Syrie – Samir Aïta : « Mettre un temps de côté la question du départ d’Assad »

Commencée sous les auspices pleins d’espoirs du Printemps arabe, la crise syrienne est entrée dans sa cinquième année le 15 mars 2016. Interview de Samir Aïta, économiste, journaliste et opposant syrien au régime de Bachar al-Assad.

Samir Aïta a cofondé en 2012 le  Forum démocratique, un courant de l’opposition syrienne. © Capture d’écran / Dailymotion

Samir Aïta a cofondé en 2012 le Forum démocratique, un courant de l’opposition syrienne. © Capture d’écran / Dailymotion

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 28 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

Sous les coups de la répression sanglante du régime, du parasitage jihadiste de l’insurrection et de l’internationalisation du conflit, la révolution pacifique née en mars 2011 qui portait les aspirations à la liberté et à la dignité de millions de Syriens a mué en une guerre civile dévastatrice qui a fait plus de 400 000 morts, selon le bilan donné par l’envoyé spécial de l’ONU sur la Syrie, le 21 avril.

Le 27 février, sous la pression des parrains russe et américain des deux camps, un cessez-le-feu a permis une baisse durable de la violence. Mais depuis la mi-avril, il agonise avec une nouvelle escalade de la violence dans le Nord. À Genève, l’opposition a quitté la table des pourparlers de paix qui avaient repris le 14 avril. Économiste, journaliste et cofondateur en 2012 du courant d’opposition du Forum démocratique, le Syrien Samir Aïta donne à J.A. son point de vue sur l’évolution de la guerre.

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Jeune Afrique : Cinq ans après le début de la crise en Syrie, que reste-t-il de l’espoir révolutionnaire ?

Samir Aïta : Il reste dans le cœur des gens cet élan premier pour la liberté, l’égalité, la citoyenneté et la dignité qui s’exprime dès que la guerre s’arrête, parfois de manière impressionnante comme quand les femmes de Maaret al-Noman ont affronté les jihadistes de la Jabhat al-Nosra avec des slogans comme « Grâce à Dieu l’islam est arrivé avant Al-Qaïda et Daech pour que nous sachions sa vraie nature ! ». Mais cet élan est contrebalancé par le fait que nous ne sommes plus dans les temps premiers : la guerre est partout, des seigneurs de guerre contrôlent les différentes région, au nom de la religion ou tout simplement des armes et, lorsque les gens réaffirment ces grandes valeurs de liberté et de dignité, ils sont aussi réalistes et leur premier souhait est le retour de la paix, des déplacés et des réfugiés dans leur patrie, mais aussi le maintien de l’unité syrienne au moment où les Kurdes proclament leur autonomie…

Les Syriens, à l’image des Égyptiens, privilégieraient-ils la stabilité et la sécurité aux valeurs de la révolution de 2011 ?

En Égypte, l’armée n’est pas entrée en affrontement direct avec la population en masse comme en Syrie où la violence d’État et les destructions ont atteint un niveau tel que, même si les cœurs aspirent à l’unité et la stabilité du pays, il faudrait un événement exceptionnel pour que cette volonté l’emporte sur l’aigreur d’avoir vécu tant de temps assiégé, bombardé.

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Quelle pourrait-être cet événement ? Toute solution diplomatique semble compromise, l’opposition politique n’est toujours pas au rendez-vous…

Personne ne croit aujourd’hui à l’éclosion d’une solution politique durable… Même du côté gouvernemental, il est aujourd’hui difficile de trouver une volonté stable et unie alors que nombre de milices et de seigneurs de guerre s’affirment du côté d’une armée affaiblie. Mais certaines mesures appliquées par étapes pourraient rendre un peu d’espoir et remettre l’espoir d’une solution sur le devant de la scène en instaurant une ambiance positive : relâche massive de prisonniers, respect des trêves, levée du siège des villes qui acceptent les cessez-le-feu par exemple. Mais cela ne pourrait être que graduel et partiel : le chemin sera long pour commencer à rétablir la confiance.

La coopération Washington-Moscou est gênée par les acteurs régionaux qui – Turquie, Arabie saoudite et Iran – veulent leur retour sur les investissements consentis depuis cinq ans

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Une entente Poutine-Obama est maintenant constatée. Y a-t-il entre eux des accords plus engageants que celui qui a permis le cessez-le-feu débuté fin février ?

Je ne pense pas qu’il y ait d’accord formel avec des étapes précises à mettre en œuvre. Il y a une coordination très poussée entre Américains et Russes, parfois directe entre présidents pour tenter de sauver le cessez-le-feu : les deux puissances partagent la crainte que les efforts engagés soient annulés par une nouvelle explosion de violence. Leur entente porte plus sur la définition d’un cadre de travail pour amener la paix que sur une démarche détaillée et programmée. Cette volonté n’a jamais été démentie et elle était peut-être en sous-main depuis 2014, quand les Russes ont proposé de retraiter le combustible nucléaire iranien dans le cadre des négociations entre Washington et Téhéran sur le dossier nucléaire iranien.

Cela dit, cette coopération est gênée par les acteurs régionaux qui – Turquie, Arabie saoudite et Iran – veulent leur retour sur les investissements consentis depuis cinq ans, ce qui est catastrophique. À mon avis un des objectif de la visite d’Obama en Arabie saoudite, le 21 avril, était de dire au Conseil de coopération du Golfe d’arrêter les frais et qu’il allait falloir se mettre d’accord avec les Iraniens si l’on ne veut pas voir la guerre s’éterniser.

L’administration américaine se résigne-t-elle sans le dire à voir une « transition » avec Assad ?

Les Américains, comme les Russes d’ailleurs, sont conscients qu’Assad devra partir à un certain moment. Mais ni les uns ni les autres ne veulent la dissolution des institutions, notamment de l’armée et des services de sécurité, pour que la Syrie puisse redevenir un pays stable. Il faut un événement qui change l’ambiance. Le départ de Bachar al-Assad en est un mais peut-être pas dans une première phase et même les Américains recommandent maintenant de ne plus mettre l’exigence du départ d’Assad en avant pendant la phase active des négociations. Ils recommandent de laisser cette question à l’arrière-plan pour favoriser la discussion sur les autres points de conflit. Cela ne signifie pas que les États-Unis veuillent aller dans le sens d’une collaboration avec Bachar, qui reste pour eux la principale raison de la guerre, mais qui n’est pas la seule.

Cette condition première du départ d’Assad bloque toute évolution du processus politique et ils veulent la mettre de côté, quitte à étudier plus tard comment sera géré ce point pendant la phase de transition. Il faut qu’il y ait une volonté d’avancer prouvées de part et d’autre et, en ce moment, les Russes font pression sur le régime et les Américains sur l’opposition pour aller dans ce sens.

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