Deux années de chantiers pour diversifier l’économie

Grands travaux, soutien aux PME, reprise en main de la manne pétrolière… Depuis l’élection d’Ali Bongo Ondimba en 2009, l’État gabonais multiplie les initiatives pour diversifier l’économie. Avec l’appui, notamment, de nouveaux partenaires asiatiques.

JAD20220711-Tribune-RDC-Gécamines-StéphaneBallong Stéphane Ballong
© Vincent Fournier pour JA

Publié le 22 septembre 2011 Lecture : 8 minutes.

Le président gabonais Ali Bongo Ondimba (ABO) chantant en chœur avec R. Kelly, la star américaine du R’nB. Ce duo d’un soir a marqué les esprits du millier d’invités – investisseurs étrangers, patrons locaux, hommes politiques… – conviés le 9 septembre à la cérémonie d’inauguration de la zone économique spéciale (ZES) de Nkok, à 27 km de Libreville, deux ans après l’élection d’ABO, le 4 septembre 2009. À tel point qu’on en aurait même oublié la raison première de cette manifestation : lancer des travaux d’implantation de groupes industriels dans ce qui devrait devenir, selon ses promoteurs, la plus grande ZES d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. Nkok devrait s’étendre, à terme, sur 1 126 hectares, et sa première partie (400 ha) accueillera 45 entreprises venues d’Asie (lire p. 101) et d’Afrique (Bénin, Cameroun, Ghana).

Une agence nationale des grands travaux a été créée en octobre 2010.

la suite après cette publicité

L’aménagement de cette zone (140 millions d’euros) constitue un des piliers du « Gabon émergent » prôné par le locataire du Palais du bord de mer, qui vise la diversification et l’industrialisation de l’économie du pays.

« Il ne s’agit plus pour nous d’exporter nos produits à l’état brut. Il s’agit de les transformer sur place et d’y ajouter de la valeur », explique Alexandre Barro Chambrier, le ministre des Mines et des Hydrocarbures.

Autrement dit, le Gabon veut rompre avec une économie de rente pétrolière. En 2010, l’or noir a représenté 48 % du PIB et 82 % des recettes d’exportations (4,1 milliards d’euros). Alors que l’industrie forestière, pourtant deuxième secteur du pays avec plus de 55 000 salariés, ne représente actuellement que 9 % des revenus tirés des exportations, et le manganèse, dont le Gabon est le deuxième producteur mondial, 6 %. De fait, la zone économique de Nkok, dont l’installation totale devrait prendre encore quelques années, entend donner la priorité à la transformation locale du manganèse et du bois. Mais d’ici là, les efforts se concentrent sur la construction et le renforcement des infrastructures du pays.

la suite après cette publicité

« Pendant de longues années, le Gabon, qui n’est pourtant pas un pays pauvre, n’a pas investi dans le développement de ses infrastructures. Aujourd’hui, si le pays veut attirer les investisseurs, il se doit de rattraper son retard dans ce domaine », estime un homme d’affaires étranger de passage à Libreville.

En 2010, si la croissance a retrouvé son niveau d’avant les crises économique et politique de 2008 et 2009, en atteignant 5,7 % (- 1,4 % l’année précédente), c’est justement grâce à la bonne tenue des cours du pétrole, mais aussi à la hausse des investissements dans les grands travaux. Ceux-ci ont été particulièrement portés par les chantiers de la prochaine Coupe d’Afrique des nations (football), qui se jouera en 2012 au Gabon et en Guinée équatoriale.

la suite après cette publicité

Chasse aux dépenses superflues

Rien qu’en 2010, l’État et les investisseurs étrangers ont consacré 1,15 milliard d’euros à la construction d’infrastructures, notamment routières et énergétiques. Une manne que se sont surtout partagée les entreprises qui dominent le secteur du BTP dans le pays : le français Colas (filiale de Bouygues), l’indien Ramky Infrastructure… mais aussi des sociétés nationales comme Entraco et Socoba. Au total, l’État compte injecter près de 9 milliards d’euros, sur les cinq prochaines années, dans le développement d’infrastructures routières et énergétiques et dans la construction de près de 5 000 logements sociaux. Une Agence nationale des grands travaux (ANGT) a été créée en octobre 2010 pour mener à bien ces différents chantiers. Sa direction a été confiée à Bechtel, dans le cadre d’un partenariat signé en septembre 2010 entre l’État et ce groupe américain à qui l’on doit notamment le tunnel sous la Manche et la ville nouvelle de Jubail, en Arabie saoudite.

