Le Sénégal reprend des couleurs

Après deux années noires, 2010 devrait voir le déficit reculer, la croissance revenir et les indicateurs repasser au vert. Dakar semble de nouveau sur la voie de la prospérité. À quelques incertitudes près.

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 17 juin 2010 Lecture : 5 minutes.

Se rendre de nuit dans le centre-ville de Dakar depuis l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor constitue un émerveillement pour celui qui n’a pas mis les pieds au Sénégal depuis plusieurs années : une quatre-voies illuminée remplace une corniche chaotique et embouteillée, signe que le pays change. Ceci malgré deux années marquées par les crises – énergétique, financière et alimentaire – qui ont fait s’effondrer toutes les prévisions : 2008 et 2009 ont respectivement vu la croissance du PIB plafonner à 2,5 % et 1,5 % (contre 4,8 % en 2007). Des comptes plombés par les importations de matières premières, non seulement plus chères mais en outre subventionnées par l’Etat, et un remboursement des entreprises privées qui se fait désirer, ont fini d’achever l’une des locomotives de la région. Cinq places perdues au classement Doing Business 2010 plus tard (152e sur 183 économies classées par la Banque mondiale), le pays entrevoit enfin le bout du tunnel.

C’est en tout cas ce qui ressort du livre IV (bilan macroéconomique) du Fonds monétaire international (FMI). Le taux de croissance devrait se situer autour de 3,4 % en 2010 (2,1 % constatés au premier semestre par la Direction des prévisions et des études économiques, DPEE) et à 4,1 % dès 2011.  « Si le gouvernement accomplit toutes les réformes prévues, la croissance pourrait atteindre 5 à 6 % après l’échéance électorale » de 2012, estime Valeria Fichera, représentante permanente du FMI à Dakar.

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« Le gouvernement a respecté ses engagements en améliorant la gestion et la transparence des finances publiques, poursuit-elle. Mais il ne doit plus recourir aux subventions, car il s’agit d’une méthode qui n’est pas redistributive. Il n’y a pas de transfert aux ménages les plus pauvres. C’est la leçon tirée des subsides sur le carburant, qui ont profité aux plus fortunés. » En 2009, ces subventions ont représenté pas moins de 225 milliards de F CFA (343 millions d’euros).

Ces « dérapages budgétaires » passés et la dette envers le secteur privé apurée, le FMI est confiant et ne voit pas de risques majeurs se profiler. Le déficit public, passé de 4,9 % du PIB en 2008 à 8,1 % en 2009, devrait revenir à 6,9 % cette année. Au final, si le Sénégal figure parmi les moins bons élèves africains concernant sa capacité à rembourser sa dette, la stabilité de la note (BBB-) délivrée par l’agence américaine Standard & Poor’s est de nature à rassurer les investisseurs.

Ces derniers ont d’ailleurs montré leur confiance en portant les investissements privés à 1 188 milliards de F CFA pour la seule année 2009, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. « Le Sénégal doit cependant continuer à oeuvrer à la normalisation complète des relations entre l’Etat et le secteur privé », prévient le FMI dans son rapport final.

La Banque mondiale est d’ailleurs assez sévère avec Dakar, et attribue un petit 3 sur 10 pour ce qui est de la protection des investisseurs. La DPEE rapporte ainsi que 66 % des chefs d’entreprise de l’alimentaire, par exemple, soulignent « les difficultés liées à l’environnement des affaires, en particulier l’allongement des procédures de passation des marchés publics ».

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Ce contexte a peut-être contribué au recul des investissements directs étrangers (IDE) de 122 milliards de F CFA en 2008 à 98 milliards en 2009, au profit des investissements locaux : « Les Sénégalais sont les premiers investisseurs, devant les étrangers », remarque l’Agence pour la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix). Ces deux dernières années ont clairement vu la montée en puissance de nouveaux patrons sénégalais, comme Yérim Sow (BTP), Sérigne Mboup (automobile, immobilier…) ou encore Amet Amar (agroalimentaire).

Autre phénomène marquant, l’implication croissante des pays arabes et asiatiques, au détriment des investissements français, qui représentaient 90 % des IDE jusqu’en 2000, contre – encore – 50 % en 2009. Dubai Port World et Saudi Bin Ladin Group sont les percées les plus emblématiques.

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Reprise du secteur secondaire

Ceci ne saurait cacher quelques ratés. C’est le cas du tourisme, dont les ambitions peinent à se concrétiser (l’activité a encore chuté de 18,2 % en 2009 et ne représente plus que 1,5 % du PIB). « Le Sénégal a des atouts, mais pas de matières premières, estime Zhaoming Zhou, conseiller économique et commercial auprès de l’ambassade de Chine au Sénégal. Il doit orienter son économie vers les services aéroportuaires, la banque, l’assurance et le tourisme, comme Singapour, Cancun ou la Corée du Sud, avec un système très libéral afin d’attirer les investissements. » Et si les télécoms, le BTP et l’agrobusiness constituent les secteurs phares de l’économie, aucun n’a échappé au recul général.

Après dix ans de dynamisme, marqués par une croissance annuelle de 18,8 % entre 1997 et 2007, le secteur des télécommunications (7,1 % du PIB), n’a progressé que de 8 % en 2009, et ne devrait pas croître de plus de 5 % en 2010. Le marché, qui a dépassé les 7,2 millions d’abonnés et un taux de pénétration de 60 %, arrive à saturation.

Le secteur primaire continue de son côté de bénéficier de l’effet de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), avec cependant un net ralentissement de la croissance (3,1 % en 2009 contre 12,6 % en 2008). Ce coup de frein dans l’agriculture, qui devrait représenter 14 % du PIB en 2010, reste relatif, au regard de l’industrie de la transformation alimentaire, qui semble avoir pris le relais (+ 31 % contre 0,3 % en 2008). Cette performance, conjuguée à la renaissance des Industries chimiques du Sénégal (ICS, extraction de phosphate et fabrication d’acide phosphorique) et de la Société africaine de raffinage, explique en partie la timide reprise du secteur secondaire, qui a progressé de 1,8 % en 2009 (- 2,8 % en 2008). Pour sa part, le BTP (4,8 % du PIB) a marqué le pas, pourtant poussé par les grands travaux frappés du sceau du président Wade (corniche, autoroute Dakar-Diamniadio, aéroport international Blaise-Diagne) : les retards de paiement de l’Etat et la baisse des transferts en provenance des immigrés – qui ont chuté à 660 milliards de F CFA en 2009 contre 722 milliards en 2008, compte tenu de la crise de l’emploi dans les pays occidentaux – ont eu des effets directs sur l’activité de la construction.

Les bons indicateurs des premiers mois de 2010 permettent d’espérer une reprise qui reste néanmoins suspendue à quelques doutes. Le Sénégal a encore d’importants chantiers devant lui, le premier d’entre eux étant la réforme du secteur énergétique. Outre le parachèvement du holding séparant les activités de production, de transport et de distribution de la Senelec, l’Etat envisage de faire appel à la construction de centrales au charbon pour remédier aux délestages. Solution « inadéquate compte tenu de l’absence de charbon dans le pays », estime un acteur économique étranger. Autre incertitude : « Jusqu’en avril nous étions à peu près sûrs » des prévisions de conjoncture, rapporte Valeria Fichera. Mais depuis la crise grecque, les économies d’Afrique de l’Ouest se retrouvent menacées. Et l’élection présidentielle de 2012 risque d’être l’occasion de nouveaux dérapages budgétaires.

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