Sénégal – Making-of : J-1 avant le vernissage de la 12e Biennale de Dakar

Le 3 mai 2016, la 12e édition de la Biennale de Dakar ouvrira ses portes. Visite dans les coulisses d’une manifestation montée en quelques mois.

Justine Gaga, Indignation : installation, dimensions variables, 2012. © Justine Gaga/ Capture d’écran de la page Facebook de la biennale.

Justine Gaga, Indignation : installation, dimensions variables, 2012. © Justine Gaga/ Capture d’écran de la page Facebook de la biennale.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 2 mai 2016 Lecture : 7 minutes.

Sur la façade poudrée de lumière de l’ancien Palais de justice, il ne reste que quatre lettres : le D, le U, le I et la moitié du E, lequel pendouille de traviole. Mais comme une annonce de renaissance, une grande banderole s’affole sous le vent de l’Atlantique : elle porte le logo coloré du Dak’Art et annonce fièrement la 12ème édition de la Biennale de l’art contemporain africain. Attendue par nombre d’artistes du continent, celle-ci doit ouvrir ses portes le 3 mai et durer jusqu’au début du mois de juin. Pour l’heure, à l’intérieur de ce Palais de justice fermé depuis une vingtaine d’année mais qui abrita en son temps l’exposition internationale du premier Fesman, en 1966, c’est branle-bas de combat.

50 ans après le premier Fesman, la Biennale renoue avec le Palais de justice du Cap Manuel

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Dans un coin, une scie circulaire frotte ses dents sur du métal, projetant une gerbe d’étincelles sur le sol carrelé de bleu. Plus loin, une grande flaque verdâtre aux reflets de citron s’étale dans la lumière. « J’ai versé de l’acide pour nettoyer », explique Madeleine Sow, de Djia DTP, qui vient de passer trois jours à récurer les sols et à remettre en état les toilettes, avec toute son équipe. De-ci de-là, des caisses de bois clair, des estrades, des panneaux attendent sagement l’arrivée des oeuvres d’art qu’ils doivent accueillir. Dans une ancienne salle d’audience dont le sol est couvert de terre et de débris, l’artiste camerounais Bili Bidjocka, perché toute en haut d’une échelle, achève d’écrire le mot « Révolution » sur un mur délabré. Dans la vaste étendue traversée de piliers en béton qui fut sans doute une salle des pas perdus, l’Ivoirien François-Xavier Gbré cherche un électricien. Au mur, chacun a déjà sa place : des dizaines de feuilles A4 imprimées en couleur exhibent une version pixelisée de l’oeuvre à venir et le nom de son créateur. L’odeur qui imprègne les lieux mêle celle de la sciure à celles de la peinture neuve et du produit détachant. Rien n’est fini, mais tout avance.

Dans l’odeur de peinture neuve, de sciure et de détachant, les artistes s’activent

“On me le dit tout le temps, alors j’ai l’habitude”, confie en souriant l’artiste nigerian Akindiya Akirash quand on exprime l’idée que son travail rappelle par certains côté celui du Ghanéen El Anatsui. Aidé par deux “petites mains”, il tisse ensemble laine, plastique, carton, diapositives, filets de pêche pour former comme une immense toile d’araignée colorée. Optimiste, son collègue égyptien Youssef Limoud balaie d’un geste du bras l’espace qu’il occupe avec ses constructions de terre et de bois : “D’ici deux jours, j’aurais terminé.” Il vaudrait mieux, le vernissage a lieu précisément dans deux jours. Certaines oeuvres, sans doute, sont faciles à installer. Mais d’autre sont faites sur place, comme ces lance-pierres soudés entre eux par le Franco-Algérien Kader Attia.

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Apparemment placide, assis dans un coin face à un plan détaillé de la salle, le directeur artistique de la manifestation, le Camerounais Simon Njami, surveille le bon déroulé des opérations en enchaînant les cigarettes. “Ca avance. Jamais assez vite, mais ça avance”, dit-il. Son horizon à lui aussi, c’est le 3 mai. Et il lui faudrait un sacré don d’ubiquité pour pouvoir s’occuper de tous les sites à la fois. L’ancien Palais de Justice abritera l’exposition internationale, qu’il a titrée “Réenchantement”, mais d’autres lieux à travers tout Dakar seront occupés pendant un mois par les artistes : le Musée Senghor, la Galerie Nationale d’Art, le Musée Théodore Monod, le Monument de la Renaissance, la Place du Souvenir, la Galerie Le Manège, la Gare ferroviaire… Sans citer, bien entendu, les quelques 300 manifestations du Off qui feront vibrer la ville.