Ce partenariat illustre, explique-t-on dans l’entourage d’ABO, la volonté du président de contourner la lenteur de certaines administrations. De fait, l’État s’attache les services de groupes privés étrangers à travers la création de grandes agences. Outre Bechtel pour les grands travaux, le singapourien Olam est le partenaire stratégique pour le développement de l’agro-industrie (palmeraies sur près de 200 000 ha et construction d’une usine d’engrais à Port-Gentil d’ici à 2015). De même, le propre frère du président, Alex Bernard Bongo, a été nommé à la tête de l’Agence nationale de l’information, des infrastructures numériques et des fréquences (Aninf), créée début 2011 pour prendre en charge l’installation et la gestion des infrastructures de télécommunications, de l’audiovisuel et de l’informatique.

Une bonne partie de tous ces grands projets est financée sur fonds propres. L’État s’est engagé depuis l’année dernière dans la réduction des dépenses superflues : traque des fonctionnaires fictifs, supression de postes de prestige à la présidence et à la primature, réduction des dépenses en carburants… Il a ainsi réussi à augmenter son budget de 36 % sur un an, pour atteindre le niveau record de 1,37 milliard d’euros. La moitié de ce montant a été consacrée en 2010 aux infrastructures. Au cours des cinq prochaines années, le pays devrait aussi bénéficier d’un appui supplémentaire de la Banque africaine de développement (BAD), qui débloquera quelque 600 millions d’euros pour la construction des routes et pour l’amélioration du climat des affaires. Un domaine dans lequel le pays ne brille guère. Le Gabon est classé 156e sur 183 pays, selon le dernier rapport « Doing Business » de la Banque mondiale.


Ces investisseurs venus d’Asie

Indiens et Singapouriens placent leurs pions dans les secteurs de l’agro-industrie et des travaux publics.

Les Asiatiques sont à l’offensive au Gabon, à commencer par le singapourien Olam. Le groupe agro-industriel y compte pour près de 1,5 milliard d’euros d’investissements en cours. Outre les montants engagés pour l’aménagement de la zone économique spéciale de Nkok (88 millions d’euros), il a démarré en octobre 2010 le développement d’une palmeraie de 50 000 ha (150 millions d’euros). Devrait suivre une autre plantation de 150 000 ha (440 millions d’euros). Olam est aussi associé à l’indien Tata Chemicals et à l’État gabonais dans un projet d’usine d’engrais à Port-Gentil (1,3 milliard d’euros). L’indien M3M s’est quant à lui vu attribuer le marché de la construction de 5 000 logements sociaux (plus de 70 millions d’euros). Pendant ce temps, son compatriote Ramky Infrastructure a décroché un contrat pour la construction de 1 000 km de routes bitumées entre Libreville et Franceville. Outre les Asiatiques, les Qataris pourraient prochainement investir dans le pays. Deux visites de prospections ont déjà eu lieu. S.B.

Manque de transparence

Dans cet environnement parfois opaque, les PME locales notent des progrès, mais ne manquent pas de pointer la mainmise des grands groupes de BTP sur le marché des infrastructures.

« Aujourd’hui, nous avons certes la chance de participer aux appels d’offres, mais il reste encore des efforts de transparence à fournir dans l’attribution finale des marchés », relève Pierre Obiang, directeur général de l’Office gabonais de bâtiment et de construction (Ogabac, 760 000 euros de chiffre d’affaires).

Mais cet entrepreneur ne désespère pas de tirer profit de l’embellie annoncée dans le secteur au cours des cinq prochaines années. Pour cela, Roger Owono Mba, directeur général de la Banque gabonaise de développement (BGD), entend renforcer son appui financier à l’ensemble des PME, afin de leur permettre d’être plus compétitives et de pouvoir décrocher des marchés. Globalement, sur les six premiers mois de cette année, la BGD leur a déjà accordé une enveloppe de 900 000 euros de crédits.

« Les PME pointent la mainmise des multinationales sur le marché des infrastructures. »

Pour relancer la machine économique, le gouvernement a épongé la dette intérieure (543 millions d’euros), avec l’appui des banques locales, ce qui a permis aux PME de redémarrer. « Cette mesure a favorisé une hausse de leur trésorerie », affirme Jean-Baptiste Siaté, directeur général d’Ecobank Gabon.

En réduisant significativement sa dette intérieure, en remboursant une partie de sa dette extérieure (1,4 milliard d’euros vis-à-vis du Club de Paris) et en s’émancipant des programmes avec le Fonds monétaire international (FMI), le Gabon est désormais le pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) dont le niveau de la dette publique est le plus faible : 15,7 % du PIB en 2010 et 14,3 % en 2011. En somme, les finances publiques du pays sont en voie d’assainissement. Mais il reste toutefois d’autres défis majeurs à relever pour relancer définitivement l’économie. Notamment l’amélioration de la gestion de sa manne pétrolière, qui, en attendant la diversification effective de l’économie, assure plus de 60 % des recettes de l’État. Un audit du secteur a été commandé au cabinet Alex Stewart International ; il devrait permettre à cette filière vitale pour l’économie du pays de repartir sur de nouvelles bases.

Pour reprendre en main les secteurs énergétique et minier, deux compagnies nationales ont été créées. À l’instar de la Sonangol en Angola, Gabon Oil Company devrait contrôler la participation de l’État dans l’industrie pétrolière. Serge Brice Toulekima, ancien cadre de Shell Gabon et de Chevron en Australie, a été nommé à sa tête en juin dernier. La Compagnie équatoriale des mines a quant à elle été créée en mars 2011 pour assurer l’exploitation des gisements de minerais stratégiques. Autant dire que si la politique du président gabonais semble bien ficelée, les défis à court terme restent importants.

 

Questions À. Moulay Lahcen Ennahli : « La croisssance du PIB reste liée au cours du pétrole »

Jeune Afrique : Négative en 2009, la croissance économique du Gabon a retrouvé un niveau positif en 2010. Comment l’expliquez-vous ?

Moulay Lahcen Ennahli : La composition du PIB du Gabon est telle que son évolution reste fortement liée à celle du cours du pétrole [les hydrocarbures ont représenté 48 % du PIB en 2010, NDLR]. Sur l’ensemble de 2009, le cours du brut s’est contracté dans un contexte de crise financière internationale, pénalisant la croissance. Mais depuis 2010, les réformes structurelles engagées par le gouvernement et la remontée des cours mondiaux ont favorisé la reprise de la croissance économique, qui se consolide en 2011.

Libreville a interdit l’exportation des grumes et imposé la transformation du bois sur place. Quel est l’impact de cette mesure ?

C’est une mesure structurelle importante dont l’impact réel ne pourra s’observer qu’à moyen et long termes. le secteur forestier est considéré comme un des principaux secteurs de diversification économique. Bien qu’étant le premier employeur du secteur privé, la filière bois contribue à moins de 3 % du PIB. L’obligation de transformer localement le bois devrait favoriser à terme une croissance inclusive, à travers la création d’emplois et la redistribution des richesses. La BAD est disposée à accompagner le gouvernement dans cette politique de diversification de son économie.

La création de zones économiques spéciales, qui offrent d’importants avantages aux investisseurs étrangers, est-elle un bon choix ?

Quand on crée une zone économique spéciale (ZES), il se pose toujours la question des retombées économiques pour le pays. Mais ce modèle économique a permis l’émergence des pays asiatiques, notamment la Chine et l’Inde. Ce que recherche le Gabon en mettant en place ce type de dispositif, c’est l’amélioration de la compétitivité de l’économie nationale. La zone économique spéciale lui permettra d’attirer des investisseurs, de créer de l’emploi et de faire entrer des devises. Elle permettra l’industrialisation du pays par effet d’entraînement des PME locales. Partant, la création de la zone économique spéciale est un bon choix.

Propos recueillis par S.B

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires