Un tweet vaut mille grenades

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 16 février 2015 Lecture : 3 minutes.

Depuis la grande houle des printemps arabes, il y a quatre ans, tout observateur des secousses telluriques qui font frémir la planète se doit de prendre en compte le rôle décisif des réseaux sociaux. De Kiev à Hong Kong, de Ouaga à Athènes, ces formidables amplificateurs d’impact que sont Facebook et Twitter sont devenus des composants à part entière des contestations et des armes redoutables entre les mains des opposants. Particulièrement en Afrique et particulièrement dans des pays qui, comme le Burkina hier ou les deux Congos aujourd’hui, font face à la question clivante des changements de Constitution, les pouvoirs en place sont totalement pris de court par ces "révolutions 2.0" dont ils ne maîtrisent ni les techniques ni les antidotes, au point de laisser à l’autre camp le quasi-monopole du champ numérique et de son exploitation – souvent ravageuse – sur le plan international.

Aux tracts d’autrefois se sont substitués tweets et SMS, mille fois plus efficaces pour mobiliser des foules sur lesquelles il est devenu impossible de tirer autre chose que des balles en caoutchouc sans risquer la Cour pénale internationale. Partagée à l’infini, l’image d’une victime ensanglantée de la répression réduit à néant la plus sophistiquée (et la plus onéreuse) des campagnes de lobbying. Des petits malins l’ont très vite compris : aux régimes démunis devant cet adversaire multiforme, des cabinets français, israéliens ou américains proposent des contrats sous forme de kits censés les aider à contrer les assauts du "darknet". Factures pimentées, résultats non garantis. Méchants pouvoirs contre gentils opposants geeks ? Voire.

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Le monde de la Toile et des réseaux sociaux n’est pas celui des Bisounours. Les leaders d’opinion masqués qui font descendre dans les rues de Kinshasa ou de Brazzaville des jeunes de plus en plus jeunes multiplient les leurres, les avatars, les pseudos et les faux profils. Aux côtés de protestataires sincères excédés par l’arrogance des puissants se glissent des manipulateurs qui n’hésitent pas à payer des émeutiers (lors de l’insurrection ouagalaise) ou à inonder le Net d’images chocs truquées. À Kinshasa, en janvier, on a recyclé des bribes de vidéos captées au Burkina trois mois plus tôt, ou lors de l’explosion de la poudrière de Mpila en 2012, en les présentant comme actuelles. Tous les prétextes sont bons, aussi.

Chaque internaute est une source potentielle d’information, mais aussi de diffamation et d’intoxication.

Le soir de la défaite des Diables rouges du Congo contre la RD Congo, il y a deux semaines, les gamins munis de pierres et de bidons d’essence lâchés dans les rues des quartiers de Brazza avaient reçu des SMS leur enjoignant de "casser du Zaïrois", mais aussi de piller les supermarchés chinois, de caillasser les véhicules de passage et d’incendier les permanences du parti au pouvoir – ce qu’ils se sont empressés de faire. Tapis dans l’ombre : des tireurs de ficelles nichés parfois au coeur du système et prêts à se battre jusqu’au dernier de leurs compatriotes pour accéder à la table du banquet. L’arme des réseaux sociaux est à double tranchant. Catalyseurs de causes justes mais aussi incubateurs de ce que l’humanité contient de pire, ils permettent trop souvent à ceux qui les manipulent contre les gouvernements en place d’occulter leur absence abyssale de projet politique, de vision et de réflexion.

Le tweet retweeté comme autant de grenades dégoupillées tient lieu de programme, le choc des invectives remplace celui des idées. Dans des sociétés gangrenées par la culture de la violence – ce qui est bien souvent le cas en Afrique centrale -, chaque internaute est une source potentielle d’information, mais aussi de diffamation et d’intoxication. Piégés par leur archaïsme et leur incapacité à communiquer, des pouvoirs autistes en sont dès lors réduits à retrouver leurs réflexes de censeurs en bloquant l’accès à la Toile et aux messages textes, ce qui équivaut à remplacer un mal par un excès sans voir que le vrai problème, qui relève de leur responsabilité, est ailleurs : dans le placage de ce formidable accélérateur d’action et de communication que sont les réseaux sociaux sur une population d’utilisateurs vulnérables et malléables, produit des carences – quand ce n’est pas de l’absence – de politiques d’éducation dignes de ce nom.

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