Jean-Paul Sikeli (Copagen) : « Les OGM ne profiteront qu’à une minorité oligarchique »

Basé à Abidjan, Jean-Paul Sikeli est le secrétaire exécutif de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen), un réseau d’associations, d’organisations non gouvernementales et de syndicats ouest-africains qui défendent une utilisation durable des ressources biologiques africaines et qui s’opposent à l’introduction des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans la sous-région. De passage à Ouagadougou, où il a participé aux « Rencontres internationales des résistances aux OGM » les 22, 23 et 24 avril, il en explique les raisons.

Un des risques des OGM (ici un plant de pommes de terre) ? Le risque de générer des « paysans sans terre ».

Un des risques des OGM (ici un plant de pommes de terre) ? Le risque de générer des « paysans sans terre ».

Publié le 12 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

Bon Thiahoun, un producteur de coton OGM du village de Pê (Houndé, dans le sud-ouest du Burkina), au milieu de la récolte de l’année dernière. © THÉO RENAUT POUR J.A.
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Poison à retardement ou solution miracle au défi alimentaire ? Peu à peu, le continent succombe aux promesses des organismes génétiquement modifiés. Le résultat d’une bataille silencieuse, menée lentement mais sûrement depuis bientôt vingt ans. Et ce malgré un échec retentissant au Burkina Faso.

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Jeune Afrique : De nombreux spécialistes estiment que les OGM ne sont pas adaptés à l’agriculture africaine. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Paul Sikeli : Je suis de leur avis, et ce pour diverses raisons. Il est bon de savoir que 70% de la production agricole mondiale est assurée par les petits exploitants familiaux. En Afrique, ces derniers cultivent généralement sur de petites parcelles en associant plusieurs cultures à la fois et en intégrant l’élevage à l’agriculture, ce qui est très avantageux pour l’environnement, la biodiversité et les sols. Plusieurs études ont révélé que les exploitations familiales agricoles qui privilégient les approches basées sur l’agro-écologie sont plus performantes que l’agriculture industrielle. Ces exploitations familiales sont pourvoyeuses d’emplois, entretiennent les sols et contribuent à la préservation des ressources de la biodiversité. Elles reposent sur des approches qui valorisent les savoirs paysans, lesquels tiennent compte de la complexité des écosystèmes.

La culture des OGM s’accompagne d’une généralisation des monocultures

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La culture des OGM emprunte une voie diamétralement opposée car elle s’accompagne d’une généralisation des monocultures sur de vastes portions de terre. Le phénomène amplifiera donc la concentration des terres agricoles entre les mains des plus riches au détriment des plus pauvres, avec le risque de générer des « paysans sans terre » ou de faire d’eux de simples ouvriers agricoles.

Les OGM ont-ils un impact négatif sur la biodiversité ?

L’impact négatif le plus évident, c’est la réduction de la biodiversité avec la généralisation des monocultures qui vont de pair avec les cultures transgéniques. La culture des OGM entraîne une érosion et une réduction de la base génétique avec des déséquilibres écosystémiques. Or, dans la nature, les éléments de la biodiversité sont comme des chaînons qui s’emboîtent harmonieusement les uns dans les autres. La disparition d’un seul élément de ce chaînage peut conduire à des catastrophes.

Sous l’effet de la pollinisation, les OGM ont aussi la capacité de coloniser d’autres plantes. Les gènes modifiés, une fois libérés dans la nature, vont se croiser avec des gènes d’une autre nature avec le risque d’induire des effets inattendus sur l’environnement et la biodiversité.

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Les sols n’échappent pas à la pollution génétique. Au Burkina Faso, si les impacts du coton sur le sol n’ont pas encore été mesurés, certains paysans ont néanmoins constaté qu’habituellement, après les récoltes, les termites s’attaquent aux tiges sèches des cotonniers. Dans le cas du coton Bt, ces tiges repoussent systématiquement les termites. Il faut donc craindre le pire.

Pourquoi adopter une technologie agricole qui ne profite nullement aux États africains et encore moins à leurs populations ?

Les OGM pourraient-ils permettre de mieux lutter contre l’insécurité alimentaire ?

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Les OGM n’ont pas été mis au point pour lutter contre l’insécurité alimentaire en Afrique et dans le monde. Ils sont plutôt au service des intérêts mercantiles des grandes firmes biotechnologiques et agricoles. Certains OGM ont été conçus pour lutter contre l’avitaminose, c’est-à-dire la carence en certaines vitamines, dit-on. Ce serait le cas du fameux riz doré (Golden Rice) enrichi en beta carotène. Cette expérience a été un échec, dans la mesure où l’on estime que pour avoir la dose de vitamine requise pour combattre la carence en vitamine A, il faut consommer 3 à 4 kilos de riz par jour…

Un autre argument avancé par l’industrie est que les OGM permettent d’améliorer les revenus des producteurs africains…

Prenons l’exemple du Burkina Faso, qui est en Afrique de l’Ouest le premier pays à avoir accepté l’expérimentation des OGM. L’introduction du coton Bt dans ce pays s’est faite à coups de publicités qui reposaient sur la rhétorique de l’amélioration des revenus des producteurs. Finalement, on s’est rendu compte que c’était une vaste escroquerie, puisque tous les avantages qu’on a fait miroiter aux paysans n’étaient que de la chimère. Non seulement les rendements ont été faibles mais la fibre est de mauvaise qualité. C’est d’ailleurs ce constat d’échec qui a poussé le pays à abandonner cette spéculation.

La question qui mérite d’être posée à présent, est la suivante : pourquoi adopter une technologie agricole qui ne profite nullement aux États africains et encore moins à leurs populations ? Qui a donc intérêt à ce que les cultures transgéniques essaiment en Afrique ?

En fait, dans nos pays, les OGM ne profiteront qu’à une minorité oligarchique qui se partagera les dividendes avec les multinationales, sur le dos des pauvres paysans.

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