Les rappeurs « afro » pervertissent-ils la jeunesse française ?
Le rap est mis à l’index dans l’Hexagone par les tenants d’une certaine droite. Or, il est largement incarné par des artistes aux racines africaines, comme Black M. De quoi inspirer des polémiques au doux parfum de « nouvel ordre moral »… quand elles ne sont pas racistes.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 18 mai 2016 Lecture : 3 minutes.
Gandhi Djuna, plus connu sous le pseudo de Maître Gims : rappeur français né à Kinshasa en République démocratique du Congo ; Youssoupha Mabiki : rappeur français né sept ans plus tôt dans la même capitale ; Mohamed Sylla, alias MHD, précurseur de l’« afro trap », français d’origine sénégalo-guinéenne ; Alpha Diallo, célèbre sous le nom d’artiste Black M, rappeur français d’origine guinéenne. La musique urbaine française, largement née d’influences américaines, serait-elle principalement nourrie, aujourd’hui, d’inspirations africaines ? Et l’africanité de ses piliers artistiques gênerait-elle aux entournures ceux qui ne prisent ni le rap, ni le métissage ?
Depuis quelques jours, et a posteriori, on comprend mieux la déclinaison originelle du pseudonyme « Black M ». Car celui qui se faisait appeler « Black Mesrimes » – en référence à « Jacques Mesrine » transformé en « mes rimes »- semble bien l’ennemi artistique numéro un. Le 29 mai prochain, le membre du groupe Sexion d’Assaut devait donner un concert à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun, devant 4 000 jeunes français et allemand. C’était sans compter avec les exégètes malveillants des lyrics urbains. Dans le tube intergénérationnel « Désolé », le collectif qualifiait la bonne vieille Gaule de « pays de kouffars », « kouffar » signifiant « mécréant » en arabe. Il n’en fallait pas plus pour titiller une extrême-droite qui n’en démord pas. «Pas de rappeur francophobe au centenaire de Verdun », peut-on lire sur le profil Facebook de « Français de souche ». C’est ainsi que le maire de Béziers Robert Ménard et la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal, entre autres, ont exigé et obtenu du maire socialiste de Verdun, Samuel Hazard, l’annulation du concert de Black M, en dépit de la promesse de François Hollande de sécuriser la manifestation.
Rapeurs propres sur eux
Les rappeurs d’origine africaine pervertiraient-ils la jeunesse française ? Jusque-là, Sexion d’assaut était considéré comme un collectif de rap qui plaît aux mamans, notamment depuis le titre « Avant qu’elle parte ». De plus en plus sirupeux, Maître Gims, sorte de Dario Moreno urbain depuis « Bella », semble avoir libéré son ultime souffle d’africanité avec le titre « Sapés comme jamais ». Quant à Black M, il apparaît bien propret à côté des rappeurs des années 90 qui, eux, l’invitaient à « niquer sa mère ». Pourtant, se désolant, en off, de l’apathie des collégiens des banlieues parisiennes dites « déshéritées », un responsable de Seine-Saint-Denis mettait à l’index la chanson « Madame Pavoshko ». Black M s’y adresse à son ancienne conseillère d’orientation, brandissant son succès musical comme la preuve qu’il n’avait pas besoin de bien travailler à l’école : « Fuck le délégué, dites-moi où est l’mic’ / les cours, oui, oui, oui, oui, oui , j’m’en bats les ******** / À une époque, j’voulais me procurer un Smith et Wesson / Une petite voix me chuchotait : « Vas-y, tire sur l’école » »…
Peut-être Léo Ferré aurait-il suggéré de modifier deux ou trois passages de ce texte. Et encore, ce n’est pas certain. Et tout de même : doit-on prendre un propos artistique au pied de la lettre ? Le chantre de la pensée réactionnaire, Eric Zemmour (d’ailleurs élevé en Seine-Saint-Denis) se plaît à fustiger le rap et à glorifier les Rolling Stones. Quand le groupe de rock entonnait « Sympathy for the devil » avant de se droguer et de saccager sa chambre d’hôtel, l’adolescent de Drancy devenait-il vandale sataniste pour autant ? N’est-ce pas moins la poésie bon enfant que l’initiation au second degré qui manque dans l’éducation française d’aujourd’hui ?
Rassurons-nous, le rap « dépravant » n’est pas seulement le fait d’artistes issus de l’immigration subsaharienne. En 2009, c’est le Français « de souche » Orelsan, devenu pape de la procrastination, que l’ordre moral dézinguait pour les paroles jugées « haineuses » de la chanson « Sale pute ». Et pour se consoler de l’influence afro dans les musiques urbaines françaises, il resterait bien l’hyperoxidé Nekfeu. Sauf qu’il vient de réaliser un featuring avec le collectif MZ, celui des « hommes de couleurs » Jok’Air, Hache-P et Dehmp… Pas de chance pour les racistes !
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