Togo : quand l’Église s’invite dans le débat politique
La « lettre pastorale » publiée par les évêques de l’église catholique à l’occasion de la célébration du 56e anniversaire de l’indépendance du Togo, le 27 avril, anime le débat politique dans le pays. Il faut dire qu’entre l’Église et l’État, les relations sont loin d’être au beau fixe.
« Soyons responsables dans la justice et la vérité ». Le titre de la lettre pastorale adressée le 26 avril dernier à tous les Togolais par les évêques est évocateur. Si le catholicisme n’est pas la religion la plus populaire au Togo, avec un peu plus de deux millions de pratiquants, l’influence morale des prélats reste importante en raison des liens historiques entre l’Église et l’État. Les paroles de l’hymne national « Terre de nos aïeux » ont par exemple été écrites par Feu Mgr Robert Casimir Dosseh, premier archevêque togolais. En mai 2015, le pape François conviait les évêques togolais, à l’occasion de leur visite au Vatican, « à continuer à faire en sorte que l’Église prenne la place qui lui revient dans le processus de réformes institutionnelles en cours ». Message reçu cinq sur cinq.
Que dit cette lettre pastorale aux Togolais ?
La lettre pastorale publiée à l’occasion du 56e anniversaire de l’indépendance est un véritable réquisitoire adressé à l’ensemble des Togolais. « Le Togo semble être tombé brusquement, suite à l’élection présidentielle d’avril 2015, dans une surprenante léthargie comme si les grandes revendications et promesses de réformes n’avaient d’intérêt que pour les campagnes électorales », fustigent les évêques. Ils pointent notamment « les questions internes de justice, de réformes institutionnelles, de décentralisation, de consolidation de la démocratie, de gouvernance et de l’État de droit ».
Analysant le chemin parcouru depuis l’ouverture du pays au multipartisme intégral en 1991, les évêques estiment que « vingt-cinq ans après cet appel à un sursaut historique, il est aisé pour chaque citoyen de mesurer là où nous en sommes. Malgré quelques avancées, nous semblons toujours piétiner ». Les prélats recommandent que les élections locales « soient conduites avec diligence et de manière participative ».
Peu de réactions officielles
Chose surprenante, même si elle est abondamment commentée par la presse locale et même internationale, la lettre pastorale des évêques togolais ne suscite aucune réaction particulière de la part du gouvernement et même de l’opposition. « Il est clair que le message des évêques égratigne l’ensemble de la classe politique, la société civile et même les citoyens ce qui rend difficile la critique », remarque Christian Barrigah, journaliste à Radio Maria Togo.
Dans les allées du pouvoir, certaines personnalités estiment que « les prélats sont dans leurs rôles », sans plus de détail. La réaction la plus explicite vient de l’opposant Aimé Gogue, candidat malheureux à la présidentielle de 2015. « Je trouve que cette lettre sort de l’ordinaire et est très osée par rapport aux documents que nos prélats ont l’habitude de nous servir », a indiqué le député, souhaitant que « musulmans, pentecôtistes, ou animistes » puissent prendre le temps nécessaire pour la lire.
Église-État : des rapports parfois houleux depuis 40 ans
Les relations entre l’église et l’Etat ont été tumultueuses au Togo. Le premier conflit entre les deux institutions remonte au 2 mai 1976, il y a exactement quarante ans. L’ordination de Mgr Philippe Kpodzro comme évêque est alors émaillée de violences. Selon le récit des témoins de la scène, des militaires font irruption dans l’église où se tient le sacre pour l’empêcher par la force. Bilan : des dizaines de blessés parmi la foule des fidèles. L’ordination a finalement pu se tenir, mais le nouvel évêque passera près de cinq années en « exil » à Lomé avant de rejoindre son diocèse suite à l’intervention du Pape Paul VI.
Il y a ensuite l’épisode de la conférence nationale, en 1991, avec la séquestration par les militaires des membres du Parlement de transition que présidait Mgr Philippe Kpodzro. Le même prélat s’est fortement impliqué dans le processus électoral au lendemain du décès du président Eyadema. En avril 2005, il sera à la tête d’une marche silencieuse organisée par l’ordre des avocats et les principales églises chrétiennes pour réclamer « la paix au Togo ».
Sous Faure Gnassingbé, les relations entre l’Église et l’État se sont apaisées. C’est notamment à un prélat catholique qu’est revenu le privilège de présider la Commission Vérité-Justice-Réconciliation instituée en 2009. Le Pape François a reçu en audience le président togolais, le 28 janvier dernier, au Palais apostolique. « Prenant acte de la qualité de leurs relations dans la perspective de les renforcer, les parties se sont penchées sur la participation des catholiques au progrès du pays comme du peuple togolais dans son ensemble, notamment en matière d’enseignement », avait alors indiqué le Vatican dans un communiqué.
Mgr Philippe Kpodzro, figure incontournable de l’église catholique togolaise
On connaît les circonstances dramatiques de son ordination comme évêque d’Atakpamé en 1976. Désigné pour représenter les évêques du Togo à la Conférence nationale de 1991, il a été élu président du présidium de ces assises qui ont notamment ouvert le Togo au multipartisme. Son discours le 15 juillet 1991 à l’ouverture de la Conférence est resté célèbre. Citant Mirabeau en 1789, Mgr Kpodzro avait dit : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Il sera séquestré en compagnie d’autres figures de l’opposition du 22 au 23 octobre 1992 par des hommes se réclamant de l’armée.
À ceux qui l’accusent d’être passionné par la politique, le désormais archevêque émérite de Lomé a répondu lors d’un discours prononcé après sa séquestration en 1992 : « Pour ma part, en tant qu’homme d’Église sollicité par la nation togolaise pour présider d’abord la Conférence nationale souveraine et ensuite le Haut conseil de la République, je ne suis animé d’aucune ambition politique et je n’ai d’autres préoccupations que de contribuer à conduire à bon port et dans la paix notre processus démocratique ».
Le retraité de 86 ans a lancé il y a quelques jours un appel aux décideurs pour un amendement à l’hymne national. Il propose qu’au lieu de « Vainquons ou mourons, mais dans la dignité », adapté au contexte pré-indépendance, on dise désormais « vainquons et vivons dans la dignité ». Sera-t-il entendu ?
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