Angélina Tezanou : droit dans les yeux
Chanteuse, présentatrice télé, militante, conseillère à Pôle emploi… Cette Franco-Camerounaise aveugle défie les clichés.
Elle ouvre la porte et vous regarde. Vous vous dites que non, Angélina Tezanou n’est pas aveugle. Et puis elle vous conduit vers son salon par un long escalier obscur en faisant danser sa main sur la rampe, hésitant légèrement avant de vous désigner un épais fauteuil noir.
L’appartement est au neuvième étage d’une barre d’habitation du XVe arrondissement, avec vue sur la Maison de la radio. De modestes articles de vannerie rapportés de son pays d’origine, le Cameroun, encombrent une étagère. C’est à Bafou, bourgade proche de Bafoussam, dans l’ouest du pays, que la quadragénaire (elle refuse coquettement mais fermement de donner son âge) a fait ses premiers pas dans le vaste domaine agricole d’une famille comptant pas moins de 24 enfants.
Angélina Tezanou est la fille de la cinquième épouse de son père. De ses jeunes années, elle garde une foule d’images : le petit seau bleu qu’elle emportait au marigot, les couleurs du marché, le pagne de sa mère auquel elle s’accrochait pour ne pas trébucher sur les chemins cabossés… La petite fille atteinte d’une maladie dégénérative – une rétinite pigmentaire – avait déjà du mal à voir.
Angélina Tezanou se sait différente. « Dans le village, ma mère était considérée comme une sorcière, car trois de ses enfants étaient devenus aveugles. Moi, je n’allais pas à l’école, c’était considéré comme une perte de temps. Si j’étais restée, j’aurais été condamnée à mendier auprès de ma famille pour vivre. » Un coup de pouce « divin » en décide autrement. Une religieuse, Agnès Guyot, s’inquiète de l’avenir de la petite fille et finit par trouver en France une école spécialisée qui accepte de l’accueillir gracieusement.
« Impossible de me souvenir du jour où j’ai perdu la vue, confie aujourd’hui Angélina. J’étais préoccupée par mes études, j’avais une vraie soif de réussite… Si mes résultats n’étaient pas à la hauteur, je retournais au Cameroun. Je suis restée chez les soeurs jusqu’à la troisième, puis à l’Institut national des jeunes aveugles. J’ai enchaîné sur un DEA en droit international économique et commercial. J’ai compris que je devenais aveugle quand je suis tombée dans les escaliers du métro. Le passage à la canne blanche a été très difficile… Cela affectait ma silhouette, ma féminité. Dans mon lit, lorsque j’ouvrais les yeux, j’étais toujours dans le même brouillard gris. »
Dans son salon parisien, des albums en pagaille. Sur la chaîne hi-fi, Maxime Le Forestier voisine avec Cesaria Evora. Au mur, une affiche montre Tezanou drapée de rose satiné, bijoux et sourire éclatants. C’était en 1990, au temps de l’album Poison, disque d’or au Togo. L’époque des tournées internationales, lorsqu’elle emportait 2 000 à 3 000 albums pour contenter ses fans.
Un jour, la trop sérieuse étudiante a basculé, abandonnant sa thèse en droit de l’environnement pour se consacrer à la musique. Les soeurs lui avaient appris le chant, le violon et le piano, elle a complété avec la guitare pour chanter cette variété qui passait à la radio. Pour payer ses études, elle a joué dans des restaurants, intégré des groupes de zouk, avant de se lancer en solo. Son cinquième album, des reprises de chansons françaises, sortira fin mars.
Mais la musique n’est que le talent le plus médiatisé du phénomène Tezanou. Cette hyperactive gagne sa vie depuis douze ans en tant que conseillère à Pôle emploi, à l’antenne spectacle et audiovisuel. Mais on l’aperçoit aussi sur le petit écran : elle a officié sur Télésud, une web TV, et est actuellement en pourparlers avec Ubiznews TV pour une émission à venir au printemps. Militante, elle soutient son frère Paul, qui dirige le centre d’accueil Notre-Dame-de-la-Paix, à Dschang, où des dizaines d’étudiants handicapés apprennent le braille.
Elle a créé en 2006 les associations Angel Music et Cécimode. La première assure la promotion d’artistes handicapés quand la seconde propose des services de relooking aux non-voyantes. « Je me suis aperçue que les aveugles étaient souvent mal fagotées… Beaucoup de structures visent à améliorer l’éducation, l’accessibilité, mais on oublie que les femmes aveugles sont avant tout des femmes ! Elles ont un corps qui aime, qui désire. Et se sentir belle permet de gagner en confiance en soi, ce dont nous avons beaucoup besoin. »
Dernier chantier en date : la politique. La très pragmatique Tezanou, d’abord tentée par l’écologie, s’est rapprochée de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), qui contrôle son arrondissement parisien. « Les plus grandes avancées pour le handicap ont été réalisées par la droite », soutient-elle, rappelant la loi pour l’égalité des chances adoptée durant la présidence Chirac. Membre du Conseil national des Français pour la diversité créé par le parti de Nicolas Sarkozy, mais gardant toujours son franc-parler, elle a un côté poil-à-gratter. Aux conventions de l’UMP, Tezanou fait rire, choque un peu, mais avance ses pions.
« Je me suis rapprochée de l’association Les Chemins de la réussite, qui permet à des jeunes méritants du monde entier d’avoir accès à l’éducation, aux grandes écoles et d’être parrainés pendant un an par des personnalités. Cette année, j’ai fait en sorte qu’il s’agisse de handicapés. Voilà du concret ! » Angélina Tezanou sourit, toujours en vous regardant droit dans les yeux.
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