Rwanda : émergence d’une classe moyenne urbaine

Restauration, distribution, high-tech, loisirs… Une nouvelle classe moyenne urbaine émerge au Rwanda. Et elle ne lésine pas sur les moyens pour se faire plaisir. Stimulant l’économie mais creusant les inégalités sociales.

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 7 septembre 2011 Lecture : 3 minutes.

Patrick Knipping est un directeur heureux. Ce Belge à la chevelure grisonnante, installé au Rwanda, ancien responsable du célèbre Hôtel des Mille Collines, gère désormais le Lemigo Hotel. Depuis son ouverture, en octobre 2010, il fait le plein. Les touristes américains, hommes d’affaires ougandais ou kényans, mais aussi rwandais, se pressent dans ses restaurants, dirigés par un chef français. « La nourriture et les boissons nous rapportent presque autant que les chambres, note Patrick Knipping. Beaucoup de clients consomment en marge des conférences, mais il y en a aussi qui viennent juste pour un repas et pour découvrir l’hôtel. Les Rwandais aiment beaucoup la nouveauté ! »

Après une décennie de croissance économique soutenue, Kigali compte de plus en plus de consommateurs capables de s’offrir des repas à 10 000 francs rwandais (près de 12 euros) par personne. Les grands groupes hôteliers internationaux estiment que la tendance va s’accentuer. Radisson Blu, Marriott ou encore Hilton prévoient ainsi d’ouvrir des établissements dans la capitale rwandaise dans les prochaines années.

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Sur le mont Rebero, colline surplombant Kigali, un quartier de loisirs est en projet. Il doit accueillir un parc d’attractions, des bars, restaurants et cinémas capables d’aimanter cette classe aisée naissante.

Centres commerciaux

On la croise déjà dans les allées de l’Union Trade Center (UTC) de Kigali, scotchée à son smartphone connecté à internet. Dans ce centre commercial de 6 étages, on trouve 70 boutiques (tous les emplacements ont trouvé preneur) et un supermarché de la chaîne kényane Nakumatt, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « L’exploitation n’est pas encore rentable la nuit, concède Paul Mutunga, le directeur adjoint du magasin. Mais nous sommes en train d’y habituer les Rwandais. » Pour cette enseigne, qui pratique pourtant des prix élevés (la plupart des produits sont importés), le succès est au rendez-vous : elle prévoit déjà d’ouvrir un deuxième supermarché avec le même concept dans la future Kigali City Tower, qui se construit à deux pas.

Assurances

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« Il y a les entrepreneurs, les fonctionnaires de l’État, les employés des grandes entreprises… On voit vraiment une classe moyenne se dessiner », remarque Charles Mporanyi. Le président du groupe d’assurances Soras est bien placé pour observer la tendance. Flairant l’émergence de cette demande solvable, il a lancé les premiers contrats d’assurance maladie privée en 2006. « C’est ce type de produit qui connaît la croissance la plus forte. Il est déjà en deuxième position derrière les assurances automobiles ! » s’étonne-t-il.

Ce succès est d’autant plus significatif que le pays dispose en parallèle d’assurances maladie publiques très bon marché : les mutuelles de santé. Avec des cotisations de 1 000 francs rwandais par personne et par an, elles couvraient 90 % de la population fin 2010, selon les chiffres du gouvernement. L’immense majorité des Rwandais a donc maintenant accès aux hôpitaux, qui seront à terme installés dans chacun des trente districts du pays. Mais le système est entré dans une nouvelle phase : les cotisations doivent augmenter pour atteindre 3 000 à 7 000 francs rwandais, en fonction des revenus, tandis que la gratuité est instaurée pour les ménages les plus modestes. Ces derniers bénéficient aussi sans frais de l’école primaire obligatoire.

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Pauvreté persistante

Pour l’instant, cette ébauche de protection sociale n’est pas parvenue à effacer le point noir du modèle de développement rwandais : la pauvreté, qui reste le lot commun de ses habitants, en particulier dans les campagnes. « Selon les dernières données que nous avons, 56,9 % de la population vivait encore en dessous du seuil de pauvreté en 2006 », indique Nicolas Schmids, économiste au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) à Kigali.

Dans ce domaine, le Rwanda a redressé la barre par rapport aux statistiques catastrophiques de l’après-génocide (elles étaient alors les pires au monde). Mais il n’a pas encore retrouvé le niveau qui était le sien à la fin des années 1980. « Avec les efforts du gouvernement, on s’attend à une amélioration lors de la prochaine enquête, anticipe Nicolas Schmids. Mais on sait déjà que les Objectifs du millénaire pour le développement ne seront pas atteints sur ce point en 2015. »

Entre une classe aisée qui émerge et entre de plain-pied dans la société de consommation, et la majorité de la population qui en reste en marge, le fossé n’est pas encore près de se refermer.

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