Social et environnement : les multinationales ont-elles changé ?

Les pratiques sociales et environnementales des géants miniers et pétroliers n’ont jamais été autant passées au crible. Les dérapages sont-ils pour autant terminés ?

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 31 mai 2011 Lecture : 5 minutes.

Alors que les multinationales minières, pétrolières et forestières ne cessent de mettre en avant leur implication sur les questions sociales et environnementales, les actions menées contre elles en Afrique se multiplient !

Les ONG locales et internationales, les syndicats ou les élus africains, auteurs de nombreux rapports sur l’impact néfaste des géants du secteur privé sur les populations ou l’écosystème, n’hésitent plus à aller en justice. Dernier exemple retentissant : le 12 avril, cinq ONG (une zambienne et quatre occidentales) ont déposé une plainte auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre Glencore et First Quantum, pour manipulations comptables dans le but de minimiser leurs taxes en Zambie.

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À Libreville, c’est l’association gabonaise Brainforest qui est passée à l’attaque : le 28 février, elle a porté plainte contre la Comilog (filiale d’Eramet), demandant 747 millions d’euros pour indemniser les populations du plateau Bangombe, affectées par la pollution des rivières et la violation des droits de l’homme autour de la mine de Moanda. Plus à l’ouest, les représentants des populations pygmées pourraient aussi demander réparation pour les dommages causés par l’installation de l’oléoduc Tchad-Cameroun par ExxonMobil.

Dans le même temps, les États mettent aussi la pression sur les multinationales, à l’instar de la Guinée, qui vient d’obtenir de l’australien Rio Tinto le paiement de 494 millions d’euros pour la pérennisation de ses droits sur les gisements de fer du Simandou. Conakry considérait qu’ils avaient été obtenus dans des conditions désavantageuses pour le pays.

Une mue revendiquée

Ces exemples défraient la chronique, mais la plupart des observateurs interrogés reconnaissent que les multinationales, plus exposées qu’avant au feu des projecteurs, ont dans l’ensemble plutôt amélioré leurs pratiques. Selon Rachel Kyte, vice-présidente de la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale), « le greenwashing, c’est-à-dire le décalage entre une communication bien huilée sur les questions environnementales et la pratique sur le terrain, est en régression au sein des grandes sociétés, qui ont compris où se situait leur intérêt à long terme : le coût d’un scandale médiatique ou, pis, d’un procès, est bien supérieur à celui d’une prise en compte des sujets en amont ». « Des groupes comme Areva ou même Total sont plus ouverts aujourd’hui, à l’inverse de sociétés plus petites ou non cotées », reconnaît même Marc Ona Essangui, président de Brainforest.

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Dans les entreprises, on revendique cette mue. Shell Nigeria, mis en cause par un rapport accablant d’Amnesty International en 2009, annonce des dépenses non obligatoires d’aide au développement local de 50 millions d’euros, en plus de ses contributions contractuelles aux autorités locales. Chez Areva, même son de cloche : « Notre groupe assume toutes ses responsabilités, y compris sur nos sites qui ont fermé, ce qui nous coûte environ 25 millions d’euros chaque année », revendique Didier Fohlen, responsable de ces sujets au sein du pôle minier du groupe français. « L’installation d’observatoires de santé sur nos sites gabonais et nigériens, assurant un niveau de protection maximal identique à ce que nous faisons en France, est une belle illustration de notre implication », indique-t-il. Cette opération a mis fin à des années de conflit avec les travailleurs africains d’Areva, qui jugeaient être moins protégés que leurs collègues français.

« Le vieil adage qui dit “pour vivre heureux vivons cachés” ne vaut plus », estime Stéphane Brabant, avocat associé chez Herbert Smith, qui accompagne des compagnies extractives en Afrique. Désormais, les entreprises savent que leurs mauvaises pratiques pèsent sur leur cours boursier, car les investisseurs sont devenus sensibles à ces questions.

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Le risque encouru est aussi judiciaire. « Les législations nationales sont devenues plus contraignantes, en raison de l’insertion dans la loi de principes environnementaux et sociaux tirés de conventions internationales. Et au niveau mondial, les grandes sociétés sont également exposées ; en témoigne la loi Dodd-Frank, qui oblige les groupes cotés aux États-Unis à donner des informations sur ce qu’ils font en dehors du territoire américain », détaille Stéphane Brabant. De même, à Bruxelles, une directive européenne instaurant la transparence dans les industries extractives et forestières devrait être adoptée avant la fin de l’année.

L’adhésion volontaire de multinationales à l’élaboration de règles internationales avec les États et sociétés civiles témoigne aussi d’un progrès, même si elles n’ont pas force de loi. Une cinquantaine de grandes sociétés participent à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), et une centaine travaillent à la construction de la grille de critères sociaux et environnementaux des Nations unies, dite de John Ruggie, qui vise à établir les responsabilités des États et des sociétés en matière de protection des droits de l’homme.

Pression des bailleurs

Les bailleurs de fonds internationaux, qui financent des partenariats public-privé, jouent aussi un rôle positif. « Pour l’élaboration d’un programme de réinstallation des populations vivant sur le site de notre mine mozambicaine, nous avons scrupuleusement suivi les recommandations de la SFI pour le secteur minier », indique Liesel Filgueiras, du brésilien Vale, qui précise que ces règles sont suivies sur tous les sites du groupe, y compris là où la SFI n’est pas un partenaire financier.

Géraud Magrin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), constate au Tchad un impact durable des standards de la Banque mondiale : « En imposant aux acteurs publics et privés de respecter un nouveau cadre de régulation environnementale, elle a installé durablement de bonnes pratiques sur le premier projet d’extraction pétrolière tchadien piloté par Esso à Doba, même si elle s’en est retirée en 2008. Les personnes formées à Doba sur les questions environnementales ont par la suite été recrutées par le chinois CNPC, qui exploite le nouveau gisement de Rônier, et elles y perpétuent les mêmes méthodes. »

Si les multinationales ont donc changé, il ne convient tout de même pas de leur signer un chèque en blanc : « Ce qu’il faut maintenant améliorer, c’est leur audit social et environnemental par des cabinets véritablement indépendants », affirme Rachel Kyte, qui précise que les « Big Four », les grands cabinets d’audit américains, planchent actuellement sur le sujet avec le concours de la SFI. Reste que, sans le renforcement de l’autorité des États et de la société civile, il est vain d’attendre une amélioration des comportements des multinationales de leur seul fait. La vigilance reste de mise. Surtout que des milliers d’entreprises plus petites passent toujours à travers les mailles du filet. 

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