La question des réfugiés syriens en Europe, ultime exemple du naufrage des relations Euromed

La Méditerranée va mal. Elle est le miroir du malaise de ses deux rives.

Des réfugiés syriens à la frontière avec la Jordanie, le 4 mai 2016. © Raad Adayleh/AP/SIPA

Des réfugiés syriens à la frontière avec la Jordanie, le 4 mai 2016. © Raad Adayleh/AP/SIPA

BOUSSOIS PRO 2 (1)
  • Sébastien Boussois

    Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).

Publié le 10 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

Au Sud, la précarité économique a déclenché les « Révoltes arabes », en même temps que les révoltes pour le pouvoir d’achat en Espagne, en Italie ou au Portugal. Faut-il y voir le signe d’un destin commun pour tous les voisins de la Méditerranée ? Dans les pays arabes, les révolutions ont aussi fait resurgir des tensions internes, historiques, souvent étouffées sous l’autoritarisme, et elles ont mis en accusation les soutiens politiques fournis par les États européens à nombre de régimes forts renversés.

Mis en œuvre il y a 20 ans, le processus de Barcelone n’est pas parvenu à une harmonisation politique de la région. Dépourvues d’un soutien occidental pertinent, les révoltes lui ont donné le coup de grâce. La politique de l’arrosage financier ne peut suffire à compenser un manque de vision claire des relations euro-arabes à l’heure où l’hétérogénéité des régimes politiques au Sud, situés à des stades différents de leur transition politique, a conduit à un enlisement des réformes et à l’accentuation de l’obsession sécuritaire de la rive nord de la Méditerranée. La peur l’a emporté sur le dialogue et achève de faire de la « Mare Nostrum » une frontière hermétique plutôt que l’espace annoncé de circulation humaine.

le déversement de capitaux qui vise à faire du Sud un caisson d’étanchéité sécuritaire n’aboutit qu’à renforcer sa dépendance au Nord

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En Europe, la perception du monde arabe s’est constituée dès le XVIIIe siècle sur une vision romantique de l’Orient, germe des incompréhensions futures. Au XXe siècle, la construction européenne va renforcer une vision Nord-Sud de domination et de supériorité. Le mouvement est double : fascination/répulsion, attirance/rejet, création de la dépendance/soumission, néocolonialisme financier/acceptation. La zone Sud de la Méditerranée doit d’abord résoudre ses propres difficultés avant de verser dans son tropisme européen constant et pavlovien. Au-delà de l’aide financière de l’UE à la zone Maghreb – Moyen-Orient, il s’agit de bâtir la confiance et de ne pas rejeter certains pays au prétexte caché que l’islam fait peur. Plus inacceptable encore, le déversement de capitaux qui vise à faire du Sud un caisson d’étanchéité sécuritaire n’aboutit qu’à renforcer sa dépendance au Nord.

Le Sud doit bâtir une véritable stratégie interne globale en matière politique et économique, mais aussi un nouveau modèle de société qui entérine les acquis des révolutions. Seul le rééquilibrage des perceptions peut permettre une re-dynamisation gagnant-gagnant du partenariat Euromed afin que l’Europe conjure ses craintes et que le Sud retrouve l’estime de lui-même.

la Méditerranée doit redevenir un espace de vie et de circulation, et non le cimetière des rêves de millions de Subsahariens ou de victimes des guerres tragiques du Moyen-Orient

La tragédie des réfugié, noyés à proximité des côtes européennes, marque l’apogée de cette incompréhension et de cette déshumanisation de la relation Nord-Sud. Deux mythes la sous-tendent : le Sud est un danger et le Nord, un eldorado. Il est temps pour l’Europe et le monde, face au drame humain que vivent des millions d’hommes du Sud pour gagner cette illusion du Nord, de refonder la politique euro-arabe du XXIe siècle : la Méditerranée doit redevenir un espace de vie et de circulation, et non le cimetière des rêves de millions de Subsahariens ou de victimes des guerres tragiques du Moyen-Orient.

Mais 120 000 Syriens représentent-ils un véritable danger d’invasion pour une population européenne de près de 500 millions en 2015 ? Ces Syriens ont été médecins, avocats, commerçants, artisans, ouvriers mais l’émotion populaire voit déjà en eux des centaines de milliers d’assistés. L’image du petit Aylan mort bouleverse le monde, mais les Européens renâclent à accueillir 10 % des réfugiés syriens quand la Turquie, le Liban, la Jordanie et l’Égypte accueillent les 90 % restant avec des ressources très inférieures.

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Avant que la « Mare nostrum » ne devienne rouge sang, les pays arabes doivent promettre un avenir à leurs citoyens, accélérer leur transition démocratique, achever des processus révolutionnaires qui prendront encore beaucoup de temps, et renvoyer l’Occident à ses failles pour traiter d’égal à égal. Un homme est un homme du Nord au Sud et, si près des trois quarts des habitants du Sud ont moins de 25 ans, au Nord, c’est l’inverse. La nature est parfaite, paraît-il, et équilibre toujours les choses, pourvu que l’on n’agisse pas en permanence contre nature et à contre-courant.

Pour en savoir plus, découvrir le dernier essai de Sébastien Boussois : Homère, réveille-toi… Ils sont devenus fous !

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