Sénégal – Abdoulaye Wade : papy fait de la résistance…
À 88 ans, l’ancien président Abdoulaye Wade ne lâche pas son bâton d’opposant face à un régime qu’il qualifie de dictatorial. Piquant, à l’heure où les plaidoiries commencent dans le procès contre son fils et ancien ministre, Karim…
La scène est improbable. Samedi 31 janvier, tandis que la place de l’Obélisque est totalement bouclée par les forces de l’ordre suite à l’interdiction par le préfet de Dakar du sit-in organisé par le Front patriotique pour la défense de la République (FPDR) – une coalition d’opposition dont le Parti démocratique sénégalais (PDS) est le fer de lance -, un 4×4 noir fait son apparition. Debout dans le véhicule, la tête dépassant du toit ouvrant, Abdoulaye Wade, entouré de gardes du corps, salue ses sympathisants avant de sonner la charge.
Soudain, sous les jets de grenades lacrymogènes visant à disperser les manifestants récalcitrants, la voiture de l’ancien président force le barrage policier avant de se retrouver au milieu de la place déserte. Après avoir brièvement savouré son exploit, Abdoulaye Wade ordonne à son chauffeur de quitter les lieux pour s’en retourner à son domicile de Fann Résidences, où il recevra la presse le soir même pour s’indigner des interdictions à répétition dont les manifestations de son parti font l’objet. Il en appellera au passage, si la situation devait persister, à "l’arbitrage de l’armée". De là à discerner dans ses propos un appel implicite au renversement du régime par la force…
On ne se refait pas. Sur son curriculum vitae, deux chiffres suffisent à résumer le parcours politique d’Abdoulaye Wade, qui fêtera en mai ses 89 ans : président de la République du Sénégal pendant douze ans ; leader de l’opposition pendant… vingt-neuf ans ! Gorgui ("Le Vieux", en wolof) aura été l’opposant de trois présidents, de Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf. Rentré dans la capitale à la veille du sit-in interdit, le patriarche s’en donne à coeur joie.
Puisant une seconde jeunesse dans les restrictions du droit à manifester que dénoncent par ailleurs plusieurs organisations de la société civile, Abdoulaye Wade souffle le chaud et le froid, alternant menaces de déstabilisation du pays et main tendue à son adversaire déclaré. D’un côté, il qualifie Macky Sall de "dictateur qui foule aux pieds le texte de la Constitution, refusant les libertés comme les marches et les réunions". De l’autre, il se fend d’un appel au dialogue aux allures d’ultimatum : "Si Macky Sall refuse de dialoguer, je vais lui forcer la main, quitte à ce que je perde la vie."
Son successeur, quant à lui, a préféré jouer la carte de l’apaisement. Le 2 février, Macky Sall annonçait avoir "entendu l’appel au dialogue de l’opposition" et déclarait que "[sa] porte est ouverte" à ses détracteurs. Reste à savoir de quoi Abdoulaye Wade entend discuter avec lui. Selon El Hadj Hamidou Kassé, conseiller de Macky Sall, cette tentative de "conduire une entreprise de déstabilisation de l’État" a un objectif prioritaire : aborder en position de force une négociation "dont le point focal serait la libération de Karim Wade". Pour le camp présidentiel, qui garde en mémoire l’éviction brutale de Macky Sall par l’ancien chef de l’État, en 2008, Gorgui n’a jamais renoncé au dessein de porter son fils à la magistrature suprême.
Et le congrès du PDS convoqué en août prochain pour désigner son successeur au poste de secrétaire national relève d’un exercice balisé pour passer le relais à sa progéniture. Avec toutefois un problème de taille : incarcéré depuis avril 2013, Karim Wade risque jusqu’à dix ans de prison pour enrichissement illicite et pourrait bien se retrouver dans l’incapacité – à supposer qu’il envisage sérieusement d’être candidat – de concourir en 2017.
Déverser leur colère devant le palais présidentiel
Au soir du 31 janvier, Abdoulaye Wade a semblé donner du crédit à cette hypothèse, n’hésitant pas à citer nommément devant la presse trois présidents africains (Alassane Ouattara, Denis Sassou Nguesso et Ali Bongo) qui auraient, selon lui, suggéré à Macky Sall de faire libérer son fils. Dans un communiqué, il exigeait par ailleurs la "libération inconditionnelle" ou "la levée de l’interdiction de sortie du territoire" pesant sur plusieurs responsables du PDS soupçonnés de délits financiers – que l’ancien président considère comme des "otages politiques".
Plus déterminé que jamais, au lendemain d’un week-end de tensions qui a vu l’arrestation temporaire de plusieurs cadres de l’opposition dont le député Mamadou Diop Decroix, Abdoulaye Wade a par ailleurs décrété l’opération Fippu ("révolte", en wolof). À la veille du nouveau rassemblement prévu place de l’Obélisque, le 4 février, il annonçait avoir déjà préparé sa valise au cas où les autorités compteraient "[les] emprisonner tous". En cas d’interdiction de la manifestation, l’éternel opposant avait même appelé ses militants à aller déverser leur colère devant le palais présidentiel. Mais cette fois, soufflant à leur tour le chaud et le froid, les autorités l’ont autorisée.
Des interdictions à répétition
Au-delà de l’opposition, la vague d’interdictions de diverses manifestations décidées par le préfet de Dakar au cours des derniers mois suscite l’inquiétude de la société civile. Les cinq principales organisations sénégalaises de défense des droits de l’homme se sont déclarées "préoccupées" par la restriction, à leurs yeux excessive, de ce droit garanti par la Constitution. "Nous dénonçons par principe ces interdictions, affirme Fadel Barro, porte-parole du mouvement citoyen Y’en a marre. Cela témoigne d’une frilosité du régime qu’on ne s’explique pas et qui donne au PDS une tribune qu’il n’avait pas."
Dans l’entourage présidentiel, on minimise cette vague de critiques. "Les chiffres avancés concernant le nombre de manifestations interdites nous semblent exagérés", estime un proche de Macky Sall selon qui "les autorités administratives disposent probablement d’informations de nature à justifier ces interdictions". Revenant sur le retour nocturne d’Abdoulaye Wade à Dakar, en avril 2014, la même source ironise : "Où verrait-on un ancien chef de l’État s’offrir un bain de foule dans la capitale à 1 heure du matin ?"
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