Une « biennale commando » pour réenchanter le monde depuis Dakar

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Aujourd’hui, malgré la tension des derniers jours, palpable, tout semble rouler. Pourtant, ce n’était pas gagné. « Cette biennale est une opération commando, confie le secrétaire général de la manifestation, Mahmadou Rassouloulaye Seydi. Le comité d’orientation s’est réuni le 23 octobre 2015, j’ai signé l’accord de convention le 17 novembre 2015. Nous devions alors lancer l’appel à candidatures, sans site web puisque la personne qui s’en occupait n’avait pas été payé et était rentré chez elle. Mais bon, le ministère de la Culture tenait à ce qu’il n’y ait pas de rupture.” Créée au tout début des années 1990, la Biennale de Dakar est la plus ancienne et la plus régulière du continent. « L’État a donc fait un effort considérable en apportant une subvention de 419 millions de francs CFA, ce qui représente environ 75 % du budget, le reste provenant du secteur privé et de différents partenaires institutionnels », précise Seydi. L’invitation du Qatar, parallèlement à celle du Nigeria, n’a selon lui aucun motif financier : il s’agit d’une forme de coopération entre le deux pays. Pourquoi pas ?

Nous voulions un directeur artistique de renommée internationale

Il n’empêche, six mois pour mettre en place une biennale, cela tient du miracle. « C’est très court, en effet, reconnaît Baidy Agne, président du comité d’orientation et président du Conseil national du patronat sénégalais. Mais nous avons une équipe de personnes très motivées et une direction artistique très exigeante.” Le choix de Simon Njami s’est fait naturellement après que l’avis des artistes sur les précédentes biennales a été soigneusement analysé : « Nous voulions un directeur artistique de renommée internationale qui connaisse bien le contexte sénégalais en particulier et l’art africain en général, explique Seydi. Et les commissaires d’expos capables de faire une biennale en quelques mois, ça ne court pas les rues ! » Peut-être vaudrait-il mieux s’y prendre un peu à l’avance ? Le secrétaire général botte en touche, renvoyant les problèmes d’organisation de la biennale aux aléas de la vie politique… Lui-même n’est arrivé à son poste qu’au début de décembre 2014. Quant aux vicissitudes des précédentes éditions – œuvres perdues ou jamais renvoyées, par exemple… – Seydi et Agne sont formels : cela ne se reproduira pas. « Nous avons apporté de nouvelles méthodes de gestion, explique Agne. Je peux vous assurer, et vous pouvez l’écrire, qu’il n’y aura pas de problème cette année. Le 15 juin, les œuvres seront remises aux artistes. » Seydi, lui, insiste sur l’implication de tous les ministères dans la Biennale – et sur celle fondamentale des douanes. Les catalogues sont quand même encore bloqués en Allemagne, mais ils devraient trouver leur chemin d’ici au 3.

Rendre l’art contemporain accessible

Fidèle à la Biennale depuis sa création, Simon Njami a commencé a s’impliquer dans cette 12e édition à la mi 2015, mais a dû attendre la fin de l’année pour pouvoir se lancer. « J’ai une sensation non pas de renaissance, mais d’éternel retour du même », confie-t-il, insistant sur le fait que le comité d’orientation devrait se remettre à travailler sur la prochaine édition dès la fin de celle-ci. Lui s’est retroussé les manches dès qu’il a pu, épluchant plus de 300 dossiers de candidature et invitant une soixantaine d’artistes. « J’aime l’idée de l’appel à candidature qui permet de rafraîchir le cheptel, dit-il. Une biennale qui couronne deux fois le même artiste se trompe. » D’où une sélection d’artistes jeunes, encore peu connus et essentiellement africains. L’ouverture passera par l’invitation de six commissaires dont les propositions iront compléter l’exposition internationale. « Je pense d’abord à Dakar et j’invite le monde depuis Dakar, ce serait bien que certains intègrent ça, poursuit Njami. Quand on fait une biennale, cela implique une certaine responsabilité. Il s’agit de rendre l’argent dépensé et de ne pas faire un OVNI qui serait apprécié à New York. » Rendre l’art contemporain populaire ? « Non, je ne veux pas le rendre populaire, je veux le rendre accessible. Je ne peux pas présupposer ce que le peuple veut, mais je veux lui donner l’opportunité d’apprécier. » Affiches et baraques disséminées à travers la ville devraient, au moins, permettre de faire circuler l’information.

Se retrouver « dans l’égalité des peuples fraternels » selon les mots de Senghor

Il est possible de prendre les paris : le 3 mai à 10 heures, au théâtre national Daniel Sorano, toutes les œuvres seront installées entre les piliers de béton d’un ancien palais de Justice et tout le monde de l’art africain contemporain se retrouvera pour célébrer la création, sous l’égide du président-poète. En choisissant cette année pour thème La Cité dans le ciel bleu, Simon Njami a emprunté un bout de vers à Leopold Sédar Senghor. « Ta voix nous dit la République, que nous dresserons la cité dans le jour bleu. Dans l’égalité des peuples fraternels. Et nous répondons : Présents, ô Guélowâr! ” Puisse les visiteurs – et parmi eux, les hommes politiques – répondre aussi présent à cet appel à la fraternité dont les artistes se font souvent les porte-voix. Quoiqu’ils encourent.

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