Photographie : Pieter Hugo enfin chez lui

Connu pour ses photos de troubadours nigérians accompagnés de hyènes, l’artiste sud-africain expose à Paris une série d’images beaucoup plus intimes sur son pays natal.

Le quartier de Hillbrow, à Johannesburg. © Pieter Hugo

Le quartier de Hillbrow, à Johannesburg. © Pieter Hugo

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Publié le 13 février 2015 Lecture : 3 minutes.

Dans le monde des amateurs de photographie, le Sud-Africain Pieter Hugo (39 ans) s’est fait connaître avec des séries réalisées en Afrique, mais jamais chez lui. Son travail le plus célèbre est sans doute The Hyena & Other Men, qui présente des troubadours nigérians voyageant avec hyène et babouin, mais il a aussi photographié le Rwanda d’après le génocide, l’industrie du cinéma à Nollywood ou encore une décharge de produits technologiques au Ghana avec Permanent Error.

Son succès auprès des collectionneurs occidentaux s’explique peut-être, en partie, par cette exploration des marges et cette recherche de l’étrange – voire de l’exotisme – servie par une technique photographique frontale maîtrisée à la perfection. Avec un sourire entendu, le grand jeune homme blond confie : "J’aurais pu passer des années à photographier des mecs avec des hyènes et j’aurais très bien gagné ma vie !"

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Alors que s’ouvre à la Fondation Henri Cartier-Bresson son exposition sobrement baptisée "Kin" (jusqu’au 26 avril 2015), il n’est pas difficile de saisir que l’artiste n’est pas du genre à profiter d’un succès pour le transformer en poule aux oeufs d’or : "Chacun de mes projets se termine quand je ne regarde plus le monde de la même manière, dit-il. Je me pose des problèmes que j’essaie de résoudre en explorant les possibilités du médium."

Un portrait lumineux de sa femme enceinte

Pour "Kin", qui n’a rien à voir avec Kinshasa mais tout à voir avec le mot anglais que l’on pourrait traduire par "proches", Pieter Hugo n’a voyagé qu’en Afrique du Sud, explorant son pays natal. "C’est une série beaucoup plus intime, qui a pour point de départ la naissance de mon premier enfant, affirme-t-il. Comme souvent, l’idée s’est développée de manière très organique, et j’ai été comme forcé de m’y confronter, comme forcé de faire la paix avec le fait que j’ai maintenant une famille."

La première photo de l’ouvrage (éditions Aperture) accompagnant l’exposition est ainsi un portrait lumineux de sa femme enceinte de leur premier enfant, en 2010, immédiatement suivie par celle d’une route à moitié détruite par un éboulement et s’enfonçant dans la brume. Suivent des portraits de "proches" (parents, frère, enfant, nounou), des portraits de Sud-Africains, des natures mortes, des paysages, des intérieurs. Le style Hugo conserve sa puissante frontalité, ouvrant des pistes évidentes mais proposant aussi des chemins de traverse symptomatiques des interrogations de l’auteur.

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Ainsi, deux photos aériennes de Johannesburg – l’une du quartier cossu de Dainfern, où apparaissent piscines, murs protecteurs et îlots de verdure, l’autre du quartier pauvre de Diepsloot, où s’entassent des maisons de tôles autour d’un îlot d’ordures – semblent figer une société schizophrène, ou à tout le moins coupée en deux par un profond fossé économique. Tout comme cette image d’homosexuels couchés l’un contre l’autre en habits traditionnels paraît caricaturer une société coincée "entre tradition et modernité"…

Mais Pieter Hugo est bien plus subtil, et il faut s’attarder sur l’agencement des images pour aller au-delà des évidences. Ainsi, il photographie aussi sa femme enceinte de son second enfant sous une lumière dure qui trahit le vieillissement du corps, capture le regard triste de sa propre nourrice, se fige lui-même face à l’objectif avec son fils entre les mains.

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Dans les rides et les cicatrices des personnes qu’il saisit, dans l’usure des objets, dans le terne des murs, dans les décorations tristes des maisons et les plantes en pot, dans les monuments historiques, Hugo photographie en réalité le temps qui passe en Afrique du Sud, mêlant mélancolie, espoir, violence… Aujourd’hui, il soutient en avoir fini avec "Kin", tout en soulignant n’avoir trouvé aucune réponse à ses interrogations sur ce que signifie être "chez soi". Sauf peut-être celle-ci : "Le chez-soi, c’est le lieu où l’appartenance et l’aliénation coexistent."


Le quartier de Hillbrow, à Johannesburg. © Pieter Hugo

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