique et mafieux de l’informel.

Que proposez-vous ?

Le pic pétrolier est pour dans dix ou vingt ans. Il serait suicidaire de garder une économie rentière fondée sur le pétrole et le gaz. Nous avons besoin d’une économie diversifiée et de reconstruire l’industrie pour créer des richesses aux normes de qualité et aux standards internationaux.

Comment s’y prendre, concrètement ?

Nous voudrions créer des partenariats intelligents pour répondre aux appels d’offres de l’État pour la construction de routes, de barrages, d’écoles, d’hôpitaux… L’idée consiste à développer des mariages à trois qui nous permettraient d’acquérir les savoir-faire. Les entreprises algériennes apporteraient leur relationnel et le financement ; les entreprises européennes, notamment françaises, leur savoir-faire ; et les entreprises des pays émergents, Chine ou Turquie, qui cassent les prix avec leurs monnaies et leurs salaires faibles, leur capacité concurrentielle. 

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