Kassoum Fadika : « Il faut créer un Total africain »
À 48 ans, le directeur général de Petroci poursuit le développement du groupe ivoirien, qu’il dirige depuis 2005, et milite pour une réelle coopération entre les compagnies pétrolières du continent.
Kassoum Fadika : Le chiffre d’affaires devrait s’élever à 189 milliards de F CFA [288 millions d’euros, NDLR] pour un résultat net de 30 milliards environ. En trois ans, l’activité a été multipliée par trois. Les bénéfices sont réinvestis. Nous recrutons de plus en plus de jeunes cadres, envoyés en fin de formation dans les majors ou les écoles renommées. Notre effectif dépasse 500 personnes, deux fois plus qu’en 2005.
L’exploration représente plus de la moitié de notre budget annuel d’investissement : 75 milliards de F CFA en 2010. C’est une priorité. Pour grandir, il faut faire des découvertes et les exploiter. Mais un forage coûte en moyenne 60 millions de dollars. Nous n’avons pas de subventions. Nous y allons donc doucement, avec nos moyens et les financements extérieurs que nous arrivons à négocier. Sans rien nous interdire, comme l’acquisition de champs marginaux dans les pays voisins : Nigeria, Guinée équatoriale et Ghana.
De 18,5 millions de tonnes en 2009, la production nationale augmentera-t-elle en 2010 ?
Elle sera à peu près identique, avec environ 50 000 barils par jour (b/j). Pour atteindre 150 000 b/j [capacité réelle du pays, NDLR], il faudra découvrir de nouvelles réserves d’au moins 300 millions de barils récupérables. Nous avons autour de 300 millions de b/j de réserves d’huile et environ 1 300 milliards de pieds cubes de gaz. Mais nous estimons le potentiel pétrolier de la Côte d’Ivoire à 16 ou 19 milliards de barils, dont 30 % à 40 % seraient récupérables.
Vanco, Tullow Oil, Lukoil… Onze compagnies sont présentes en Côte d’Ivoire. Comptez-vous attribuer d’autres permis ?
Sur les 32 permis existants, 19 ont été attribués, 4 sont en production, le reste en exploration. Nous avons réalisé des études sismiques en 2D dans l’offshore profond. Nous attendons des résultats complémentaires pour septembre. Dans la foulée, nous proposerons de nouveaux permis au large des blocs actuels, à plus de 3 000 m de profondeur.
Le déclin de la production gazière de vos deux champs principaux [CI 26 et CI 27] vous inquiète-t-il ?
Ces deux gisements sont en déclin, mais le CI 40 est en forte progression. Notre production n’a finalement baissé que de 0,45 % en 2009, à 1,9 milliard de m3. Notre partenaire Foxtrot [groupe Bouygues, NDLR] vient de confirmer une nouvelle structure de gaz et une découverte de pétrole sur le même permis. Cela devrait nous permettre de garantir les approvisionnements au secteur électrique.
Pourquoi révisez-vous le prix du gaz avec vos partenaires Foxtrot, CNR et Afren ?
Le gouvernement a demandé cette révision passagère afin de réduire le déficit du secteur électrique et dégager les moyens nécessaires pour fiabiliser le réseau. Les négociations sont en bonne voie. Il est préférable de s’entendre pour ne pas contraindre les autorités à prendre une décision de réquisition préjudiciable aux acteurs concernés.
À quand le nouveau code pétrolier ?
Nous allons passer d’opérations de gré à gré à des appels d’offres internationaux. Ce qui répond aux préoccupations en matière de transparence.
Le gouvernement doit valider le nouveau code [et le faire adopter avant septembre, NDLR]. Tout a été redéfini : le contrôle des opérations, la part de Petroci et de l’État dans les contrats de partage, le montant des investissements des opérateurs, leur contribution à la valorisation des compétences locales, au développement des zones de production, les budgets sociaux et la formation… Le nouveau cadre va aussi modifier la manière d’attribuer les blocs.
Est-ce un moyen d’augmenter les revenus de l’État et de Petroci ?
C’est trop tôt pour le dire, mais il est sûr que nous souhaitons améliorer nos revenus. Dans le pétrole, l’État et Petroci perçoivent en moyenne 20 % du total des revenus. Pour le gaz, nous avons investi beaucoup plus et le pays s’engage à acheter toute la production – nous avons 57 % des revenus. Les nouveaux contrats prendront notamment en compte l’évolution des cours pour ne pas avoir à les réviser régulièrement.
Houphouët-Boigny avait imaginé une filière pétrolière dont les activités étaient réparties entre plusieurs sociétés. Pourquoi Petroci veut-il tout assurer ?
On dit que Petroci remet en cause le schéma initial. C’est faux. L’objectif était de créer les conditions d’une filière intégrée autour d’un holding central. L’essor de la production depuis les années 2000 nous permet aujourd’hui d’être très ambitieux pour couvrir tous les segments de la filière. Nous voulons grandir en nous inspirant de plusieurs modèles : Petrobras au Brésil, Sonatrach en Algérie et Petronas en Malaisie.
Quels sont vos projets de développement ?
Nous voulons construire une raffinerie, car la tendance va au déplacement des unités de raffinage des pays développés vers les zones d’exploitation, particulièrement le Moyen-Orient et l’Asie, et il n’y a pas de raison que l’Afrique n’en profite pas : le golfe de Guinée produit environ 5 millions de b/j, et chaque année la zone importe 30 millions de tonnes de produits raffinés.
Il y a aussi un projet de pipeline gazier, allant de la Côte d’Ivoire au Ghana, dont les études débuteront cette année. Nos revenus proviennent à près de 60 % de la production de brut. À terme, nous voulons accroître la part des autres activités. Tous ces projets s’étaleront sur une dizaine d’années et, comme je vous l’ai dit, nous sommes à la recherche de concours financiers extérieurs.
Et la Société ivoirienne de raffinage ?
Elle ne disparaîtra pas. Elle est victime de son âge et d’un manque de flexibilité. Il y a des investissements à faire et une réflexion à mener avec l’État et tous les actionnaires, dont Petroci, pour assurer sa pérennité. La SIR est passée de la fourniture du marché intérieur à l’exportation des deux tiers de sa production. Cette transition n’est pas remise en cause. L’outil reste viable.
Vous venez d’investir au Congo aux côtés de la SNPC. Les compagnies africaines ont-elles vocation à coopérer ?
Elles y ont intérêt pour échanger leurs savoir-faire, réduire leurs coûts, partager les risques en Afrique et ailleurs. Nous pourrions nous regrouper pour créer un Total africain. Plus personne ne parlerait alors de l’inégale répartition des revenus du pétrole. Nous pourrions gérer ensemble les ressources, faire les investissements nécessaires et s’épargner les problèmes frontaliers qui minent les relations entre États.
Cela préfigure-t-il des bras de fer avec les majors, comme en Amérique du Sud ?
Nos économies sont trop ouvertes et trop fragiles pour se permettre des combats inutiles et coûteux. C’est justement pour éviter un bras de fer que nous devons avoir cette réflexion avec le Ghana, le Nigeria, l’Angola, la Guinée équatoriale. On a besoin de soutien politique pour y arriver. C’est un peu le modèle d’Air Afrique.
Est-ce vraiment le bon exemple ?
Ce n’est pas le modèle qui est en cause mais son application. Le modèle Air Afrique était bon. Aujourd’hui, à part Oando au Nigeria, les Africains n’exploitent pas leurs hydrocarbures. Nous ne sommes que de simples « receveurs de royalties », cela n’est pas suffisant. Il faut que ça change. C’est mon rêve.
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