Afrique du Sud : plus raciste, tu meurs…

Dans une conversation qui se voulait « off », la magistrate sud-africaine Mabel Jansen suggérait que le viol faisait partie de la « culture » noire. Internet et les politiciens se sont emparés de ses propos, dans un pays où subsistent de fortes tensions raciales héritées de l’apartheid.

L’œil de Glez. © Glez / J.A.

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Publié le 13 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

Lorsque Nelson Mandela aimait se dire leader d’une nation « Arc-en-ciel », il n’ambitionnait guère un record de déclinaisons du spectre lumineux sur les épidermes, mais plutôt un modèle aussi rare qu’exemplaire de cohabitation entre des couleurs de peaux largement constitutives de communautés. Raté ? Depuis le départ du pouvoir de Madiba, l’actualité sud-africaine montre que l’entente cordiale ne va pas de soi. En février dernier, se déroulaient encore de violents affrontements entre Blancs et Noirs, sur les campus de Pretoria et Bloemfontain. Qui blâmer, quand les autorités morales alimentent elles-mêmes les clichés sur les groupes de populations ?…

Mabel Jansen, juge à la Haute Cour de la capitale sud-africaine, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère, même si elle se cache derrière le registre de la discussion privée, « forcément » négligente et trahie par une captation inappropriée. Les propos de la magistrate seraient passés inaperçus s’ils n’avaient contenu que des lieux communs éculés, comme la consommation, par les personnes de couleurs, de fruits jaunes censément prisés des espèces simiesques ou comme la démesure supposée des appareils génitaux – rumeurs que certaines communautés aimeraient sans doute voir courir sur leur compte.

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Enquête pour atteinte au code de déontologie

C’est l’utilisation abusive de ces instruments intimes, par la communauté noire sud-africaine, qui préoccupe la juge : « Dans leur culture, une femme est là pour leur donner du plaisir. Point final. C’est vu comme un droit absolu et le consentement d’une femme n’est pas requis ». Diantre ! Ne s’agirait-il pas là d’un sous-entendu tendant à affirmer que le viol fait partie de la « culture » noire ? Les propos dépassent le stade du sous-entendu : « Je n’ai pas encore rencontré de jeune fille noire qui n’a pas été violée à 12 ans ».

Les abus sexuels en question flirteraient même volontiers, selon elle, avec la pédophilie

Les abus sexuels en question flirteraient même volontiers, selon elle, avec la pédophilie : « Pour les gangs, violer des bébés, des fillettes et des mamans, c’est passer du bon temps. » Du bon temps, Mabel Jansen en passe moins, depuis le tollé provoqué par la diffusion de ses propos relativement anciens (une conversation d’il y a plusieurs mois entre la magistrate et une militante anti-raciste). La Commission de la magistrature a annoncé l’ouverture d’une enquête pour atteinte au code de déontologie.

Racialisation d’un phénomène réel

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Bien sûr, une enquête de l’ONU indique que le pays de Jacob Zuma – majoritairement peuplé de personnes noires de peau – aurait le plus fort taux mondial de viol par habitant. En 2009, plus de 25 % des Sud-Africains interrogés par le Conseil de recherche médicale d’Afrique du Sud admettaient avoir déjà violé quelqu’un, voire plusieurs personnes. Et une association qui intervient dans le domaine des violences faites aux femmes aime dire qu’une Sud-Africaine aurait plus de chance d’être violée que d’apprendre à lire. Personne ne demande donc aux personnes en charge de la justice d’occulter le phénomène.

Pourtant, en racialisant des statistiques approximatives, Mabel Jansen démontre sa capacité plus que relative à juger des affaires de viol de manière impartiale. Pour le président de l’association des avocats noirs, Lutendo Sigogo, cette magistrate ne peut exercer sa profession, puisqu’elle laisse penser que « tous les hommes noirs sont des violeurs ». Quand considérera-t-on, au cas par cas, un violeur indépendamment de sa couleur ? Quand un avocat cessera-t-il de se présenter comme un « avocat de telle couleur » ?

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