Réda Hamiani : « Le chômage constitue aujourd’hui l’urgence absolue »

Les élections à la présidence du Forum des chefs d’entreprise (FCE) ont lieu le 17 novembre en Algérie. Candidat à sa sucession à la tête du principal syndicat patronal du pays, Réda Hamiani fait face à la rivalité inédite de trois PDG. Entretien.

Publié le 14 novembre 2011 Lecture : 6 minutes.

La principale organisation patronale d’Algérie, le Forum des chefs d’entreprises (FCE), élit son nouveau président le 17 novembre 2011, lors d’une assemblée générale qui s’annonce houleuse. Pour la première fois du FCE, qui a vu le jour en 2000, quatre candidats se disputent la présidence , un mandat de deux ans renouvelable pour un poste stratégique dans la vie économique et politique du pays.

À la surprise générale, Réda Hamiani, 67 ans, a finalement décidé de se présenter pour un troisième mandat. Mais l’ancien ministre des PME/PMI affronte trois « quadras ». En lice : Hassen Khelifati, 43 ans, P-DG d’Alliance assurances, et Mohamed Baïri, 41 ans, P-DG d’Ival, qui représentent le camp du changement. À 40 ans, Nassim Kerdjoudj, P-DG de Net Skils et vice-président du FCE, très proche de Réda Hamiani, apparaît quant à lui davantage comme le candidat de la continuité.

la suite après cette publicité

Toutefois, précise un entrepreneur habitué des instances patronales, « dans cette bagarre entre jeunes et vieux, ces quadras aux dents longues, très critiques, veulent apporter du sang neuf au FCE et le transformer en une sorte de Medef à la française. Ils veulent décentraliser le syndicat patronal de manière à ce qu’il ne soit plus une simple caisse de résonance, mais une force de propositions pour augmenter le poids du secteur privé dans l’économie algérienne et créer des emplois. »

Le résultat des courses sera connu le 17 novembre. À condition que le scrutin, qui a déjà été décalé de six mois, ne soit pas une nouvelle fois reporté. Interview avec Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises (FCE).

Pour en savoir plus : lire « Patronat algérien : un fauteuil pour quatre » dans J.A. n° 2653 , en kiosque du 13 au 19 novembre.

Jeuneafrique.com : Quel bilan tirez-vous de votre présidence ?

la suite après cette publicité

Réda Hamiani : En quelques années, le FCE a acquis une place de leader en tant qu’association patronale indépendante. Il a gagné en notoriété et en crédibilité grâce à ses analyses pertinentes ainsi qu’à ses prises de position souvent courageuses et à contre-courant des orientations gouvernementales.

Comment analysez-vous la situation économique du pays ? Partagez-vous le point de vue du FMI sur l’économie algérienne qui a mené une mission dans le pays en octobre ?

la suite après cette publicité

La situation est contrastée et reflète grosso modo les caractéristiques d’une économie de rente où le poids des hydrocarbures écrase et prend en otage l’économie du pays. Reconnaissons tout de suite la bonne tenue des fondamentaux à un moment où la crise internationale fait vaciller au plan économique bon nombre de pays.

De ce coté, l’Algérie se porte bien (croissance positive, inflation maitrisée, chômage contenu, absence de dette internationale …etc). En revanche, l’Algérie ne tire pas profit de ses énormes atouts pour faire mieux. Son potentiel économique pouvait et devait la conduire à des croissances chinoises ou turques. De plus, notre dépendance sur tous les plans (sauf financière) de l’extérieur est accablante, nous produisons de moins en moins et nous allons terminer l’année 2011 avec un record absolu d’importations de bien et de services qui vont culminer à 60 milliards de dollars. Du jamais vu.

Comme le FMI l’a souligné, nous déplorons la faiblesse du secteur privé en Algérie et son incapacité à devenir l’élément fondamental et novateur dans la transition économique actuelle. De notre point de vue, il n’est pas responsable de cette situation en raison d’un environnement bureaucratique qui freine sa croissance et son développement.

Le taux de chômage, notamment des jeunes (supérieur à 20%), reste très élevé en Algérie. On l’a vu en en Tunisie et en Égypte, c’est un sujet explosif. Comme créer des emplois pour les jeunes Algériens, notamment diplômés ?

Le chômage constitue aujourd’hui l’urgence absolue. C’est un sujet explosif qui accapare une bonne partie de l’énergie de notre gouvernement qui craint une explosion sociale liée au chômage et à la précarité.

