Du gaz à profusion… surtout pour l’export
Riche en réserves gazières, l’Afrique pourrait profiter de cette manne pour alimenter ses centrales électriques. Mais l’essentiel de sa production reste destiné à l’étranger.
Il suffit de suivre les torchères, réparties telles des bougies sur un gâteau, pour se repérer dans le bassin du Congo. De prendre une bouffée d’air acide et carboné dans le delta du Niger pour sentir ce que vit le peuple ogoni. Dans ces régions où les pétrodollars coulent à flots, l’unique production de lumière est une flamme qui ne s’éteint jamais. Quelque 40 milliards de m3 de gaz inexploités, l’équivalent de la consommation annuelle française, sont ainsi brûlés chaque année en Afrique depuis plus de cinquante ans, au mépris de l’homme et de son environnement. Une richesse gâchée… que le continent pourrait convertir en électricité pour ses habitants.
Car l’Afrique n’est pas qu’un gigantesque réservoir pétrolier. Son potentiel gazier est au moins aussi important. Du nord au sud, ses réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 14 700 milliards de m3 en 2010, soit près de 8 % des réserves mondiales. Et elles pourraient rapidement croître. À preuve, la découverte sensationnelle de l’italien ENI, le 20 octobre au large du Mozambique, estimée à 425 milliards de m3.
Avec une production prévue de 46,6 millions de m3 par jour dès 2016, destinée aux marchés domestique, régional et international, Maputo deviendra un producteur de poids. La manne étant située à 40 km des côtes, son évacuation nécessitera la construction d’un gazoduc sous-marin et d’infrastructures supplémentaires pour l’acheminer sur son lieu de consommation : un autre pipeline pour rejoindre, par exemple, l’Afrique du Sud (qui s’est dite très intéressée, alors qu’elle affronte une véritable crise énergétique), et une usine de liquéfaction pour ensuite transporter le gaz par bateau partout dans le monde.
Inverser la tendance
Cette découverte participera à augmenter la part africaine dans la production mondiale – la contribution du continent est aujourd’hui de 6,5 %, dont plus des trois quarts proviennent d’Algérie, d’Égypte et de Libye. Elle ne suffira pas, en revanche, à inverser une autre tendance. « L’Afrique vit une contradiction par rapport aux autres continents : elle produit deux fois plus de gaz qu’elle n’en consomme », relève Anne-Sophie Corbeau, analyste marchés gaziers à l’Agence internationale de l’énergie. Et de citer l’Égypte, deuxième producteur africain, qui peine à répondre à sa demande intérieure… pourtant un tiers inférieure à sa production.
Alors que le continent représente à peine plus de 3 % de la consommation mondiale, force est de constater que la plupart des projets qui essaiment du nord au sud sont destinés à l’exportation. D’abord, parce que la croissance de la demande mondiale ne se tarit pas (+ 7,4 % en 2010), tirée par la Chine, qui entend doubler la part du gaz dans son mix énergétique d’ici à 2015, en augmentant son utilisation de 20 % par an. Ensuite, parce que l’accident de la centrale de Fukushima, en mars au Japon, semant le doute sur tous les programmes nucléaires du monde, a déjà eu un effet de levier. Enfin, parce que le prix du gaz, en particulier du gaz naturel liquéfié (GNL), transporté par bateau et donc facilement exportable, est six fois moins élevé que le pétrole (à production d’énergie équivalente).
Les projets de terminaux méthaniers fleurissent
(Source : California Energy Commission, Jeune Afrique)
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Ralentis au lendemain de la crise de 2008, les projets africains de production de GNL ont à nouveau le vent en poupe. Quelque 50 milliards d’euros doivent être investis dans des projets de terminaux méthaniers (voir carte ci-contre). L’un des derniers annoncés est celui du français GDF-Suez au Cameroun, à 30 km au sud de Kribi ; les études viennent de commencer, mais le coût est déjà estimé à 2,5 milliards d’euros. Si tous ne verront pas le jour, certains projets devraient démarrer en 2012. C’est le cas d’Angola LNG, opéré par le français Total, le britannique BP, l’italien ENI, l’américain Chevron et l’entreprise nationale Sonangol. Mise en route prévue au premier semestre 2012, au terme d’un investissement de 6,5 milliards d’euros. En Algérie, l’extension de la plus vieille usine de liquéfaction du continent (1961), à Arzew, devrait suivre le même calendrier.
Au Nigeria aussi, les faits sont têtus, et contraires aux déclarations politiques et aux besoins du pays. Quatrième producteur de gaz en Afrique, mais assis sur les plus importantes réserves, avec 5 300 milliards de m3, le pays voit ses exportations stagner, et la demande intérieure n’arrive pas à être satisfaite. La « Power Road Map » élaborée en 2010 prévoit de porter la production d’électricité de 3 000 à 20 000 MW d’ici à 2020, ce qui créerait un besoin supplémentaire de 100 millions de m3 de gaz par jour (la quasi-totalité des centrales électriques sont alimentées en gaz), contre une consommation actuelle estimée à 30 millions de m3.
Chimère électorale
Or, plus de 66 % de la production nigériane de gaz est du GNL destiné à l’export, via Bonny (Sud-Est). Une septième tranche de ce terminal est à l’étude, tandis qu’un autre projet, situé à Brass (un peu plus à l’ouest), devrait voir le jour prochainement. Porté par un consortium composé de la compagnie nationale NNPC, de Total, d’ENI et de l’américain ConocoPhillips, il aura une capacité de 50 millions de m3 par jour. Le calendrier reste incertain, mais les appels d’offres pour sa construction ont été lancés, et la quantité de GNL qui en sortira est en cours de commercialisation.
Ces milliards de m3 de gaz exportés sont autant de torchères éteintes. Mais pour l’heure, le rêve d’une Afrique électrifiée grâce au gaz de son sous-sol demeure une chimère électorale, et le privilège de quelques quartiers huppés des grandes villes.
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