Notre démographie, qui vient de rebondir, livre sur le marché du travail chaque année quelques 300 000 jeunes que la capacité de création d’emplois de notre économie (150 000) ne peut pas satisfaire. La variable d’ajustement se cale sur toute la panoplie de mesures gouvernementales censées répondre à ce fléau (ANSEJ + CNAC +DAIP)*.

Pour nous, fondamentalement, la piste la plus sérieuse à suivre réside dans une croissance économique forte, durable, aussi endogène que possible et s’appuyant non seulement sur la dépense publique mais aussi sur le développement agricole, le renouveau de l’industrie, la promotion du secteur privé et la politique de formation axée sur l’innovation qui constituent à nos yeux les éléments clé de cette question.

Quelles sont les réformes qui vous paraissent indispensables en Algérie ?

Les réformes les plus urgentes sont à caractère politique car l’expérience a prouvé qu’elles déterminent très largement les évolutions économiques. Le gouvernement est conscient de ces enjeux et a promis de faire bouger ses lignes pour répondre aux attentes des citoyens dans le domaine des libertés fondamentales et de la construction démocratique du pays.

L’objectif serait d’avoir une société apaisée, vivant en paix et partageant un projet de société commun et consensuel. Avec davantage de place et de poids dans les prises de décision pour les femmes et surtout pour les jeunes. Des réformes allant dans le sens sont à l’heure actuelle engagées. Il faudrait en accélérer le cours et laisser la société civile s’impliquer et conduire ce mouvement.

Comment donner enfin davantage de poids au secteur privé ? Les sociétés étrangères remportent l’essentiel des gros marchés, comment pourrait-on envisager davantage de retombées pour les PME algériennes ?

Le secteur privé, malgré toutes les vicissitudes rencontrées, pèse de tout son poids en Algérie. En vingt ans, il est passé de 20 à 85% de la création de valeurs ajoutée hors-hydrocarbures. À l’exception des hydrocarbures et de l’industrie lourde (sidérurgique), ce secteur est majoritaire partout ; des barrières à l’entrée de certaines activités subsistent (banques, compagnies aériennes et médias lourds) et il n’a pas le droit d’investir à l’étranger.

Son développement peut être accéléré par quatre facteurs distincts : une volonté politique affirmée (il semblerait que ce soit le cas) ; un environnement des affaires plus apte à une économie ouverte et concurrentielle ; un système financier plus souple ; un accès plus facile à la dépense publique.

Les sociétés étrangères sont maintenant dans l’obligation de s’associer à des partenaires locaux pour bénéficier de marchés publics, avec une préférence nationale accordée dans le domaine des prix qui autorise les sociétés locales à disposer de contrats publics avec une marge préférentielle de 25%.

La faiblesse des IDE vous inquiète-t-elle ? Comment y remédier ?

La faiblesse des IDE est préoccupante, encore qu’un sursaut significatif de leur montant s’est manifesté lors du premier semestre de 2011. Nous attendions de ces IDE une meilleure intégration à l’économie internationale.

Globalement, l’organisation de notre système économique aurait été tirée vers le haut et il était surtout attendu un transfert de savoir faire et une amélioration de la qualité du management. L’accroissement des IDE repose sur plusieurs facteurs dont une très grande amélioration de l’environnement des affaires.

Peut-on réformer l’économie algérienne sans passer par une « révolution » à la tunisienne ou l’égyptienne ?

Pour l’instant, le peuple algérien veut faire l’économie d’une révolution par définition violente, en constituant un vaste processus de reformes politiques. Fatigué et excédé par tout ce qu’il a enduré ces vingt dernières années, le peuple algérien veut dans l’ensemble faire confiance aux autorités de ce pays pour engager les réformes de structure correspondant aux attentes de la population. Cela ne signifie pas, pour autant, un chèque en blanc donné sans contreparties. L’attente a des limites que le gouvernement, semble-t-il, a bien compris.

note * : Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (ANSEJ), Caisse nationale d’assurance chômage (CNAC) et Dispositif d’aide à l’insertion professionnelle (DAIP).

_________

Le FCE en chiffres

Officiellement, le FCE compte 250 membres représentant 512 sociétés qui réalisent 671 milliards de dinars de chiffre d’affaires (6,5 milliards d’euros) et emploient 87 000 personnes. Selon les opposants à la direction actuelle, le FCE a perdu 10% de ses effectifs en deux ans, passant sous la barre des 200 membres. J.M.M.


L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires